Le ministre des Pensions Jan Jambon (N-VA): pourquoi les malades de longue durée seront les grands perdants de sa réforme.

Pension rabotée pour certains malades de longue durée: «Veut-on sanctionner des personnes qui ont traversé la maladie?»

Les malades de longue durée seront eux aussi sanctionnés financièrement s’ils souhaitent prendre leur retraite plus tôt. Le projet du ministre des Pensions Jan Jambon (N-VA) suscite la perplexité du professeur de médecine du travail Lode Godderis.

Jan Jambon a récemment présenté aux employeurs et syndicats un avant-projet de loi précisant la mise en place du système de bonus-malus. Concrètement, le montant de la pension serait diminué ou majoré pour chaque année travaillée en moins ou en plus par rapport à l’âge légal de départ. L’écart varierait entre 2 et 5% par an.

La pénalité (malus) peut être évitée à condition d’avoir travaillé au moins 35 ans et cumulé 7.020 jours de carrière. Après de vifs débats cet été au sein du gouvernement, il apparaît désormais que les jours de maladie seront fortement pris en compte.

Selon Het Laatste Nieuws, l’application se ferait par un calcul complexe: le nombre d’années de maladie serait divisé par le nombre d’années de carrière, puis multiplié par le nombre de mois supplémentaires exigés pour échapper au malus. Pour Lode Godderis, l’association entre incapacité de longue durée et malus constitue une mesure frappante. En tant que CEO du service de prévention Idewe et professeur de médecine du travail (KU Leuven), il en évalue l’impact.

Est-ce la première fois que la pension des malades de longue durée est remise en cause?

Lode Godderis: Oui. Jusqu’ici, la pension d’une personne en incapacité prolongée, comme pour toute autre, était calculée sur la base de son dernier salaire indexé. Cette mesure frapperait particulièrement les malades de longue durée qui souhaitent prendre une retraite anticipée. Le lien établi entre l’incapacité de longue durée et le malus sur la pension marque un tournant majeur pour la société.

Comprenez-vous la mesure?

Sur le plan économique, absolument. Cette mesure d’économie vise à garantir la soutenabilité des pensions. Mais faut-il réellement réaliser des économies sur le dos d’un groupe aussi vulnérable que les malades de longue durée? Veut-on sanctionner des personnes qui ont traversé la maladie? C’est une question essentielle dans un Etat-providence solidaire.

Un malade de longue durée a moins cotisé à la caisse des pensions. N’est-il pas logique, dès lors, qu’il touche aussi une pension réduite?

La sécurité sociale repose sur deux systèmes. D’une part, le principe assurantiel: celui qui travaille cotise et peut ensuite prétendre à une pension. L’acquisition de droits suppose donc d’avoir suffisamment travaillé. D’autre part, un système de redistribution des cotisations afin que personne ne soit abandonné. La combinaison des deux rend la question complexe. Si l’on adopte une perspective strictement économique, donc selon le premier système, je comprends que celui qui, pour quelque raison que ce soit, n’a pas contribué, ait moins droit à une pension anticipée. Mais ce raisonnement ne tient pas dans le cadre du principe de solidarité.

«Cette mesure punit injustement une contrainte qui échappe à toute volonté.»

Chacun sait qu’il doit travailler suffisamment pour prétendre à une pension.

C’est exact. Je prends un exemple un peu stéréotypé. Si une infirmière, mariée et mère de deux enfants, décide de réduire son temps de travail pour privilégier sa famille, elle sait qu’elle touchera plus tard une pension plus faible. C’est un choix libre et conscient. Un tel choix n’existe pas pour celui qui subit un infarctus, un cancer ou un burn-out. Une telle maladie frappe sans prévenir. Ce n’est pas une décision de cesser de contribuer à la caisse des pensions. Cette mesure punit injustement une contrainte qui échappe à toute volonté.

Cette mesure vous étonne-t-elle?

Pas vraiment. Cela s’inscrit dans la ligne du gouvernement Arizona: réduire les allocations, avec l’idée de sortir les gens de l’assistanat. En touchant directement leur portefeuille, les ministres espèrent les inciter à reprendre le travail plus rapidement. Or, la recherche scientifique montre que de telles pressions financières négatives ne donnent pas de résultats. Ce sont surtout les personnes vulnérables et peu qualifiées qui reprennent le travail par nécessité, au détriment de leur santé, et qui se retrouvent dans des emplois de moindre qualité. C’est une réalité qu’il faut pleinement avoir à l’esprit.

«Un quadragénaire ou un quinquagénaire atteint d’un cancer se concentre sur sa guérison, et pas sur une éventuelle conséquence lointaine sur sa pension.»

Les allocations concernent la vie active. Ici, il est question des pensions. Cette mesure pourrait-elle avoir un véritable effet incitatif?

Absolument pas. Elle n’aura aucun impact sur les chiffres de la maladie. Un quadragénaire ou un quinquagénaire atteint d’un cancer se concentre sur sa guérison, et pas sur une éventuelle conséquence lointaine sur sa pension.

Comment garantir la soutenabilité des pensions avec un demi-million de Belges en incapacité de longue durée?

La solution est à la fois très simple et très complexe: permettre aux malades de reprendre le travail. Lorsqu’ils retravaillent, ils cotisent. Oui, il faut prolonger les carrières. Et oui, la proportion de travailleurs plus âgés atteints d’une affection chronique augmente. Ils ne peuvent pas fournir 100% de leur capacité. Mais ils doivent trouver leur place sur le lieu de travail. Ils peuvent rester productifs pour l’entreprise tout en améliorant leur santé grâce au travail.

Dans les pays scandinaves, on compte presque deux fois moins de malades de longue durée qu’en Belgique. Qu’est-ce qui rend notre approche moins efficace?

Notre système est bâti sur la méfiance envers «les profiteurs» qui se mettent en retrait. Dès le premier jour, un médecin doit fournir la preuve de la maladie par un certificat médical. Après un mois, on passe à la mutualité pour percevoir une allocation. Là aussi, on vérifie encore si ce droit est bien fondé. Dans les pays où l’incapacité de longue durée est moins répandue, le système repose sur l’idée que l’activité professionnelle fait partie intégrante du processus de guérison. En Scandinavie, le travail n’est pas considéré d’emblée comme néfaste pour un malade. Il est perçu comme partie intégrante du traitement: maintenir l’activité ou favoriser une réintégration plus rapide. Le retour au travail y est un objectif de santé explicite. Un traitement n’est considéré comme réussi que si la personne reprend une activité et recommence à cotiser aux pensions.

Ça semble séduisant en théorie.

Cela exige une réelle évolution des mentalités, tant dans le secteur des soins que chez les employeurs. Sur le plan politique, c’est encore plus ardu qu’une réforme des pensions. La répartition des compétences est telle qu’il faut une dizaine de ministres pour avancer. L’accord du gouvernement fédéral contient des dispositions intéressantes sur le retour au travail, mais elles apparaissent sous la rubrique «contrôle et sanction». La tâche est donc loin d’être achevée.

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