Hausse des coûts salariaux, des matières premières, de l’énergie ou encore baisse du pouvoir d’achat des clients: l’Horeca fait face à de nombreux défis. Pour tenter de garder la tête hors de l’eau, le secteur se tourne vers de nouvelles pratiques. Parmi elles: le supplément sur des additions n’atteignant pas un certain plafond.
Jarno, un client du toit terrasse de l’hôtel Yalo à Gand, a été contraint de faire un choix: soit commander de nouvelles consommations, soit payer un supplément de 30 euros pour atteindre un montant de 65 euros par personne, a récemment révélé le quotidien belge néerlandophone Het Laatste Nieuws (HLN). «Si les clients veulent réserver pour la soirée, on estime qu’ils viennent pour dîner et pas simplement boire quelque chose. Autrement, on demande un minimum de dépenses, comme indiqué sur notre site ou lors de la réservation en ligne ou par téléphone», explique Paul Suy, le directeur de l’hôtel.
Répandue en boîte de nuit, cette pratique «n’est pas vraiment courante» pour le moment dans le secteur de l’Horeca, assure Matthieu Léonard, président de la Fédération Horeca Bruxelles. Associé fondateur et manager du cabinet d’avocats Concordes, spécialisé en Horeca et en industrie hôtelière, Philippe Simonart commence à observer le phénomène: «C’est un mouvement né des augmentations salariales, de l’indexation et de l’augmentation du coût du travail pour les entreprises». D’autant que le secteur est traditionnellement exposé aux faillites. «L’Horeca (section NACE I) représente environ 17% des PME défaillantes et des pertes d’emplois. Il s’agit respectivement de 1.950 faillites et 4.947 pertes d’emplois», rappelle le SPF Economie sur son site, alors que le secteur ne regroupe que 6% de l’ensemble des petites et moyennes entreprises du le pays.
Le pricing pour espérer le point d’équilibre
Dans le contexte de la guerre en Ukraine et post-Covid, la hausse des matières premières et de l’énergie est venue ajouter une couche de difficultés supplémentaires. «Certaines entreprises du secteur portent toujours les marques de la pandémie et le retour à la normale n’a jamais eu lieu», grimace Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB). Cerise sur cet amer gâteau: les problèmes d’attractivité du métier qui impactent le recrutement, ainsi qu’une charge salariale qui augmente d’année en année. «Entre 2019 et 2025, on a eu une hausse de charge salariale de 30%. Pourtant, peu de restaurants ont augmenté leurs prix à la carte de 30%. Certains patrons se rémunèrent quatre euros de l’heure. Ils n’espèrent même plus la rentabilité, simplement le point d’équilibre», fait remarquer Matthieu Léonard.
La pratique du pricing, qui «garantit un volume d’activité et la possibilité d’assurer certains coûts», comme l’analyse Marek Hudon, est alors tentante. Elle permet aussi de limiter le phénomène des «squatteurs de cafés» à l’heure où le télétravail s’est popularisé et où certains employés se rendent dans des établissements Horeca pour travailler en conservant du lien social. Certaines enseignes affichent des pancartes avec la mention «Pas d’ordinateurs», certains jours. «Aussi, une envie d’être vu dans un lieu pousse à prendre un seul verre en y restant trois heures, comme sur un rooftop», remarque Philippe Simonart. Le client garde une place et ne consomme pas, tandis que les coûts du restaurateur, eux, restent les mêmes.
D’autres pratiques du même type existent. A Barcelone, le prix du café au Café Perfetto passe de 1,30 euro en dessous des 30 minutes passées dans l’établissement à 2,50 euros au-delà et jusqu’à 4 euros après une heure. En Italie, le prix des couverts est parfois ajouté à l’addition, entre deux et huit euros. En Belgique, le restaurant Zinneke, à Schaerbeek, propose une réduction de 25% sur la nourriture à ses clients qui, lors de leur réservation, s’engagent à quitter les lieux avant 20h20. L’objectif? Pouvoir assurer un deuxième service. Des établissements fonctionnent également au menu. «Dans les gastronomiques, les clients savent que le chef travaille souvent ainsi, ce qui permet de connaître, autant pour le client que le restaurateur, grosso modo le montant du couvert moyen. A la carte, cela peut varier de jour en jour», déplore Matthieu Léonard.
Problème: le porte-monnaie des clients ne suit pas forcément. En raison de l’inflation alimentaire et énergétique, les habitudes de consommation des Belges ont changé et le restaurant constitue, pour certains, un luxe. Mais pour Matthieu Léonard, ces coûts sont nécessaires. «On étiole une offre de qualité, on laisse la place à des chaînes de malbouffe à la mode anglo-saxonne, dans une course au prix le plus bas. Le client ne se rend pas compte de notre réalité en tant que restaurateurs. Il pense que tout est gratuit, mais on a des assurances, du personnel, des charges et une fiscalité plombante. Tout augmente», insiste le président de la Fédération Horeca Bruxelles.
Ethique et légalité en jeu
Si ces nouvelles pratiques apparaissent comme indispensables à la survie du secteur, une question éthique se pose. «Pour éviter que le client ne se sente trompé, il faut afficher, annoncer les prix ou la manière de fonctionner, mais aussi une égalité de traitement avec des règles du jeu claires pour tous», conseille Marek Hudon, qui anime un cours d’éthique économique. Matthieu Léonard se dit en faveur de cette transparence avant de consommer. A l’heure de l’âge d’or des applications et des sites de notation et de commentaires, elle apparaît indispensable. Du moins pour un rapport apaisé avec le consommateur. «Il ne faut pas minimiser l’impact de la pratique si les clients sont mécontents, car beaucoup de gens se fient aux avis sur Internet. L’insatisfaction se paie rapidement et peut faire douter de la capacité de survie de l’établissement», alerte Marek Hudon.
Le point de la légalité n’est pas en reste. S’il est clairement indiqué lors de la réservation, sur la carte ou par le serveur qu’un minimum de consommation est attendu, le consommateur sait à quoi s’en tenir. «Lorsqu’il y a un échange de consentement précis et non ambigu qui amène à une vente, il y a contrat», rappelle Philippe Simonart. La preuve du consentement du client devra toujours pouvoir être démontrée par l’établissement. Mais lorsque le client apprend à la fin de sa consommation qu’il doit payer un supplément, l’obligation n’est pas connue et n’a pas été contractualisée. En cas de disproportionnalité, la clause de contrat peut être considérée comme abusive, «lorsqu’il est possible de boire un coca pour dix euros et qu’on obligerait à consommer jusqu’à 500 euros par exemple», conclut Philippe Simonart.