Les stablecoins, ces cryptomonnaies adossées au dollar ou à l’euro, promettent immédiateté et sécurité. Portés par la dérégulation américaine, ils inquiètent la Banque centrale européenne. Une véritable bataille monétaire se dessine. Tour d’horizon en 5 questions.
1. Stablecoin: c’est quoi?
Le stablecoin, littéralement «jeton stable», est une cryptomonnaie adossée à une monnaie fiduciaire telle que le dollar ou l’euro. «Il n’a pas la volatilité d’un cryptoactif comme le bitcoin», distingue Bernard Keppenne, Chief Economist chez CBC.
Le stablecoin s’apparente donc à un instrument financier qui offre une parité «1 pour 1» avec le dollar. «Ce mécanisme est garanti grâce à des réserves en bon du Trésor, ou des dépôts en compte courant dans les banques traditionnelles, explique Camille Lambert, fondatrice de Spinoza consulting, experte en tokenisation et stablecoin. On peut donc concevoir le stablecoin comme une monnaie digitalisée qui ouvre la voie à toute une série d’autres usages dans le monde de la blockchain, dont la tokenisation.»
Le stablecoin n’a pas la volatilité d’un cryptoactif comme le bitcoin.
Le stablecoin est parfois comparé à une sorte d’ETF (NDLR: un panier d’actifs qui évolue selon un indice spécifique), mais basé sur le dollar. Il réplique sa performance, en quelque sorte.
L’avantage du stablecoin? Il permet des transactions plus faciles, plus rapides. Il surpasse en réalité les virements interbancaires instantanés. «Croire que les virement instantanés le sont réellement est une mauvaise compréhension, recadre Camille Lambert. Les banques utilisent le système de paiement de la BCE et avancent de l’argent avant que le paiement soit reçu. Demandez un virement instantané de dix millions, vous verrez que ce n’est pas possible.»
Le régime de paiements en Europe est «long, fastidieux et un peu archaïque, issu de trois systèmes légaux pré-euro, ajoute l’experte. La blockchain permet de dépasser ces obstacles et ouvre la possibilité de transfert instantané.»
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2. Pourquoi parle-t-on du stablecoin maintenant?
Aux Etats-Unis, la volonté républicaine de libéraliser et déréglementer un peu plus le marché des cryptomonnaies a replacé le stablecoin au centre du jeu.
Donald Trump, il ne s’en cache pas, veut accroitre son hégémonie sur les cryptomonnaies. «Et il voit dans les stablecoins une manière de renforcer la position du dollar, tout en accentuant l’influence des cryptoactifs», analyse Bernard Keppenne. Un coup double. «Il essaie clairement de compenser la méfiance actuelle vis-à-vis du dollar en favorisant les stablecoins, attachés au dollar.»
A partir du moment où la position du dollar est renforcée, le financement de la dette à long terme est davantage sécurisé. «En revanche, ajoute Bernard Keppenne, un renforcement du dollar n’empêche pas l’apparition de tensions sur les taux d’intérêt américains au long terme, comme on le voit pour l’instant. L’effet de ricochet n’est pas nécessairement positif dans l’immédiat.»
«Donald Trump essaie clairement de compenser la méfiance actuelle vis-à-vis du dollar en favorisant les stablecoins, attachés au dollar.»
Le stablecoin reste «un très bon moyen de financer sa dette grâce aux besoins de réserves de garanties, estime Camille Lambert. La tokenisation de ces bons du trésor permet une plus grande liquidité et un meilleur prix.»
D’autant plus que les Etats-Unis «n’ont pas d’obligation de gérer la dette de façon aussi contraignante, au contraire de la BCE, qui a comme mission de la maintenir sous contrôle -c’est dans son mandat. Or, en favorisant les stablecoins, la Banque centrale craint que la dette galope.»
3. Le stablecoin est-il un danger pour les monnaies classiques?
Toujours est-il que le stablecoin représente un vrai danger pour les monnaies réelles classiques. La Banque d’Angleterre a déjà manifesté sa méfiance, parlant de risque systémique pour la finance mondiale si le stablecoin venait à prendre une ampleur trop importante. La Banque centrale européenne (BCE) a fait part d’une mise en garde similaire.
Car, faut-il le rappeler, la BCE délègue aux banques commerciales l’émission des prêts aux particuliers et le pouvoir d’émettre les monnaies. «Elle est rémunérée pour ça, ajoute Camille Lambert. Avec l’arrivée des stablecoins, la vraie peur, pour la Banque centrale, est qu’elle soit moins rémunérée, car elle émettrait moins de cash.»
L’Europe a d’ailleurs pris les devants. En juin 2024, le règlement européen sur les crypto-actifs (MiCA) est entré en vigueur.
Cette semaine seulement, le Genius Act a défini le contour des règles autorisées pour le stablecoin aux Etats-Unis. «Il est intéressant d’y lire que les émetteurs de stablecoins devront être régulés par les mêmes autorités que celles qui régulent les banques, note Camille Lambert. Circle, un des plus grands émetteurs de stablecoins, a d’ailleurs demandé sa licence bancaire aux Etats-Unis.»
«Aux Etats-Unis, les émetteurs de stablecoins devront être régulés par les mêmes autorités que celles qui régulent les banques»
Dès lors que les stablecoins surfent sur la vague de dérégulation américaine, ils suscitent la méfiance des banques européennes, peu enclines à embarquer dans ce courant venu d’outre-Atlantique. «C’est la dérégulation, ne l’oublions pas, qui a mené à la crise des subprimes en 2008. Le danger est bien présent pour l’ensemble du système financier», avance Bernard Keppenne.
Selon le Chief Economist, le stablecoin serait même plus dangereux qu’une cryptomonnaie classique, «dans le sens où il est soutenu de façon importante par les Etats-Unis et qu’il est dominant de par son lien avec le dollar.»
4. Les banques privées vont-elles l’adopter?
Le stablecoin n’est donc pas près d’être proposé par les banques belges ou européennes. «La BCE étant très méfiante, nous n’avons pas la même latitude d’action que les banques américaines», constate Bernard Keppenne.
Sur le long terme, «les banques commerciales lanceront un stablecoin, prédit Camille Lambert. La question est de savoir quelles grandes banques commerciales, sous tutelle de la BCE, auront la capacité de lui démontrer qu’elles ne mettent pas en péril le contrôle de la dette.»
Selon la spécialiste, «les banques sont conscientes qu’elles perdront tout un marché si elles ne développent pas leur stablecoin à terme. Visa et MasterCard, par exemple, l’utilisent déjà elles-mêmes et développeront à terme une version interne. C’est un grand paradoxe que les banques commerciales ne se lancent pas vraiment.»
5. Le stablecoin peut-il bousculer les paiements internationaux?
Sur le long terme, tant le stablecoin que les autres cryptoactifs «remettent en question tous les transferts de paiement internationaux pour les banques», observe encore Bernard Keppenne. Avec un déplacement du centre névralgique vers la blockchain. «C’est d’ailleurs dans ce domaine que les néo-banques ont taillé des croupières aux banques traditionnelles.»
La situation actuelle «nous montre qu’il faudra apprendre à fonctionner avec deux systèmes». Le premier, plus traditionnel, «qui garde sa pertinence». Le second, plus moderne, plus rapide, mais qui «comporte le danger de faire émerger un acteur en particulier (les Etats-Unis) avec une devise particulière (le dollar) dans un système censé rester international.»
«Les banques sont conscientes qu’elles perdront tout un marché si elles ne développent pas leur stablecoin à terme»
Les frais de la finance traditionnelle «sont gigantesques –reporting réglementaire, fonction de contrôle–, rappelle Camille Lambert. La blockchain permet moins de frais, plus de sécurité, plus de rapidité et d’automatisation.»
Dans cette course aux paiements du futur, le stablecoin semble tracer sa route comme une fusée… et certains redoutent qu’il finisse par percuter la planète «finance classique». Reste à savoir si les banques centrales sauront jouer les contrôleurs de vol, ou si elles resteront clouées au sol, à regarder la blockchain décoller sans elles.