Dans quatre provinces sur dix et à Bruxelles, l’eau du robinet atteint des niveaux de calcaire parmi les plus élevés au monde, sans être considérée comme un enjeu sanitaire par les distributeurs. Entre surconsommation d’énergie, usure accélérée des appareils et achat de produits d’entretien, cette dureté se traduit par une série de coûts cachés pour les ménages, avec de fortes disparités géographiques.
La gestion du calcaire suit un jeu d’équilibriste. Il ne faut pas que l’eau soit trop douce, ni trop dure, mais qu’elle se situe à un taux idéal de 150 mg/L de carbonate de calcium. Dans quatre provinces belges sur dix et à Bruxelles, les taux avoisinent les 350 à 400 mg/L, faisant de la Belgique l’un des pays les plus calcairisés au monde. «Une telle dureté de l’eau ne peut qu’avoir un impact négatif, surtout sur les canalisations. Les villes et banlieues de Bruxelles, la Flandre et le Hainaut sont particulièrement touchés par de hauts taux de calcaire. Depuis des années, nous recommandons aux autorités de se tourner vers une solution anti-tartre adaptée à un tel besoin», explique le responsable d’une entreprise française d’anti-calcaire.
Le tartre s’accumule et donne aux embouts du robinet des allures de cavernes humides. Se dépose sur les surfaces des douches, éviers et miroirs de la salle de bains, et place le vinaigre en haut de la liste des courses, dépense quasi incontournable pour les ménages situés en zone d’eau «dure». Si le calcaire n’a pas d’effet sur la santé, son impact est davantage économique. Une zone d’eau douce, ou modérément dure, va être épargnée de dépenses se chiffrant parfois à plusieurs centaines d’euros par an. Là où les ménages en zone fortement calcairisée (de 250 à plus de 400 mg/L), vont accumuler des factures discrètes mais impactantes.
Pour la Société wallonne des eaux (SWDE), le traitement du calcaire à large échelle n’est pas concevable: «La charge économique serait immense. Nous ne faisons pas de profits et travaillons à prix coûtant. Donc si nous devions traiter le calcaire, ces coûts se répercuteraient sur la facture du citoyen. Notre rôle est de contrôler et faire respecter des normes sanitaires. La gestion du calcaire est plutôt de l’ordre du confort et laissée à l’appréciation de chacun. Les coûts liés le sont donc aussi», explique Benoît Moulin, porte-parole de la SWDE. S’attaquer au traitement du calcaire serait en effet une tâche très ardue. Deux tiers de l’eau potable belge provient de nappes phréatiques calcaires.
Facture du calcaire
En zone à haut taux de calcaire, par rapport à une zone douce, le surcoût pour un ménage moyen se joue sur quatre postes: énergie, produits ménagers, entretien/renouvellement d’appareils et équipements de traitement de l’eau. En cumul, cela peut représenter de quelques dizaines à plusieurs centaines d’euros par an selon la dureté de l’eau, le type d’installation, l’état des canalisations ou le niveau d’entretien des conduits.
Selon une étude du Carbon Trust, organisme britannique public de conseil en efficacité énergétique, une couche d’un millimètre de tartre sur un échangeur suffit à augmenter d’environ 7% l’énergie nécessaire pour chauffer l’eau. A 1,6 mm de dépôt, cela entraîne une perte de rendement de 12%. Passé 3 mm de tartre, la consommation grimpe d’environ 25%.
Du côté des électroménagers, cette même étude a analysé l’impact du calcaire sur la durée de vie des appareils. Les dépôts peuvent s’accumuler dans tout ce qui chauffe à l’eau: fer à repasser, machine à laver, lave-vaisselle… Si pour les machines à café ou les bouilloires la couche de tartre est visible à l’œil nu, pour l’électroménager, le phénomène reste parfois caché à l’intérieur de la cuve et des tuyaux jusqu’au moment où le dysfonctionnement devient visible. Les chercheurs du Carbon Trust ont testé plusieurs appareils avec des taux variables d’eau chargée en calcaire et sont arrivés à un constat: «Une eau dure réduit l’espérance de vie de l’électroménager d’environ 30 à 50% par rapport à une utilisation avec de l’eau douce.» En d’autres termes, un ménage du Hainaut sera condamné à investir davantage de son budget dans des machines à laver que quelqu’un vivant en province du Luxembourg.
Dans les zones les plus calcairisées, la cadence des entretiens s’accélère et le recours au plombier finit par devenir une dépense régulière. Détartrage de chauffe eau, remplacement de résistances grillées, mitigeurs bloqués ou pommeaux de douche colmatés s’enchaînent au fil des années, avec à chaque fois une facture à trois chiffres qui s’ajoute au coût invisible du calcaire.
Surdose onéreuse
Dans les produits de lessive comme dans les tablettes pour lave-vaisselle, la dureté de l’eau est intégrée dès la conception. Les fabricants savent que le calcium et le magnésium «captent» une partie des agents lavants. D’ailleurs, la plupart des produits affichent un petit tableau de dosage avec trois colonnes, eau douce, moyennement dure et dure.
«En théorie, le consommateur est invité à adapter ses doses à la dureté locale de l’eau. Dans la pratique, beaucoup de ménages ne savent pas dans quelle catégorie ils se situent géographiquement. Par précaution, la tentation est forte de viser systématiquement le haut de la fourchette, surtout quand le linge ressort terne, que la vaisselle présente un voile blanc ou que l’on observe des dépôts de calcaire dans la cuve, explique Christelle Leduc, porte-parole de l’association de consommateurs Que Choisir. A l’échelle d’un an, ce surplus de poudre, de tablettes et d’additifs représente un coût supplémentaire récurrent, directement lié à la dureté de l’eau et au fait que le dosage normal ne suffit plus à compenser les effets du calcaire.»
Appareils qui vieillissent plus vite, réparations plus fréquentes, remplacement anticipé, surconsommation d’électricité, surdosage de produits ménagers et achat régulier de détartrants spécifiques… Ces coûts n’apparaissent sur aucune ligne de facture identifiée «calcaire», mais pèsent sur le budget de manière cumulée, année après année.
Inégalités géographiques

Sur la carte, les taches rouges correspondent aux communes qui s’alimentent presque exclusivement dans des nappes souterraines profondes installées dans des roches calcaires ou crayeuses, très riches en calcium et magnésium, ce qui donne une eau extrêmement dure.
Autour de ces noyaux, la ceinture orange signale des zones qui dépendent des mêmes grands puis de calcaires, mais où l’eau est soit un peu moins minéralisée, soit mélangée à d’autres ressources plus douces. Par exemple, de l’eau de surface ou une seconde nappe, ce qui abaisse la dureté sans la faire disparaître.
A l’inverse, les zones bleues se trouvent là où les captages se font dans des sols avec peu calcaires, ou à partir de barrages et de rivières. Cela donne une eau nettement moins chargée en calcaire, parfois à seulement quelques kilomètres de communes classées en rouge.