Le gouvernement wallon a promis d’accélérer le traitement des primes Habitation, qui peut atteindre deux ans. Les experts agréés, eux, déplorent un manque de confiance.
«Au 1er août 2025, l’administration traite les dossiers introduits le 10 janvier 2024 (primes travaux) et le 15 septembre 2024 (primes audit). Le traitement des demandes introduites dans le régime de soutien 2025-2026 commencera après l’examen de celles introduites dans le régime 2023.» La précision figure en tête de la page dédiée au régime transitoire de primes Habitation de la Wallonie, entré en vigueur le 14 février dernier. Pour rappel, le ministre-président wallon Adrien Dolimont (MR), déjà en charge du Budget sous la précédente législature, affirmait alors avoir découvert un «véritable dérapage budgétaire» des primes à la rénovation énergétique. La ministre de l’Energie, Cécile Neven (MR également), annonçait dans la foulée l’instauration avec effet (presque) immédiat d’un régime transitoire jusqu’en octobre 2026, le temps de stopper l’hémorragie des finances wallonnes et de plancher sur une refonte complète du système.
Les délais pour les primes, insoluble casse-tête?
La question des «délais» est omniprésente dans la déclaration de politique régionale (DPR) d’une majorité MR-Les Engagés souhaitant un «choc de simplification administrative». Les primes Habitation constituent un terreau particulièrement propice àl’expression d’un tel talent: comment réussir à réduire significativement les délais de traitement, là où les autres ont échoué? En novembre 2023, l’ex-ministre wallon de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo), promettait déjà un important renfort-caisse pour traiter les demandes de primes, à savoir un doublement, dans les deux ans, des effectifs. Entre-temps, le délai jugé «hallucinant» par Les Engagés, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, ne s’est pas réduit. Pire: la mort subite du précédent régime de primes en février dernier a généré une avalanche de 24.000 demandes de dérogations dans les deux semaines qui ont suivi.
50.126 dossiers en attente
Au 30 juin 2025, il subsistait quelque 50.126 dossiers en attente de traitement, tous régimes de primes Habitation confondus, selon les chiffres communiqués au Vif par le cabinet Neven. Interrogée en avril dernier par la députée Eliane Tillieux (PS), la ministre avait énuméré une série de mesures en préparation ou déjà effectives pour réduire les délais: CDD, ajustements logiciels, rassemblement des équipes Logement et Energie, adaptations de formulaires… «Des paroles, des paroles… En quoi le fait de rassembler des équipes va accélérer le traitement des dossiers?», questionne Eliane Tillieux. «Je confirme que la priorité de mon administration est bien de résorber le retard historique dans le traitement des primes, dont j’ai hérité et qui retient toute l’attention de ce gouvernement», indique Cécile Neven au Vif. Elle attribue les délais actuels à deux grands facteurs:
– «Un système beaucoup trop complexe sur le fond et administrativement parlant, à la suite de quatre régimes différents qui se sont succédés dans le temps»;
– «Une absence de centralisation des traitements au sein d’une même équipe.»
Une rigueur démesurée?
Le problème ne serait-il pas davantage une question de posture? Selon les professionnels, la longueur des délais trahit une rigueur souvent démesurée. Fruit d’une initiative commune de l’Union wallonne des architectes, du Cluster Eco-construction et d’Embuild Namur-Brabant Wallon, l’asbl En’Hestia est aux premières loges pour dresser un tel constat. Depuis 2022, elle accompagne des candidats rénovateurs dans les méandreuses démarches: diagnostic (Quickscan) du logement, audit énergétique, puis un suivi pendant et après les travaux. «Bref, nous accompagnons les candidats tout au long du processus de rénovation, en ce compris les primes», résume Yvain Stiennon, architecte-auditeur et responsable technique chez En’Hestia.
Son diagnostic est limpide: «La trajectoire de rigueur administrative est de plus en plus tatillonne. Pour la moindre virgule manquante, elle demande des renseignements supplémentaires. Par ailleurs, à chaque changement de système de primes, il arrive que la Région demande des documents qui n’étaient pas nécessaires lorsque le candidat a constitué son dossier. Les gens tombent alors des nues. Finalement, certains préfèrent renoncer à leur projet de rénovation.»
«La Région crée des règles, forme des personnes, leur octroie un agrément, mais les contrôle comme si elles n’étaient pas des expertes.»
A la décharge de la Région, il est compliqué de définir un juste contrôle des primes. Trop souple, il risque de favoriser les abus; il y a plus de dix ans, il était possible qu’un candidat obtienne des primes sans même avoir effectué les travaux, admettent certains observateurs. Trop rigide, le contrôle freine, voire éteint l’indispensable rénovation du bâti wallon, dont la cadence actuelle reste à une distance abyssale du rythme nécessaire pour amener les logements au label A en 2050.
En’hestia note aussi un manque de confiance vis-à-vis d’experts pourtant agréés par la Région, dont elle réexamine le travail déjà minutieux. Cette posture de méfiance dessert toutes les parties, y compris une administration qui manque de ce fait une opportunité de sous-traiter une partie de l’analyse à des acteurs compétents: architectes, auditeurs, certificateurs… «C’est une situation contradictoire, appuie Yvain Stiennon. La Région crée des règles, forme des personnes en ce sens, leur octroie un agrément, mais les contrôle comme si elles n’étaient pas des expertes. C’est particulièrement frustrant pour nous.»
Eviter les pièges
Après avoir déjà patienté de longs mois, le candidat à la prime non averti risque de voir sa demande recalée pour de multiples raisons. Le responsable technique chez En’Hestia livre à cet égard quelques conseils:
– Garder des devis détaillés, où figurent chaque poste de travaux ainsi que les factures, mentionnant la référence des devis;
– Prendre des photos avant, pendant et après les travaux. S’il est logique de prendre des clichés à leur terme, bon nombre de particuliers oublient d’en faire de même avant et pendant, ce qui constitue une preuve qu’ils ont bien eu lieu (quand ils ne sont pas visibles);
– Consulter le service Urbanisme de sa commune pour savoir si un permis est nécessaire et si une phase de rénovation (l’isolation par l’extérieur, par exemple) nécessite des contraintes particulières.
Pour Yvain Stiennon, les considérations urbanistiques constituent en effet un frein important, même quand les habitants peuvent faire les démarches sans passer par un architecte: «Ce qu’ils ignorent, c’est que les documents à remplir seront les mêmes que ceux demandés à un professionnel.» De tels formulaires n’ont rien d’intuitif pour le grand public et les informations requises ne lui sont pas toujours accessibles. «Sans une vision plus souple sur le plan urbanistique, les rénovations continueront de coincer dans les prochaines années», avance l’architecte.
Externaliser le traitement des primes
De façon plus conjoncturelle, le piratage informatique dont la Wallonie a été victime n’a pas aidé à désengorger le couloir des demandes de primes. Idem en raison de la réforme-surprise de février dernier, promulguée quelques mois plus tard. «Dans cet intervalle, la Société wallonne du crédit social (NDLR: SWCS, auprès de qui les citoyens peuvent solliciter des prêts à taux zéro) a dû placer toutes les demandes reçues en liste d’attente.»
Pour la réforme d’octobre 2026, «nous sommes occupés à concevoir le nouveau système de soutien global à la rénovation en réfléchissant, en amont de la conception des textes, à la digitalisation des processus, de sorte que les délais de traitement soient réduits autant que possible», garantit Cécile Neven. Et d’ici-là, comment résorber une partie du retard? «L’administration étudie actuellement l’opportunité d’une externalisation temporaire d’une partie du traitement des primes», révèle-t-elle, ajoutant que la Wallonie «revient de loin: jusqu’à 120 primes ont coexisté.»