
La 5e régularisation fiscale en Belgique en 5 questions: amendes, montants récoltés et «fraudeurs de bonne foi»

Une nouvelle régularisation fiscale sera lancée le 1er juillet 2025, de quoi garnir les caisses de l’Etat belge en permettant aux fraudeurs de s’absoudre. C’est la 5e fois depuis 2004 qu’une telle opération est utilisée par le gouvernement, non sans poser quelques questions. Qui participe? Quels montants sont en jeu? Y a-t-il des «fraudeurs de bonne foi»? Réponse en cinq temps avec deux experts des questions fiscales.
Revenir dans le droit chemin, en payant une amende, voilà en substance l’idée du gouvernement fédéral en lançant une nouvelle opération de régularisation fiscale, dès le 1er juillet 2025. Il s’agit de la cinquième du genre depuis 2004.
Concrètement, les contribuables pourront, à partir de cette date, rapatrier de l’argent non déclaré et le régulariser en s’acquittant de l’impôt normalement dû sur ce dernier, majoré d’une taxation supplémentaire. Le supplément pour obtenir cette amnistie fiscale sera de 30% et atteindra même 45% si les capitaux sont fiscalement prescrits (ne pouvant normalement plus donner lieu à taxation par l’administration fiscale).
De quoi éviter les poursuites et faire retourner ses avoirs dans le circuit officiel. Une procédure qui ne vaut évidemment pas pour les montants provenant d’activités criminelles ou les infractions graves et répétées.
Pourquoi relancer cette procédure maintenant et qu’est-ce que cela implique? Réponse en cinq temps.
1. Combien rapportent ces régularisations à la Belgique?
En 20 ans, les processus successifs de régularisation d’argent «gris» ont rapporté près de quatre milliards à l’Etat belge, en quatre opérations, en 2004, 2006, 2013 et 2016. La première opération, initiée par Didier Reynders au sein du gouvernement Verhofstadt, avait permis de rapatrier 498 millions d’euros en une année. Les modalités ont ensuite varié, concernant le taux des amendes à payer notamment, ainsi que sur la durée des périodes de régularisation.
La dernière procédure de régularisation fiscale, dite «DLU quater» pour «déclaration libératoire unique», a commencé en août 2016 et a pris fin le 31 décembre 2023. Elle appliquait des amendes 5% moins élevées que celles prévues par le gouvernement Arizona dans cette 5e mouture. Un montant estimé entre 70 et 80 millions d’euros pourrait revenir dans les caisses de l’Etat avec cette nouvelle opération.
«Il reste difficile d’estimer ce que cela peut rapporter. Un point est certain en revanche lors qu’on évoque les dernières DLU: c’est souvent moins qu’escompté. A mesure que les pénalités augmentent, la DLU devient moins intéressante. La première avait particulièrement bien fonctionné, moins la DLU quater qui s’est achevée en 2023», reconnaît Emanuele Ceci, avocat associé chez Bazacle & Solon et maître de conférences invité à l’UCLouvain.
«L’administration fiscale dispose de certaines informations qui permettent probablement des estimations, mais le point central est de savoir si les contribuables passeront effectivement à l’action. Actuellement, il n’y avait plus de procédure permettant une régularisation, la réouverture pourrait débloquer certains dossiers», ajoute l’avocat Olivier Querinjean (cabinet CMS), spécialiste des questions fiscales.
2. Qui profite de la déclaration libératoire unique?
Les contribuables repentis, ça court les rues? Probablement pas, même si la DLU s’adresse en vérité à tout le monde. Elle a notamment permis aux banques d’accepter le rapatriement d’actifs dont l’origine n’était pas toujours traçable, par exemple dans le cas de très vieux dossiers. La législation anti-blanchiment oblige en effet les banques à faire preuve de vigilance lorsque des capitaux étrangers sont transférés sur un compte belge. Faute de preuve sur l’origine ou sur le régime d’imposition appliquée, les avoirs étaient parfois tout simplement bloqués.
«Il y a tous les profils dans les contribuables qui utilisent la DLU: de l’héritier qui récupère un compte bancaire à l’étranger, à celui qui a géré de manière plus active son patrimoine en pensant être dans les clous en s’acquittant de certaines taxes dans d’autres pays, ou celui qui a perçu des revenus professionnels à l’étranger qui sont aujourd’hui prescrits car c’était il y a plus de dix ans», détaille Olivier Querinjean.
«Une DLU n’est pas faite pour aider les fraudeurs. C’est une manière de régulariser des situations, de permettre à des contribuables de reprendre le contrôle sur des avoirs, de les faire revenir dans le circuit belge, en échange d’une pénalité qui est loin d’être négligeable, renchérit Emanuele Ceci. Si vous n’avez plus cette possibilité, la seule manière d’éviter de passer par une régularisation, c’est de prouver que le capital a bien subi le régime d’imposition attendu. Mais comment démontrer qu’il y a plus de dix ans vous avez investi votre propre épargne dans un compte à l’étranger? Produire une preuve est parfois extrêmement compliqué.»
3. Est-ce contradictoire avec la lutte contre la fraude fiscale?
Le message est devenu un slogan chez certains politiques: la lutte contre l’évasion fiscale est un objectif important pour rééquilibrer la balance, pour que chacun contribue à sa juste part à l’effort fiscal. Amnistier, en échange d’une amende, des comportements qui relèvent de l’infraction fiscale, est-ce audible?
«Ça peut paraître paradoxal de vouloir lutter contre la fraude et de permettre à un fraudeur de se mettre en ordre. Mais on parle ici d’une sorte d’amende pour se repentir. Et le but des personnes qui profitent de ça, c’est également de faire revenir dans le circuit belge des capitaux. Il ne faut pas oublier que c’est parfois la banque qui bloquait, par prudence, l’arrivée de capitaux de l’étranger, en demandant si ce revenu a été fiscalisé, s’il a été taxé. Sans preuve, il fallait d’office passer une régularisation. Permettre de réintégrer de l’argent dans le circuit belge, via une procédure encadrée, ça ne semble pas être une mauvaise chose pour l’économie belge», poursuit l’avocat chez Bazacle & Solon.
«Offrir la possibilité au contribuable qui a pu frauder ou omettre de déclarer certains revenus, de régulariser sa situation ne semble pas quelque chose d’anormal. On ne fait pas vraiment de cadeau à ceux qui veulent régulariser. Difficile de dire qu’il y a un avantage ou une prime à la fraude avec ce système», ajoute Olivier Querinjean.
4. Y a-t-il des «fraudeurs de bonne foi»?
«Les cas malheureux, ça existe, sans doute plus qu’on ne l’imagine, avance Emanuele Ceci. La matière fiscale est complexe, la méconnaissance de certaines règles peut conduire à des situations compliquées. Par exemple, le cas d’une personne avec un compte à l’étranger, qui paie déjà une taxation et ne sait pas nécessairement que ce compte devrait également être déclaré en Belgique.»
Une proposition envisagée, lors des discussions du gouvernement, consistait à établir un régime différencié pour des contribuables de bonne foi, notamment pour les héritiers. «Ceux-ci auraient pu avoir un prélèvement qui aurait été plus faible et qui aurait augmenté au fur et à mesure des années. C’était une mesure qui avait du sens, car ils peuvent ne pas savoir quelles étaient leurs obligations et on leur permet ainsi de s’amender à un coût qui était un peu plus faible», explique l’avocat. Une distinction qui n’est plus à l’ordre du jour, selon les informations évoquées à ce stade sur la prochaine régularisation fiscale.
5. Cela donne-t-il un sentiment d’impunité?
«Le sentiment d’impunité serait réel si la sanction n’existait pas. Or, quelqu’un qui régularise, il paye une sanction par l’impôt plus une amende. En regardant les taux pour des capitaux non prescrits, pour certains cas il faudra s’acquitter de l’impôt de 30% plus la pénalité de la même hauteur. Une retenue de 60%, je pense que c’est loin de l’impunité», explicite Emanuele Ceci.
«Du côté des revenus prescrits, qui ne peuvent pas être rectifiés fiscalement ou pour lesquels on ne peut plus percevoir d’impôts, le taux de 45% est loin d’être une faveur. C’est sans doute aller loin dans le propos que de parler d’impunité», complète son confrère.
Si le système peut donner l’impression de laisser se poursuivre des situations d’infractions, ou d’être un aveu de faiblesse quant à la difficulté de tout contrôler au niveau fiscal, c’est peut-être finalement mieux que rien, selon Emanuele Ceci. «Si les Etats pouvaient détecter facilement tous les fraudeurs, on ne serait pas dans cette situation. Mais il y a la libre circulation des personnes et des capitaux. Autant avoir une procédure qui permette à une personne de pouvoir spontanément se mettre en ordre.»
De là à pérenniser la procédure dans le temps? «Sans ce type de régularisations, il peut y avoir des situations délicates. Certains pays les ont figés dans une loi pour les rendre permanentes. Cela peut avoir du sens. Tout comme on peut comprendre qu’on veuille limiter ça dans le temps pour s’assurer que les contribuables soldent, une fois pour toutes, leur situation fiscale avec le trésor», conclut Olivier Querinjean.
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