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L’économiste Paul De Grauwe estime que les banques belges forment un «cartel implicite».

«En Belgique, les banques forment un cartel implicite»: l’épargnant toujours plus lésé

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’épargnant belge est doublement pénalisé: la combinaison de taux d’intérêt faibles et d’une inflation forte rend l’épargne très peu avantageuse par rapport à d’autres pays voisins. Des éléments équilibrent la balance, mais pas au point de relancer une concurrence bancaire suffisante.

En-dessous de la moyenne pour l’épargne. Au-dessus de la moyenne pour l’inflation. Deux constats, accumulés, qui placent l’épargnant belge en mauvaise posture. Par rapport aux pays voisins, il est donc doublement pénalisé: à la fois par des taux d’intérêt bancaires largement sous la moyenne de la zone euro, mais aussi par une hausse des prix à la consommation plus élevée qu’ailleurs. Résultat des courses: le taux d’intérêt dit «réel» sur l’épargne est très mauvais.

«Les nouvelles données de la BCE montrent qu’en Belgique, le taux d’intérêt moyen payé par les banques sur les dépôts d’épargne reste inférieur aux taux payés par les banques de la plupart des autres pays de la zone euro», partage Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, dans sa nouvelle note.

Ce taux moyen, estimé en mars 2025, était de 0,89% en Belgique, contre 2,2% au Grand-Duché de Luxembourg, 2,1% en France, 1,4% aux Pays Bas ou 1,3% en Italie, par exemple.

Ce n’est pas une nouveauté: le taux moyen sur l’épargne s’est longtemps traîné en Belgique. A 0,09% jusqu’en décembre 2022, puis, suite à la crise inflationniste et la hausse des taux directeurs induite par la BCE, il avait légèrement augmenté jusqu’à un maximum de 1,03% en décembre 2023. Mais là aussi, «cette hausse du taux moyen sur les dépôts d’épargne en Belgique avait été très inférieure aux augmentations enregistrées presque partout ailleurs.»

Taux d’intérêt réel: l’épargnant belge pénalisé

En Belgique, «les épargnants sont donc particulièrement pénalisés», souligne Eric Dor. Car l’inflation y est supérieure à beaucoup de pays… et où les taux d’intérêt sur l’épargne sont supérieurs. «Ainsi, l’inflation, sur base de l’indice harmonisé des prix à la consommation s’élève à 3,1% en Belgique contre 0,8% en France. La différence de taux d’intérêt réel est donc énorme.»

Pour l’épargnant, «le taux réel est même négatif, alerte Paul De Grauwe, professeur d’économie à la London School of Economics. Au regard de l’inflation et des taux d’intérêt faibles, le client perd de l’argent lorsqu’il épargne. Et quand les taux d’intérêt réels sont négatifs, il est plus avantageux d’emprunter que d’épargner.»

Les banques profitent de l’épargnant passif

Tout n’est pas négatif. En Belgique, les taux payés par les banques sur les comptes à terme sont plus fringants (2,09% en mars 2025 en moyenne), «moins inférieurs», pourrait-on dire, aux conditions offertes aux Pays Bas (2,4%) et en France (2,34%), et même très légèrement supérieurs aux conditions au Grand-Duché de Luxembourg (2,06%).

«Cela reflète la stratégie des banques en Belgique qui préfèrent se concurrencer sur le segment limité des dépôts à terme, pour attirer les épargnants dynamiques, plutôt que sur la masse des dépôts d’épargne réglementée, observe Eric Dor. Cela leur coûte aussi moins cher; elles peuvent profiter de l’inertie des épargnants passifs dont beaucoup négligent les meilleurs taux offerts par certaines petites banques.»

«Les banques belges profitent de l’inertie des épargnants passifs.»

Eric Dor

Pourtant, les comptes à terme sont largement moins populaires que les comptes d’épargne. En mars 2025, les dépôts d’épargne réglementés réunissaient 284,5 milliards d’euros. Les comptes à terme, eux, se limitaient à 56,8 milliards d’euros.

Pour les banques, les comptes à terme sont plus sûrs, puisque l’argent y est bloqué pour une durée déterminée. Pour cette raison, elles se permettent de proposer de meilleurs taux. «Avec les comptes à terme, les banques ont la certitude que les fonds ne bougeront pas pendant la durée définie. Tandis que les fonds d’épargne peuvent être retirés à n’importe quel moment», distingue Paul De Grauwe.

Des taux hypothécaires plus faibles

En contrepartie d’une épargne moins avantageuse, «le taux moyen exigé par les banques sur les nouveaux prêts immobiliers est inférieur en Belgique à ce que demandent les banques de la plupart des autres pays de la zone euro», analyse Eric Dor.

Ainsi, en mars 2025, le taux moyen des nouveaux prêts immobiliers résidentiels se limitait à 3,07% en Belgique, contre par exemple 3,7% en Irlande, 3,5% aux Pays Bas et au Grand-Duché de Luxembourg… En France, ce taux est toutefois encore très légèrement inférieur (3,05%).

Les taux sur les prêts à la consommation sont également inférieurs à ce qu’exigent les banques de la plupart des autres pays de la zone euro. «En Belgique, il est donc plus avantageux d’emprunter que d’épargner sur des comptes d’épargne réglementés.»

Banques: cartel implicite et inaction politique

Mais alors, comment se fait-il que l’épargne soit si peu rémunérée en Belgique? «Il est évident que le marché bancaire belge manque de compétition. Les banques forment un cartel implicite, lance Paul De Grauwe. Elles ne se concertent pas officiellement pour fixer les taux d’intérêt, mais une coordination tacite existe. Chacune observe les décisions des autres et ajuste son comportement en conséquence. En réalité, il s’agit d’une situation d’oligopole où quelques acteurs dominants se comprennent sans avoir besoin de se parler ouvertement.»

«Les banques belges forment un cartel implicite.»

Paul De Grauwe

Ce manque de concurrence se fait au détriment des consommateurs. «Les autorités n’interviennent pas, et laissent passer. Or, aucune raison ne justifie cette inaction politique», déplore l’économiste.

Selon lui, le gouvernement pourrait par exemple forcer les banques à appliquer un taux d’intérêt minimum, une sorte de «taux plancher» à respecter. «C’est juste une question de législation. D’ailleurs, lorsque l’inflation a fortement augmenté, tout comme les taux directeurs de la BCE, des propositions politiques avaient émergé en ce sens. Mais aucun consensus politique n’avait alors été trouvé.»

Comment imposer plus de concurrence? C’est toute la question. «Une autorité est chargée de la surveiller, mais a-t-elle vraiment un pouvoir d’action? Et comment prouver que des accords implicites sont noués entre les institutions bancaires?», s’interroge Paul De Grauwe.

Favoriser l’arrivée de banques étrangères en Belgique pour relancer la concurrence?

Sous la Vivaldi, «les banques avaient une peur bleue de l’émission des bons d’Etat, dit-il. Elles ont subi une perte directe de fonds d’épargne. C’est la seule action politique, en Belgique, qui les a fait réagir. L’Arizona pourrait renouveler ce genre d’opérations, pour à nouveau exercer plus de pression.»

«Les banques avaient une peur bleue de l’émission des bons d’Etat. L’Arizona pourrait renouveler ce genre d’opérations, pour à nouveau exercer plus de pression.»

Paul De Grauwe

L’Union bancaire européenne pourrait aussi introduire plus de concurrence via, par exemple, «l’arrivée de banques étrangères sur le sol belge», suggère Paul De Grauwe.

Les banques en ligne (les fintech) ont également leur rôle à jouer en proposant des taux plus attractifs que les banques classiques. «Mais il faut aussi s’en méfier, tempère l’économiste. Lors de la crise financière de 2008, des banques islandaises proposaient des dépôts d’épargne online. Elles ont connu des gros problèmes financiers par la suite.»

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