Après l’euphorie du tatouage, la mode est au détatouage. Facile et rapide sur les réseaux sociaux, dans la vraie vie, c’est une autre histoire. En fonction de l’encre, de la taille ou de l’endroit du dessin, le détatouage peut devenir un parcours long et fastidieux.
En août dernier, Jean-Pascal, 62 ans, s’est mis en tête de se faire retirer deux tatouages. Résultat? «L’un a disparu sans trace, l’autre se devine encore», raconte le sexagénaire. Nés d’un pari entre copains et d’un amour de jeunesse qu’il avait voulu graver dans sa peau, ses tatouages se sont estompés en une seule séance dans un centre de détatouage. «Psychologiquement, je revis», confie l’homme. Le processus a été rapide et n’a pas dépassé les 59 euros. Pour d’autres tatoués, l’expérience est tout autre.
Sur le site Reddit, les témoignages de désillusion pleuvent. «Personne ne vous dit à quel point tout ce processus est épuisant émotionnellement. Mon premier tatouage est sorti complètement en quatre séances (…) Ensuite, je suis passé au deuxième tatouage et je ferai demain ma sixième séance sur mon visage. Cela a toujours l’air vibrant, et c’est parfois épuisant à regarder», écrit un utilisateur. La déception vient souvent d’images idéalisées sur les réseaux, de vidéos qui promettent un résultat express et accessible. Ces bulles blanchâtres qui surgissent à la surface de la peau pendant l’«opération» entretiennent l’illusion d’un succès immédiat. En réalité, le miracle n’a souvent pas lieu et la facture grimpe vite. «Sur Internet, c’est toujours merveilleux, mais pas tout à fait la réalité», insiste Dominique Tennstedt, dermatologue.
Des séances et des prix parfois en cascade
Selon l’émission Quotidien, l’humoriste et comédien américain Pete Davidson aurait dépensé près de 200.000 euros pour faire disparaître 200 tatouages. «Il faut compter trois à quatre séances pour les cas les plus légers, six à dix pour les plus complexes, précise Dominique Tennstedt. Comptez 100 euros pour cinq cm² et 200 pour 40.»
Pas de remboursement possible par l’Inami
Si l’Institut national d’assurance maladie-invalidité rembourse le tatouage du mamelon et de l’aréole dans le cadre d’une reconstruction mammaire autologue consécutive à un cancer du sein par exemple, ce n’est pas le cas pour le détatouage. «L’assurance soins de santé ne rembourse pas les prestations qui ne sont ni curatives ni préventives», rappelle l’Inami.
Outre, évidemment, la taille, la couleur aussi a une incidence. «Le noir et le bleu foncé sont les plus faciles à enlever. Le pire? Le rouge, le jaune et le vert», grimace Dominique Tennstedt. Moins la peau contraste avec l’encre, plus la mission devient compliquée.
La façon dont le tatouage a été réalisé a également une influence. «Il est plus difficile de se débarrasser de tatouages artisanaux, faits par un ami avec une aiguille et de l’encre, que ceux réalisés chez un professionnel», explique le dermatologue. En cause? Des différences de profondeurs d’encre parfois importantes.
Et toutes les encres n’affichent pas la même qualité. «En Asie et en Turquie, il y a parfois des métaux dans les substances utilisées. Les tatouages sont alors éliminables à 90% seulement et après davantage de séances», explique Bruno D’hont, le fondateur de Medi-Invest qui fournit et entretient des appareils de thérapie laser et de luminothérapie notamment. Parmi eux: le pico laser médical. Une technologie moderne qui coûte cher. Son prix? 167.000 euros. «Une fois la machine payée, il y a l’entretien –proportionnel au nombre d’impacts réalisés–et l’assurance», ajoute Muriel Creusot, une dermatologue chirurgicale et médicale qui pratique le détatouage au laser.
«Beaucoup d’esthéticiennes travaillent avec des appareils chinois à 10.000 euros qui ne font que chauffer les pigments.»
Des séances parfois à risques
Mais pour Bruno D’hont, le résultat et la sécurité ne sont pas comparables avec des appareils bon marché. «Beaucoup d’esthéticiennes travaillent avec des appareils chinois à 10.000 euros qui ne font que chauffer les pigments», dénonce le fondateur de Medi-Invest. Résultat? La peau s’épaissit, le tatouage vire au gris ou s’oxyde mais ne s’efface pas. Les pigments ne sont pas éclatés. Pourtant, «une séance de détatouage est censée faire exploser les pigments–que j’assimile à une falaise– en rochers. Les rendez-vous suivants les transforment en pierres, en cailloux, puis en grains de sable», explique Muriel Creusot.
Avec des machines low cost et non conformes, les risques explosent: troubles de la pigmentation, infections, brûlures. «On peut avoir une hyperpigmentation ou une hypopigmentation, des cicatrices hypertrophiques (en relief), voire chéloïdes (qui font suite à une brûlure). Surtout pour des personnes avec la peau foncée», liste Dominique Tennstedt. Des cas loin d’être exceptionnels, selon ce professionnel de la santé.
Pourtant, le détatouage est un acte médical. «Il ne peut donc pas être effectué en institut, mais ce n’est pas toujours respecté. Le Conseil supérieur de la santé fait des contrôles, mais on récupère quand même des personnes avec des effets secondaires», déplore Muriel Creusot. Une procédure rigoureuse et éthique doit être appliquée. «On fait remplir un formulaire de consentement éclairé et un questionnaire pour déceler d’éventuelles contre-indications. Il y a un délai de réflexion de quinze jours et des prescriptions de crèmes anesthésiantes, cicatrisantes et anti-UV», décrit la dermatologue.
«Les gens se sont rendus compte que les tatouages, notamment sur le visage ou les bras, pouvaient être un frein pour exercer dans certains secteurs, comme l’enseignement. Ils ont aussi pris conscience que le corps et ses tatouages vieillissent.»
Malgré tout, une tendance grandissante
En dépit de ces coûts et risques, la mode est bien au détatouage. «Il y a cinq ans environ, avec les réseaux sociaux, le rapport au corps a changé avec des standards de normalité et de beauté différents», contextualise Marie-Noëlle Tenaerts. Pour la sociologue qui a notamment travaillé sur les marquages corporels, «les gens se sont rendus compte que les tatouages, notamment sur le visage ou les bras, pouvaient être un frein pour exercer dans certains secteurs. Ils ont aussi pris conscience que le corps et ses tatouages vieillissent».
Muriel Creusot observe également une demande grandissante pour le détatouage: «Ce sont souvent des patientes qui regrettent d’avoir voulu marquer un moment de leur vie sous le coup d’une impulsion». Outre les tatouages souvenirs, ceux des sourcils, des lèvres et des cernes font partie des cas traités par la professionnelle de santé. Chaque dessin impose sa propre stratégie. «Avec le laser, il faut parfois jongler entre différentes longueurs d’onde pour rester efficace: au fil des séances, le noir peut virer à l’orange, puis au jaune», observe Muriel Creusot. Pour éviter des surprises, Dominique Tennstedt conseille de se méfier des pubs sur le détatouage sur les réseaux sociaux et de faire appel à des dermatologues. Mais mieux vaut prévenir que guérir: réfléchir longuement avant de franchir le pas du tatouage, plutôt que de le regretter plus tard. «Evitez les tatouages « idiots », comme graver un prénom sur votre peau. Préférez un salon pro, et parlez aux tatoués avant de vous lancer», glisse le dermatologue.