Droits de succession héritage taxe sur la mort
L’impopularité des droits de succession ne date pas d’hier.

Droits de succession: mais pourquoi cette «taxe sur la mort» est-elle tellement détestée?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les droits de succession sont particulièrement mal aimés par la population. Pourtant, paradoxalement, peu sont contre une contribution des épaules les plus larges.

Au rayon des impôts les plus impopulaires, les droits de succession occupent probablement la tête de gondole. Ce n’est pas pour rien que, l’an dernier, dans leur programme électoral, Les Engagés proposaient ni plus ni moins d’en finir avec cette «taxe sur la mort» qui, telle qu’elle est appliquée, est jugée injuste, discriminatoire, voire confiscatoire.

«Taxe sur la mort.» L’appellation en dit long sur l’idée qu’on se fait de cette forme de fiscalité qui, «contrairement à une idée répandue, n’exerce pas un rôle de modération ou de justice fiscale à l’égard des plus riches, car ceux-ci sont les premiers à veiller, à grand renfort d’experts fiscalistes, à créer des montages leur permettant d’éluder cet impôt», comme l’avançaient les centristes.

Haro sur les droits de succession? Peut-être, mais l’histoire ne s’est pas exactement écrite comme Les Engagés l’avaient suggéré, en Wallonie à tout le moins. A peine formée avec le MR, la majorité régionale annonçait une importante réforme fiscale. Si le premier volet concernait la réduction des droits d’enregistrement, le second portait sur les droits de succession (et de donation). Pour ce dernier, quelques modifications étaient apportées pour corriger des situations d’iniquité, mais surtout, le gouvernement s’engageait à réduire assez drastiquement les taux à partir de 2028. On ne relègue donc pas le système en tant que tel aux oubliettes, mais on en atténue l’effet.

Dans le grand public, pas grand monde ne s’est indigné de cette réforme sur cet impôt particulièrement déprécié et qui survient dans des moments éprouvants de l’existence. Elle est même apparue, probablement, comme bienvenue.

Les épaules les plus larges

Pendant ce temps, apparaissent des propositions diverses pour faire contribuer «les épaules les plus larges», comme on dit. Par exemple, la désormais célèbre taxe Zucman, en France, du nom de cet économiste qui prône un impôt de 2% sur les plus grosses fortunes. En Belgique, le président du PS, Paul Magnette, a déposé au printemps une proposition de loi qui s’en inspire, préconisant un impôt de 1% sur les tranches de patrimoine comprises entre cinq et 100 millions d’euros et de 2% au-delà de 100 millions. Dans le contexte du conclave budgétaire fédéral, Conner Rousseau, le président de Vooruit, y est aussi allé de sa taxe des millionnaires, que n’a pas totalement rejetée le vice-premier Maxime Prévot (Les Engagés).

En étant un peu schématique, on observera que la droite de l’échiquier politique voit plutôt ces initiatives fiscales d’un mauvais œil, tandis qu’elles recueillent l’approbation à gauche. Ce n’est pas une surprise. Il faut toutefois observer qu’en matière de perception en général, ces velléités fiscales sur les plus gros patrimoines sont loin de provoquer un rejet similaire à celui des droits de succession. Les deux ne sont pas comparables, évidemment, mais entre «taxe des millionnaires» et «taxe sur la mort», il y a comme une différence de sous-texte.

«Beaucoup d’économistes considèrent les droits de succession comme la manière la plus rationnelle, équitable et efficace d’appréhender les patrimoines.»

Héritocratie

Or, en matière de carrure d’épaules, il y aurait des choses à dire sur l’héritage. Maints travaux d’économistes battent en brèche l’idée que la société peut bien se faire de la méritocratie, ce principe selon lequel la réussite sociale serait essentiellement le fruit du travail et des efforts individuels. Le néologisme «héritocratie» fait même florès. Le patrimoine est plus une question d’héritage que de mérite, en somme.

En France, une pièce a été remise dans le juke-box par une étude de la Fondation Jean Jaurès voici un an. D’ici à 2040, établissait-elle, «la France connaîtra le plus grand transfert de richesse de son histoire contemporaine: plus de 9.000 milliards d’euros de patrimoine détenu par les Français les plus âgés seront transmis à leurs enfants. Ce mouvement, que nous appelons « la grande transmission », est lié à la disparition progressive de la génération du baby-boom.» Le hic? «Dix pour cent des ménages détiennent aujourd’hui 55% du patrimoine total des Français», ajoutaient les auteurs, pointant le caractère très inégalitaire de la situation. Sur le principe, donc, taxer l’héritage de façon progressive reste une idée qui tient la route, dans une perspective égalitariste.

«Beaucoup d’économistes considèrent que les droits de succession sont la manière la plus rationnelle, équitable et efficace d’appréhender les patrimoines les plus élevés, indique Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULiège. A l’occasion d’une succession, à l’intérieur ou même hors d’une cellule familiale, un enrichissement intervient et se justifie par le fait d’être bien né ou d’être le successeur attitré, héritier ou légataire d’une personne éventuellement dotée d’un patrimoine élevé. D’une certaine façon, en matière de justice élémentaire, mieux vaut taxer cette personne plutôt que la personne qui a travaillé.»

En théorie, et en réalité, les droits de succession constituent un type d’impôt appréciable à plusieurs égards. Lorsqu’il s’agit d’imposer le patrimoine, «les économistes essaient de trouver la taxation qui entraînera le moins d’inefficacité, donc le moins de changements de comportement. Avec les droits de succession, certes on taxe le patrimoine, mais un patrimoine que vous n’avez pas encore et qui, en principe, ne change pas votre situation», ajoute Benoît Bayenet, professeur de finances publiques à l’ULB et à l’ULiège. Mais nombre d’experts reconnaissent aussi, ajoute-t-il, que la manière avec laquelle les droits de succession sont perçus ouvre la porte à une série de travers: «C’est un bon instrument, à condition qu’on n’invente pas une panoplie d’instruments qui permettent de l’éluder.»

«On a réformé en surface, mais on n’est pas allé voir sous le capot.»

Un problème de perception

Voilà l’argument qui rend bien souvent les droits de succession impopulaires: ils frappent la classe moyenne, «ainsi que la classe moyenne inférieure», ajoute Marc Bourgeois, pendant que les plus gros patrimoines ont la capacité d’user de moyens divers et variés pour les contourner. De ce point de vue, les principes égalitaires de la taxe sur l’héritage loupent le coche.

Le régime actuel des droits de succession, dans les trois Régions du pays, est «largement perfectible en matière d’égalité», selon Marc Bourgeois. Cela s’explique, entre autres, par le fait que les droits de succession se sont structurés autour de principes du droit civil, qui n’ont pas été pensés comme du droit fiscal. «On se sert beaucoup de dispositions du droit civil pour faire échapper les successeurs au droit fiscal, alors que l’objectif du droit civil consiste plutôt à assurer qu’une transmission successorale se passe sans conflit, par exemple». Moins à faire échapper une part de son patrimoine au droit fiscal.

Les plus fortunés y échappent en partie, donc, mais les moins fortunés n’ont pas cette chance. Même en Wallonie, la réforme annoncée, si elle réduit les taux, ne change pas le régime. «On a réformé en surface, mais on n’est pas allé voir sous le capot», résume Marc Bourgeois.

Une particularité belge

C’est d’autant plus vrai qu’en Belgique, les tranches d’imposition sont, en général, conçues de telle façon qu’on est rapidement imposé. «Le caractère progressif de l’impôt existe, certes, mais cela n’empêche pas les classes moyennes inférieures d’arriver très vite dans les tranches supérieures du barème, ces tranches n’ayant pas été indexées depuis des dizaines d’années. Dès qu’on a un immeuble, a fortiori un second, on monte dans les tranches», insiste Marc Bourgeois.

Dans les trois Régions, des droits de succession sont d’application dès la toute première tranche d’imposition, même si le taux est peu élevé. A titre d’exemple, en ligne directe, donc entre époux et cohabitants légaux, l’impôt est fixé à 3% du premier centime jusqu’à 12.500 euros en Région wallonne, avant que les taux s’élèvent. En Région bruxelloise comme en Flandre, la limite de cette première tranche d’imposition à 3% est fixée à 50.000 euros. Des exemptions et abattements existent cependant, notamment pour les héritiers en ligne directe qui recueillent l’héritage ou les enfants jusqu’à 21 ans.

«C’est même une particularité de la Belgique. Une grande majorité des Belges paie des droits de succession en dessous de 12.500 euros, en gros, alors que dans bien d’autres pays, ces seuils sont beaucoup plus élevés. Cela n’empêche pas, y compris dans ces pays, que les droits de succession soient détestés par l’ensemble de la population», remarque Simon Watteyne, historien à l’ULB et auteur de l’ouvrage Lever l’impôt en Belgique: une histoire de combats politiques (1830-1962) (Crisp, 2023).

En 2021, un rapport de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économique, se penchait sur les droits de succession appliqués par 24 pays, décrivant une grande variété de l’impôt en fonction de l’endroit où l’on vit. L’étude s’intéresse aux exonérations accordées aux héritiers les plus proches. «L’époux ou l’épouse bénéficie d’une exonération totale de l’impôt sur les successions dans treize pays et les enfants sont exonérés dans six pays», indique-t-elle. Dans les autres cas, des seuils d’exonération sont fixés, dont les niveaux sont très variables. Pour les successions en faveur des enfants, le seuil d’exonération le plus élevé est aux Etats-Unis (11,6 millions de dollars), tandis que le plus bas est observé… en Belgique, où l’exonération s’arrête à 17.000 dollars, précise l’étude (15.000 euros, en fait), en prenant en compte la Région bruxelloise uniquement.

Une affaire de famille

Un autre facteur d’impopularité intervient, indique Marc Bourgeois. Certes, on peut partir du principe que cet impôt, d’une certaine façon, a un caractère idéal parce qu’il touche un patrimoine dont les héritiers ne disposent pas. La perception est toutefois différente dans la réalité, les bénéficiaires d’une succession considérant bien souvent que ce qu’ils ne possèdent pas encore formellement leur appartient quand même, d’une façon ou d’une autre. Typiquement, il s’agit de cette idée selon laquelle le patrimoine engrangé par les parents doit naturellement revenir aux enfants, sans que l’Etat n’ait trop à intervenir.

«Tant que je n’ai pas reçu ma succession, je ne suis pas propriétaire du bien censé me revenir, poursuit le professeur de droit fiscal. Néanmoins, cela vaut quand on a une approche très individuelle du contribuable, mais la plupart des gens conçoivent les choses différemment, plutôt en forme de collectivité familiale. Si ce qui appartient à mon père, ma mère ou mon oncle fait partie du patrimoine familial, j’aurai le sentiment que cela m’appartient déjà.»

La perception que l’on se fait de la propriété des biens contribue donc largement à la détestation éprouvée à son encontre. «Quand on a fait des réformes fiscales sur l’impôt sur le revenu, en 1988 et en 2001, on a cherché à individualiser totalement le régime de calcul de l’impôt des personnes physiques. Face à cette perspective individualisante, la perception collective familiale qui persiste lorsqu’on parle des droits de succession crée une série de biais.»

Une histoire ancienne

Cette détestation de la «taxe sur la mort» n’est pas neuve, ni propre à la Belgique, d’ailleurs. «On le voit dans le monde entier et on peut remonter jusqu’à l’Antiquité: lorsque des régimes politiques ont appliqué une taxe sur l’héritage, cela a toujours été impopulaire, confirme Simon Watteyne. D’ailleurs, cet impôt est souvent mal aimé, même auprès des populations qui ne le paient pas.»

Pour la petite histoire, raconte l’historien, «la révolution belge de 1830 a eu lieu, en partie, pour des raisons de mécontentement fiscal. Une fois le nouvel Etat belge en place, une de ses premières mesures fiscales a consisté en la suppression de l’impôt sur l’héritage en ligne directe et la déclaration assermentée que les contribuables devaient faire au régime hollandais.»

«Lorsque des régimes politiques ont appliqué une taxe sur l’héritage, cela a toujours été impopulaire.»

Durant la suite du XIXe siècle, le débat de la taxe sur l’héritage a maintes fois ressurgi, les catholiques les plus progressistes et les libéraux radicaux y voyant une façon de faire contribuer les plus gros patrimoines, en épargnant quelque peu la classe ouvrière frappée par des taxes sur la consommation. «Lorsque les socialistes sont arrivés à la fin du siècle, leurs deux grandes revendications étaient le suffrage universel et un impôt progressif sur les grandes fortunes, dont un impôt sur les successions» dans le but de rétablir un peu de justice sociale.

Le système tel qu’on le connaît date de 1919. Puis l’histoire du XIXe siècle «est plutôt celle d’un impôt qui ne fonctionne pas bien», tel qu’il est appliqué. Deux grandes options ont été préconisées par les formations politiques, respectivement ancrées à gauche ou à droite: un renforcement des mécanismes de contrôle, à travers la constitution d’un cadastre des grandes fortunes, par exemple, ou une diminution, voire un abandon, de l’impôt pour des partis plus enclins à baisser la fiscalité.

L’histoire toute récente montre que c’est plutôt la seconde option qui l’emporte. «Il faut dire que, comparativement au passé, cela ne représente plus grand-chose en recettes par rapport à la fiscalité sur le travail», précise Simon Watteyne. Et politiquement, s’attaquer à un impôt aussi mal perçu –dans les deux sens du terme– ne représente pas un grand risque en matière d’adhésion de la population.

B.H.

Pas de panique pour les donations

Plusieurs avocats fiscalistes ont tiré la sonnette d’alarme à propos d’une conséquence de la taxe sur les plus-values, qui s’appliquera dès le 1er janvier 2026. En résumé, les bénéficiaires d’une donation d’actifs financiers effectuée à partir du 1er janvier prochain auraient pu être lésés lors d’une revente ultérieure de ces actifs. La plus-value, selon le projet de loi pointé par quelques experts, aurait été calculée lors de la revente non pas à partir de la valeur au moment de la donation, ni même sur la base de la valeur au 31 décembre 2025 (moment où le donateur disposait encore des actifs en question), mais sur celle au moment de l’acquisition des actifs par le donateur. Cette date peut potentiellement être très ancienne et la plus-value, par conséquent, très élevée lors du calcul de la taxe. Cet effet collatéral du projet de loi poussait les fiscalistes à conseiller d’effectuer les donations avant la fin de l’année.

«C’est un texte encore à l’état de projet, et c’est vrai qu’il y a là une lacune à combler. Mais il y a de fortes chances que ce soit réglé, l’intention du législateur n’étant certainement pas de pénaliser un enfant donataire, par exemple», rassure Franck Cedrone, senior estate planner à la Deutsche Bank.  Le quotidien L’Echo indiquait aussi, le week-end dernier, que le projet de loi s’apprêtait à être amendé, de manière à permettre au bénéficiaire de la donation de calculer la plus-value sur la valeur au 31 décembre 2025 lors de l’éventuelle revente, même s’il n’était pas encore propriétaire des actifs à cette date.

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