La grande distribution affirme «s’engager» pour le budget des consommateurs. Dans les rayons, les réductions sont omniprésentes. De la générosité? Pas tout à fait.
«1+1 gratuit», «2+2 gratuits», «2e à -50%», «2e à -60%», «4+6 gratuits»… Pour le consommateur et son portefeuille, ces promotions sont aujourd’hui incontournables et, désormais, permanentes, banales. Qui décide et qui finance ces opérations commerciales? Tout se négocie avant la mise en rayon. Et ce n’est jamais au seul bénéfice du consommateur.
En effet, chaque année, entre septembre et mars, la tension monte. C’est à ce moment-là que les acheteurs de la grande distribution et leurs fournisseurs négocient les prix d’achat des produits pour l’année suivante. Les discussions s’ouvrent toujours de la même manière. Les enseignes, regroupées dans des centrales d’achat européennes avec l’objectif d’acheter moins cher grâce à des quantités plus grandes, envoient d’abord leur liste de souhaits. En tête de ceux-ci: limiter, coûte que coûte, des hausses de prix, qui risqueraient de faire fuir leurs clients, et évidemment préserver leurs marges. Elles indiquent également aux fabricants le type de produits qu’elles souhaitent valoriser. Les fournisseurs, qui souhaitent, eux, répercuter (partiellement, du moins) certains coûts variables (par exemple les matières premières), réagissent à ces requêtes par une proposition.
Le nerf de la guerre
C’est alors que les vraies négociations commencent. Elles peuvent parfois être longues et s’accompagner de chantage et de coups de pression. Si le prix reste le nerf de la guerre, le cycle des pourparlers porte également sur les modalités de livraison, les volumes, les emballages, etc. Au cœur de ces tractions annuelles se discutent aussi tous les à-côtés, toutes ces prestations que le distributeur vend aux industriels comme aux petites entreprises. Concrètement, les enseignes et les fournisseurs décident des périodes de promotion et de l’importance des réductions pour l’ensemble de l’année.
Ces campagnes sont généralement financées par le fabricant. En multipliant les promotions, les distributeurs parviennent ainsi à réduire leurs prix d’achat. Tout se vend, la présence sur une tête de gondole comme la citation d’un produit dans un spot radio. Et cela commence avec les dépliants publicitaires. Distribués à des milliers d’exemplaires, ces prospectus sont, pour une marque, la garantie de faire du volume. Les enseignes monnaient donc leurs emplacements. Pour y être présent, le fournisseur doit accorder une réduction supplémentaire.
Les autres occasions d’ouvrir le portefeuille ne manquent pas. Le distributeur réclame encore des ristournes si le produit est positionné à hauteur de vue dans les rayons. Reste au fabricant à espérer que les supermarchés ne réussissent pas à obtenir un meilleur prix auprès d’un concurrent.
Quand tout a été négocié, le dernier mot revient à la distribution. C’est elle qui fixe le prix dans les rayons. Et c’est à ce moment que les chaînes s’autorisent des marges. Evidemment, les distributeurs organisent à leur compte plusieurs campagnes de promotion, notamment sur leurs marques propres, et puisent parfois dans leurs marges. Mais ce sont en grande partie les marques qui paient les promotions, même si le consommateur pourrait croire que ce sont les distributeurs qui les financent.
Pour les petites entreprises, financièrement moins solides, cela devient toujours plus rude.
Effets pervers
En apparence, une promotion apparaît comme une aubaine pour le consommateur. Les distributeurs, eux, écoulent de plus gros volumes d’articles lorsqu’ils sont en promotion. Ils voient donc leurs marges se réduire. Résultat: ils se rattrapent en général en augmentant les prix sur des produits de même catégorie. Les distributeurs gagnent, par ailleurs, en fréquentation. Car le client, attiré par la réduction, ne se déplace pas uniquement pour le produit en promo; il fera très souvent l’ensemble de ses achats dans le magasin en question. Quant aux fournisseurs, ils augmentent leur visibilité, le but n’étant pas de vendre moins cher mais de fidéliser le consommateur.
Certains produits sont régulièrement en promotion, par exemple tous les trimestres. Ici, les fabricants jouent sur un volume de production qui leur permet de réduire leurs frais de production à un coût pratiquement marginal. Ensuite, en magasin, ils baisseront le prix pour vendre un maximum de stock. L’effet pervers, valable pour toutes les offres, est que les consommateurs n’achètent qu’en promo pour constituer des réserves ou se rendent de supermarché en supermarché pour chasser les ristournes. Des comportements qui peuvent entraîner des ruptures de stock –et des clients mécontents qui n’en auraient pas profité– et nuire à la stabilité des flux logistiques.
Autre effet pervers: des promotions tout le temps, partout. Certes, celles-ci permettent aux fournisseurs de réagir au boom des produits des marques propres des distributeurs (désormais majoritaires) et de booster la vente de nouveaux produits. Mais elles mettent la pression sur leurs bénéfices dès lors que ces actions sont permanentes, habituelles, puisqu’elles sont payées par les marques. Ainsi, en 2024, leur part représente 20% du volume des ventes des biens de grande consommation. Pour les petites entreprises, financièrement moins solides, cela devient toujours plus rude. Ce lot croissant de promotions risque de rogner leur budget destiné au développement de nouveaux produits et, à l’avenir, de se répercuter éventuellement sur la qualité de leurs produits.
Pas sûr non plus que les chaînes de supermarchés s’en sortent mieux. Ces promotions incessantes pourraient pénaliser leur rentabilité, déjà sérieusement en baisse. Sans oublier les consommateurs, habitués à des réductions et, dès lors, encouragés à se diriger vers le moins cher. Le moins cher étant très souvent du trop gras, trop salé, trop sucré.
S.G.