Un douanier contrôle les arrivages de colis en région liégeoise © BELPRESS

Pourquoi commander ses colis dans son canapé coûtera plus cher à l’avenir

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Se procurer des colis en ligne via des plateformes non européennes sera plus onéreux dès 2026. Une manière de freiner les afflux de paquets provenant de Chine. Et d’alimenter le budget fédéral dévolu aux services douaniers.

Cette fois, c’est décidé, du moins par le gouvernement fédéral. A partir de janvier 2026, des «frais de traitement» supplémentaires de deux euros seront perçus sur chaque petit colis de moins de 150 euros acheté en ligne sur des plates-formes extérieures à l’Union européenne. Les modalités pratiques de mise en place de ce surcoût ne sont pas connues à ce jour. Le Parlement doit encore se prononcer sur cette mesure, voire la modifier en cours de débat.

En attendant, plus de 145 colis de moins de 150 euros entrent chaque seconde sur le marché européen, pour un total, en 2024, de quelque 4,6 milliards de paquets. «Aujourd’hui, avait déclaré le ministre de la transition environnementale Jean-Luc Crucke sur les ondes de la RTBF, nos entreprises belges et européennes souffrent d’un dumping essentiellement chinois, qui importe des produits souvent non conformes aux normes environnementales faits à des prix que nous ne pouvons pas concurrencer. On tue nos entreprises.» La preuve avec ce chiffre: les douanes belges enregistraient chaque jour 1.600 colis entrants en 2017. Elles en comptaient 4 millions l’an dernier.

« Ce tsunami de colis qui submerge notre pays ne peut absolument pas être contrôlé correctement avec les moyens actuels dont disposent les services des douanes et les autres services d’inspection compétents du ministère de l’Economie », avait alerté, en juillet, le Conseil central de l’économie (CCE). Car entre 2017 et 2024, le nombre de douaniers contrôleurs n’a lui, pas explosé: tout au plus est-il passé de 105 à 138. Le CCE avait alors réclamé des mesures fortes, visant à freiner la concurrence déloyale, à assurer la sécurité des consommateurs et à préserver l’environnement, d’autant que les produits en provenance de Chine ne sont la plupart du temps ni réutilisables ni recyclables.

L’objectif de la mesure dite des deux euros est double: d’une part, limiter les vagues de colis importés afin de donner de l’air aux commerçants locaux et d’autre part, renflouer les caisses de l’Etat. Sont directement visées les plateformes de vente comme les chinoises Shein ou Temu, AliExpress, mais aussi Apple, eBay ou Amazon, lorsqu’elles procèdent à des envois de marchandises depuis l’extérieur de l’Union européenne. Dès lors que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union, un coût de traitement supplémentaire de deux euros s’appliquera aussi aux colis en provenance des plateformes en ligne britanniques. Le consommateur devra donc être attentif à l’origine géographique de ses marchandises.

Comme la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, la Belgique devance l’Union européenne, qui devrait introduire le même coût de traitement de deux euros sur tout le territoire en novembre 2026. C’est d’ailleurs ce que regrette Comeos, la fédération belge du commerce: elle aurait préféré l’adoption de cette mesure partout en même temps plutôt que de voir fleurir des initiatives, éventuellement différentes, aux niveaux nationaux.

890 millions

Sur cette moyenne de 4 millions de colis importés chaque jour en Belgique, tous n’affichent pas une valeur inférieure à 150 euros. Selon le Conseil central de l’économie, c’est le cas de trois sur quatre. En Europe, la valeur moyenne d’une commande effectuée via Temu tournerait autour de 27 euros, selon le site spécialisé dans le commerce Modern Retail. Chez Shein, elle avoisinerait 31 euros. Selon les projections budgétaires du gouvernement fédéral, la mesure devrait rapporter, en net, quelque 140 millions d’euros l’an prochain, 200 en 2027, 250 en 2028 et 300 en 2029. Soit 890 millions d’euros. Sans compter les effets retours en termes de créations d’emplois, d’investissements technologiques, par exemple dans des scanners de contrôle, et d’achats finalement effectués en Belgique en raison de ce surcoût. «Nous pourrions même aller plus loin que ce montant supplémentaire de deux euros », avait avancé le ministre de l’Economie David Clarinval (MR), au Parlement. A vrai dire, nombre de ces produits importés devraient être directement détruits par les douanes lors de leur arrivée dans notre pays ».

Les recettes escomptées en Belgique devraient servir à doper, en moyens humains et technologiques, les services de douane chargés de contrôler chaque année environ 1,5 milliard de colis, notamment à l’aéroport de Bierset. Selon un récent rapport de la Commission européenne, seuls 82 produits, sur un million entrant dans l’Union européenne l’an dernier ont été contrôlés. Soit 0,0082%. Et sur ces 82 produits, treize seulement ont été interceptés pour non-conformité. «On s’attend à ce que les services de douane, renforcés à l’avenir, renvoient d’où ils viennent au moins la moitié des colis importés de Chine, pour non conformité», estime Greet Dekocker, directrice générale de la fédération belge de l’e-commerce BECOM.

«C’est un premier pas posé dans la bonne direction, mais deux euros supplémentaires ne permettront pas de refléter le coût réel, sur le plan sociétal et environnemental, de ces colis, estime Olivier Maüen, porte-parole du Syndicat national des indépendants (SNI). Selon nous, pour soumettre ces produits aux mêmes règles que celles qui prévalent pour les produits européens, le surcoût devrait être de 20 euros par colis. En outre, ces deux euros supplémentaires ne seront pas dissuasifs pour les clients.»

Chez Testahats, qui trouve «cohérent de fournir davantage de ressources aux autorités douanières pour faire face aux millions de colis qui arrivent chaque jour dans l’UE», l’enthousiasme est mitigé. «Ces frais constituent un outil intéressant pour relever le défi du commerce en ligne, mais ce n’est pas une solution miracle, y dit-on. L’Union européenne doit tenir toutes les places de marché responsables de ce qu’elles vendent aux consommateurs: c’est bien de leur responsabilité qu’il s’agit, et non pas de celles des consommateurs.»

Et les droits de douane?

Les ministres européens des finances se sont en revanche déjà entendus sur la suppression de l’exemption des droits de douane sur les petits colis. Jusqu’ici, à condition que leur valeur n’excède pas 150 euros, ils n’en étaient pas frappés. «A l’avenir, selon les produits, ces frais de douane pourraient s’élever à douze, quatorze ou 17%, précise Lora Nivesse, directrice des affaires publiques chez Comeos, la fédération belge du commerce et des services. En plus du surcoût de deux euros, cette mesure aura certainement un impact sur les consommateurs et sur leurs choix». L’entrée en vigueur de cette nouvelle règle, initialement proposée par la Commission européenne en février dernier, est prévue pour le 1er trimestre 2026.

«Aux Etats-Unis, embraie Greet Dekocker, directrice générale de la fédération belge de l’e-commerce, lorsque le président Donald Trump a supprimé l’exonération des droits de douane appliquée sur les colis d’une valeur inférieure à 800 dollars, cela a eu un effet immédiat sur la plateforme Temu. Celle-ci a en effet délaissé les Etats-Unis pour se reconcentrer sur l’Europe.» Selon le consultant Tech Buzz China, il faut toutefois relever les droits de douane d’au moins 50% pour que ce genre de plateforme perde son avantage concurrentiel au point de quitter le marché américain.

La facture pour le consommateur ?

Confrontées à ces surcoûts, les plates-formes de vente en ligne devront soit les absorber dans leur marge bénéficiaire, soit les intégrer dans le prix réclamé aux acheteurs. «Temu ne réalise pour ainsi dire pas de bénéfices pour l’instant parce qu’elle investit beaucoup, rappelle Greet Dekocker. Je n’imagine donc pas qu’elle prenne en charge le poids du surcoût de deux euros.» Les consommateurs pourraient donc voir leurs achats coûter plus cher à l’avenir mais parallèlement, leur qualité devrait augmenter.

La tendance aux achats en ligne, en Belgique, ne cesse de se confirmer: en 2024, 76,08% des Belges y avaient eu recours. En 2020, ils étaient 72,72%. «On espère que ces différentes mesures vont éveiller les consciences et que les consommateurs y réfléchiront à deux fois avant d’acheter des produits à bas prix sur ces plateformes», avance Lora Nivesse, directrice des affaires publiques chez Comeos.

Sur papier, la mesure devrait rapporter 990 millions d’euros entre 2026 et 2029.

A moins que celles-ci ne décident de s’installer en Europe pour échapper à ces obstacles financiers placés sur leur route? Le groupe Shein, domicilié à Singapour, dispose en effet déjà d’entrepôts en Europe. Ceux-ci leur permettent de livrer leurs colis de plus près et plus vite à leurs clients. Une manière de s’assurer leur fidélité. «Nous demandons juste que ces plateformes respectent les mêmes règles du jeu que les entreprises européennes, rappelle-t-on chez Comeos. Elles peuvent tout à fait s’installer en Europe si elles le souhaitent mais je doute qu’elles le fassent car si elles sont contraintes de respecter les mêmes réglementations que nous, leur modèle économique risque de ne pas tenir

En revanche, il n’est pas exclu qu’une partie des colis actuellement importés en Belgique mais destinés à d’autres pays de l’Union soient d’emblée redirigés, au départ de la Chine, vers un pays voisin comme l’Allemagne. Un pays qui ne réclame pas encore de coût de traitement supplémentaire de deux euros. Cela ne durera(it) toutefois que quelques mois, en attendant que l’Union européenne se mette d’accord pour l’appliquer sur tout son territoire.

 

 

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