En principe, un prosumer ne doit pas perdre le bénéfice de sa production photovoltaïque lors du placement d’un compteur communicant. © GETTY

Compteur communicant: quand des prosumers perdent leur production photovoltaïque

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Si le déploiement des compteurs communicants se déroule souvent sans accroc, la production photovoltaïque est remise à zéro lors du changement, ce qui peut générer une facture indue.

D’ici à 2030, tous les ménages disposeront d’un compteur communicant pour mesurer leur consommation d’électricité. En Wallonie, les deux plus grands gestionnaires de réseau de distribution (GRD), Ores et Resa, ont confié cette mission à la société momentanée Enzo. Le planning de ses interventions, qui a commencé le 15 septembre, est particulièrement dense. Pour respecter les délais impartis, il faut remplacer plus d’1,1 million de compteurs en quatre ans du côté d’Ores. «Cela représente, au pic du déploiement (2027), une cible de plus de 300.000 compteurs communicants à installer en une année», indiquait récemment le GRD, desservant 75% des communes wallonnes. Sur une page Web dédiée (1), ses clients peuvent connaître le trimestre et l’année du remplacement de leur appareil.

Comme le soulignent (logiquement) les GRD, mais aussi de nombreux experts de l’énergie, le compteur communicant présente plusieurs avantages. Pour les ménages, il supprime la nécessité d’encoder manuellement les index et offre une information précise des moments de consommation, jusqu’au quart d’heure près. Cela permet aux détenteurs de panneaux photovoltaïques d’autoconsommer autant que possible l’électricité produite par leur installation, y compris par l’entremise de la domotique. Pour les GRD, le compteur communicant envoie de précieuses informations sur l’état du réseau basse tension, en vue de savoir comment et où le moderniser en priorité –notamment pour remédier aux décrochages d’onduleurs.

«Les index du compteur enlevé sont envoyés avec un code spécifique, synonyme qu’il ne faut rien facturer.»

Des kilowattheures perdus?

La plupart du temps, le remplacement d’un compteur électromécanique par un modèle communicant ne pose aucun problème, y compris pour les ménages dont l’installation photovoltaïque bénéficie du «mécanisme de compensation». «Si le compteur communicant ne tourne pas physiquement à l’envers comme son prédécesseur, la déduction des kilowattheures (kWh) injectés est bien effectuée lors de la régularisation annuelle et prise en compte sur la facture des clients concernés», précise Ores. En revanche, certains prosumers rapportent une série de mésaventures lors du changement de compteur, susceptibles de leur faire perdre plusieurs dizaines, voire centaines d’euros d’économie sur leur facture.

C’est le cas de Nathalie, chez qui Ores a installé un compteur communicant début août. Quelques jours plus tard, elle reçoit une facture de régularisation de son fournisseur d’électricité, Engie. Envolé, le bénéfice des 1.200 kWh excédentaires produits jusqu’ici par ses panneaux photovoltaïques. «Engie m’a indiqué que c’était de la responsabilité d’Ores qui, deux semaines après ma plainte auprès de son service client, ne m’avait toujours pas répondu.» Après plusieurs échanges avec son fournisseur, elle parviendra finalement à obtenir une annulation de la facture de régularisation, dans l’attente d’un décompte annuel censé tenir compte de l’électricité produite avant le changement de compteur.

Elle n’est pas la seule à faire face à une perturbation du cycle de compensation. Cet autre prosumer n’a pas eu la même chance. «J’ai contesté à plusieurs reprises la facture envoyée par mon fournisseur, mais c’était toujours le même résultat: il se disait obligé de facturer ce qu’Ores lui envoie comme relevé. J’ai finalement payé avec des frais de rappel, car mon fournisseur me menaçait de placer un compteur à carte de prépaiement. Il y a des recours possibles, mais vu les montants, je n’avais pas envie de me lancer dans une bataille judiciaire.»

Les accrocs peuvent prendre d’autres formes. «Après l’installation du compteur communicant, je suis repassé à une facturation bihoraire, sans en avoir fait la demande, indique un autre particulier. Plus de deux mois plus tard, je n’ai pas de nouvelles de mon fournisseur, qui attend visiblement une réponse d’Ores. Entre-temps, il m’a fait basculer à nouveau en facturation monohoraire, mais en me faisant perdre ma production.»

A qui la faute?

En principe, un prosumer ne doit pas perdre le bénéfice de sa production photovoltaïque lors du changement de compteur. Les GRD sont censés avoir trouvé une parade, comme le rappelle l’association BeProsumer dans un article sur cette question. «Dans ce scénario, un prosumer en tarif simple reçoit donc une facture intermédiaire de 0 euro après l’installation du compteur communicant –il a produit plus que ce qu’il n’a consommé–, mais le GRD s’engage à reporter la réserve de production estivale accumulée au moment du changement du compteur lors de la prochaine facture annuelle

«Beaucoup de ménages ne prêteront pas nécessairement attention à ces pertes de production.»

Contacté par Le Vif, Ores confirme avoir mis au point une procédure pour que la transition n’entraîne aucune perte de production. «Au moment où le compteur est remplacé, les volumes de consommation sont mis à zéro et les index du compteur enlevé sont envoyés, avec un code spécifique, au fournisseur, indique la porte-parole du GRD. Ce code spécifique lui indique qu’il s’agit d’un remplacement de compteur et qu’il ne doit pas facturer. Cela fonctionne très bien avec certains fournisseurs mais avec d’autres, il peut y avoir des oublis et donc, des factures « intermédiaires » qui arrivent et ne devraient pas. On estime que 98% à 99% des cas se passent sans souci.»

Un à deux pour cent d’erreurs, ce n’est toutefois pas anodin, comme le rappelle Régis François, porte-parole de BeProsumer: «Cela peut concerner des milliers de ménages. Sachant que beaucoup de gens ne s’y retrouvent déjà pas dans leurs relevés de compteur, ils ne prêteront pas nécessairement attention à ces pertes de production.»

Selon Ores, les clients doivent s’adresser en priorité à leur fournisseur pour expliquer le problème, ce que ces derniers contestent visiblement dans les échanges avec leurs clients. «Il est logique que le fournisseur soit le premier point de contact pour le client, commente pour sa part la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (Febeg). Mais en cas de dysfonctionnement ou d’erreur dans les données de base (comptage), c’est au GRD d’assurer la correction envers le fournisseur (pas envers le client), pour lui permettre d’expédier une facture ou une éventuelle note de crédit correcte. Les fournisseurs souhaitent avant tout des approches alignées au niveau régional et un traitement automatisé des données, afin d’éviter les interventions manuelles dans la facturation.»

Il est difficile de connaître le nombre de plaintes déposées pour cette raison précise auprès du Service régional de médiation pour l’énergie (SRME) de la Cwape, le régulateur wallon. Dans les statistiques annuelles, elles peuvent se retrouver avec d’autres difficultés dans les «problèmes de compensation» (45% des cas relatifs au photovoltaïque en 2024) comme dans les «relevés d’index impératifs» (9% des plaintes), à savoir des relevés «communiqués à titre informatif au marché, mais souvent facturés automatiquement par les fournisseurs». La porte-parole de la Cwape encourage les particuliers qui s’estiment lésés à s’adresser au SRME.

Bientôt une atteinte au libre choix des utilisateurs?

A défaut de pouvoir s’opposer au placement d’un compteur intelligent, les ménages peuvent jusqu’ici en refuser (c’est le principe de l’opt-out) la fonction communicante, activée par défaut et permettant l’envoi automatique des données de consommation à leur GRD. Mais le gouvernement wallon souhaite limiter la possibilité de refus aux seules personnes souffrant d’une électrosensibilité confirmée par un certificat médical. Dans un avis rendu le 18 septembre dernier, à la demande de la ministre wallonne de l’Energie, Cécile Neven (MR), l’Autorité de protection des données (APD) a toutefois émis plusieurs critiques.

Un: ni la poursuite d’engagements wallons liés au plan Air Climat Energie (PACE) ni les économies invoquées par les GRD ne suffisent à démontrer le «caractère nécessaire et proportionné» d’un placement généralisé des compteurs communicants, sans possibilité d’opt-out. Deux: l’APD souligne que le projet de texte a «pour effet d’imposer la communication de données relatives à la santé de l’ensemble des utilisateurs sujets à l’électrosensibilité».

Elle juge un tel traitement «disproportionné au regard de l’objectif poursuivi.» En l’absence d’éléments nouveaux, le gouvernement wallon devrait abandonner la limitation des cas de refus, estime dès lors l’APD. Elle suggère cependant une voie du milieu: «Si les personnes ne produisant pas ou peu d’électricité voyaient leur faculté d’opt-out (c’est-à-dire de libre choix) préservée et [si] la nécessité de produire une attestation médicale faisant état d’une électrosensibilité était limitée aux gros candidats « prosumers », la mesure pourrait être considérée comme nécessaire et proportionnée.»

Si l’avis de l’APD n’est pas contraignant, l’autorité rappelle que les GRD s’exposent à des risques financiers en déployant des compteurs communicants d’une manière non conforme, c’est-à-dire sans l’accord des consommateurs finaux. Interrogée au parlement de Wallonie le 24 septembre, Cécile Neven a indiqué qu’une adaptation du texte final était en cours en vue d’obtenir une «solution équilibrée et respectueuse de la protection des données», tout en rappelant la faible proportion, de l’ordre de 2% à 3%, des refus de la fonction communicante.

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