Les Belges, une espèce en voie de disparition dans les rayons des supermarchés français? Le nombre d’achats transfrontaliers y a chuté de 8,7% au second trimestre 2025. © Hans Lucas/AFP via Getty Images

Les supermarchés français boudés par les Belges: pourquoi les achats transfrontaliers sont en baisse

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Les caddies belges dans les supermarchés français se raréfient. L’augmentation des accises sur les sodas dans l’Hexagone a fait fuir certains consommateurs. Mais cette baisse des achats transfrontaliers n’est qu’un «répit temporaire», alerte la Fevia.

Le paradis des consommateurs belges. Historiquement, les parkings des supermarchés de Givet, Tourcoing ou Maubeuge ont toujours été un repaire de plaques d’immatriculation rouges et blanches. En quête de prix cassés, les caddies du plat pays pullulent dans les rayons des emblématiques Leclerc ou Auchan. Une affluence qui semble aujourd’hui en perte de vitesse.

Selon les chiffres communiqués au Vif par la Fédération des entreprises alimentaires belges (Fevia), le nombre d’achats en France a chuté de 8,7% au second trimestre 2025 (par rapport à la même période en 2024). Une baisse qui s’inscrit dans un contexte global de diminution des achats transfrontaliers observée depuis le début de l’année, avec -6,7% d’achats belges effectués dans un pays limitrophe. Les supermarchés français ne sont pas désertés pour autant: sur les 343 millions d’euros dépensés par les Belges à l’étranger au premier semestre 2025, plus des deux tiers (223 millions) concernaient encore et toujours l’Hexagone.

Un produit d’appel

Mais le ralentissement perçu depuis plusieurs mois est réel. Il se justifie entre autres par une augmentation des accises sur les boissons sucrées (jus de fruits, sodas, eaux aromatisées…), instaurée par le gouvernement français en mars dernier. Avec un impact non négligeable sur les prix affichés dans les rayons: les boissons rafraîchissantes ont ainsi augmenté de 9,1% dans les supermarchés français, selon les calculs de la Fevia. «Il a fallu un petit moment avant que cette inflation ne se matérialise, le temps d’écouler les stocks toujours affichés à un prix favorable, nuance Carole Dembour, économiste à la Fevia. Mais ça a progressivement dissuadé certains Belges de se déplacer jusqu’en France, car les boissons sont un véritable produit d’appel. Personne ne traverse la frontière juste pour acheter des carottes ou un steak

Les boissons fraîches (eau, sodas, jus de fruits) font d’ailleurs partie des catégories de produits qui ont été les plus boudées par les consommateurs belges en France, avec une baisse de 12% observée au second trimestre 2025 (par rapport à la même période en 2024). Le café, le thé et le cacao (-22%) ainsi que le lait, le fromage et les œufs (-13,6%) ont également été moins plébiscités dans les caddies belges que par le passé, alors que les fruits et les légumes se maintiennent globalement (-0,7%).

Pierre-Alexandre Billet, expert du retail et CEO de Gondola, pointe un autre élément d’explication à ces achats transfrontaliers en baisse: les évolutions françaises en matière de promotion. La loi Egalim, en vigueur depuis 2018 mais étendue depuis avril 2025, limite les ristournes sur les produits alimentaires à 34%. «Pendant longtemps, les supermarchés français faisaient des promotions extrêmes, voire carrément mensongères, contextualise le CEO de Gondola. Les Belges étaient eux aussi la cible de ces méga-promos: certains magasins français distribuaient même des flyers publicitaires jusqu’à Gand! Logiquement, ça a porté ses fruits. Mais aujourd’hui, ces pratiques sont limitées. Et grâce à la qualité des produits vendus en Belgique, bien supérieure à celle des denrées alimentaires commercialisées dans les rayons français, les supermarchés belges reprennent du poil de la bête.»

Un déplacement des achats

Cette baisse des achats effectués dans l’Hexagone n’a pourtant pas (totalement) fait les affaires des Colruyt ou Delhaize belges. Il aurait plutôt servi les intérêts des Lidl allemands ou des Cactus luxembourgeois. Les supermarchés de ces deux pays frontaliers ont en effet observé une hausse (+3,7%) du nombre d’achats belges au second trimestre 2025. «On a récupéré une partie des consommateurs dans nos supermarchés, mais ce n’est pas le grand retour espéré, confirme Carole Dembour. Le déplacement de la clientèle vers le Luxembourg et l’Allemagne vient un peu annuler la bonne nouvelle initiale.»

Une tendance qui déçoit également la Fédération de l’industrie de l’eau et des boissons rafraîchissantes (Fieb). «En réalité, nos producteurs n’y gagnent pas vraiment, regrette le secrétaire général, Philipp Buisseret. La conclusion est simple: le consommateur belge cherche les produits et les boissons les moins chers et se tourne donc vers des pays où ils sont moins taxés. En Allemagne, seule une TVA (NDLR: de 7 à 19%) est applicable aux boissons. On n’y parle pas de taxe soda ou de taxe sur les emballages, ce qui crée un différentiel de prix important avec la Belgique.»

Une nouvelle taxe en 2026

Un différentiel qui risque encore de s’accroître avec la «taxe sur les déchets sauvages», qui doit entrer en vigueur en avril 2026. Concrètement, les producteurs et distributeurs seront amenés à prendre en charge une large partie des coûts liés au ramassage et au traitement des ordures (bouteilles en plastique, canettes mais aussi mégots ou chewing-gums) abandonnées dans l’espace public. Au total, 102 millions d’euros devront être versés annuellement par les sociétés responsables de la mise sur le marché de ces produits. Un montant «trois à quatre fois supérieur» à ce que paient les producteurs dans les pays voisins, dénoncaient mi-juillet Comeos et la Fevia. «Au vu des charges déjà importantes qui incombent à nos entreprises, cette taxe sera inévitablement répercutée sur le prix des boissons», met en garde Philipp Buissert. La baisse des achats transfrontaliers ne serait donc qu’un «répit temporaire», prédit Carole Dembour. «On s’attend à ce qu’ils repartent à la hausse dès l’implémentation de cette mesure.»

Dans son accord de gouvernement, l’Arizona s’est toutefois engagée à faire baisser le prix des caddies belges et, de facto, à limiter les achats transfrontaliers, notamment grâce à une réduction de la taxe sur les emballages et la fin des accises sur les boissons «zéro», le café et le thé. Des mesures qui ne devraient entrer en vigueur qu’en 2027, rappellent toutefois la Fieb et la Fevia, qui regrettent une enveloppe budgétaire (100 millions d’euros) trop peu ambitieuse. «Or, la Belgique a tout à gagner à rapatrier les achats transfrontaliers, insiste Philipp Buissert. Si les dépenses augmentent dans nos supermarchés, l’Etat pourra compter sur des recettes supplémentaires grâce à la TVA, les producteurs locaux en sortiront gagnants, des emplois supplémentaires seront créés, et le confort des consommateurs sera amélioré.»

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