Face à la vie chère, de plus en plus de Belges font leurs courses à l’étranger. En 2024, ils ont dépensé massivement hors frontières, majoritairement en France. Mais l’Allemagne attire désormais par ses prix cassés et son empire du discount. Une aubaine pour le pouvoir d’achat, un cauchemar pour le commerce national.
Pour adoucir l’addition sur le ticket de caisse, le Belge n’a jamais hésité à franchir les frontières. Mais d’une démarche occasionnelle, la pratique s’est transformée, ces dernières années, en une habitude de consommation assumée.
Courses en Allemagne: 13,4% moins cher
La France, destination numéro un, gagne le (très) gros lot: en 2024, les consommateurs belges y ont dépensé la bagatelle de 750 millions d’euros, selon les chiffres de Comeos, la fédération belge du commerce. L’Hexagone représentait ainsi 60% des achats transfrontaliers, les Pays-Bas 20%, et l’Allemagne (avec le Luxembourg) 16%.
Selon de récents chiffres de la Fevia, relayés par Sudinfo, l’Allemagne et le Luxembourg perçoivent de plus en plus les effets des courses transfrontalières. Les deux pays ont en effet enregistré une hausse de 32% des achats de boissons pour les six premiers mois de 2025.
Ce n’est pas qu’une simple coïncidence: selon les dernières estimations de l’Observatoire des prix, publiées par la DH, la différence entre les prix pratiqués en Belgique et en Allemagne est de «13,4% sur l’ensemble des produits comparés et monte à 15% sur les produits non alimentaires.» Ainsi, «faire ses courses en Allemagne serait désormais plus avantageux qu’en France (différence de 6,6% par rapport à la Belgique) ou aux Pays-Bas (différence de 9,9% par rapport à la Belgique).»
D’après l’organisme, les produits de marque, surtout, sont nettement plus élevés en Belgique que dans les pays voisins. Notamment en raison de la taille du marché: plus les volumes sont grands, plus la marque peut consentir à baisser ses prix.
L’Allemagne, pays des courses discount
L’attractivité de l’Allemagne pour ses prix bas est presque historique. «C’est un vrai pays du discount, relève Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School et spécialiste en retail. Aucun autre pays européen ne compte une part de marché aussi élevée pour les magasins de type hard-discount qu’en Allemagne, où elle dépasse les 40%. Cette domination engendre une pression à la baisse sur le marché dans sa totalité.»
La tendance dépasse donc l’alimentaire. L’électroménager, l’ameublement ou le bricolage sont autant de secteurs plus avantageux. Une chaîne comme MediaMarkt, par exemple, est originaire de Munich. Les drogueries (hygiène, cosmétiques) y sont également bon marché. «Ces prix bas sont la conséquence d’un phénomène structurel inhérent au marché allemand. Aldi et Lidl, pour ne citer qu’eux, ont été fondés outre-Rhin», rappelle Gino Van Ossel.
Les boissons font bouger les Belges
Selon Kim Fredericq Evangelista, économiste en chef chez Comeos, il est probable que l’Allemagne récolte une part croissante des achats transfrontaliers. Récemment, la France a instauré une taxe sur les boissons sucrées. «Or, les consommateurs franchissent les frontières pour acheter des boissons en premier lieu (NDLR: 33% des biens alimentaires achetés à l’étranger). C’est le produit d’appel principal, pour lequel la différence de prix est souvent la plus importante avec la Belgique.»
Le montant des achats transfrontaliers ne cesse d’augmenter: il a doublé entre 2021 et 2024. Un phénomène qui préoccupe Comeos au plus haut point. «Lorsque les consommateurs font leurs achats à l’étranger, l’Etat belge subit une perte directe de recette de TVA et d’accises. Ce qui nuit directement à l’activité économique et peut provoquer des pertes d’emplois.»
Courses plus chères en Belgique: une accumulation de facteurs
Pourquoi la Belgique, consciente du problème, ne parvient-elle pas à colmater la fuite de ses consommateurs? D’abord parce que les coûts de l’énergie y sont plus élevés. Tout comme les salaires. Deux éléments qui poussent directement les prix de la consommation à la hausse.
Des différences notables en matière de fiscalité se répercutent également sur la note finale. Les accises (plus élevées en Belgique), les cotisations «emballage» ou les contributions à Fost Plus –que les autres pays n’ont pas– s’additionnent. «La taxe emballage, notamment sur les bouteilles d’eau en plastique, fait une grosse différence sur le prix final, observe Kim Fredericq Evangelista. Etant donné qu’une part importante de la population belge habite près d’une frontière, une légère différence de prix peut avoir un effet important sur la mobilité de consommation.» La taxe emballage, «à l’objectif noble», n’atteint d’ailleurs pas l’objectif escompté, selon l’économiste, «puisqu’elle fait indirectement fuir les consommateurs belges vers l’étranger.»
Autre élément qui pèse dans la balance: le taux de supermarchés, plus élevé en Belgique qu’en Allemagne, alors que les hard-discounters ou les hypermarchés sont moins nombreux. Or, lorsque les hard-discounters cassent les prix, les hypermarchés tentent de suivre avec des économies d’échelle. La moyenne globale suit donc une tendance baissière, phénomène peu probable en Belgique.
La taille du marché, mais pas que
Si la taille du marché peut jouer, ce n’est pas la raison principale, selon Gino Van Ossel. «La Belgique reste un pays cher car les coûts salariaux y sont plus élevés. Les traductions pour les folders ou les étiquettes, également démultipliées, s’ajoutent au prix final.»
Enfin, les supermarchés présents en Belgique, hormis Colruyt, sont tous des acteurs internationaux, organisés autour de centres européens. «Cela ne joue pas non plus en faveur d’une baisse des prix nationale», remarque le professeur à la Vlerick Business School.
Une éventuelle hausse de la TVA sur le marché belge, évoquée dans le cadre des discussions budgétaires actuelles, «aurait un effet supplémentaire considérable sur les achats transfrontaliers», prévient Comeos.
A force de remplir les caddies d’ailleurs, la Belgique pourrait vite se retrouver en rupture de stock… de consommateurs.