PRODUCTION - 25 July 2024, Rhineland-Palatinate, Koblenz: Librarian Thomas Koch shows a drill from the "Library of Things" in the Koblenz public library. Libraries across the country are no longer just for borrowing books. Koblenz and Ludwigshafen, for example, have a "Library of Things", while other cities focus on events. Photo: Thomas Frey/dpa (Photo by Thomas Frey/picture alliance via Getty Images)

L’économie collaborative, bon plan pour les fauchés

Vêtements, appareils électroménagers, outils de jardinage ou encore matériel sportif: avec le modèle de l’économie collaborative, tout ou presque s’emprunte et se loue. Entre particuliers mais aussi auprès d’asbl, de CPAS ou encore d’entreprises, les concepts diffèrent mais beaucoup remettent en question l’idée du prêt, de l’entraide et du partage sans une quelconque implication financière.

Lors de son emménagement dans un nonante mètres carrés tapissé de moquette, Isabelle, 61 ans, s’est lancée pour la première fois dans la location de matériel. «Je voulais une shampouineuse pour m’assurer d’avoir un sol a minima sain et propre pour débuter ma location. N’étant pas propriétaire du lieu, je ne voulais pas investir et acheter», se remémore la sexagénaire. C’était il y a seize ans. Le concept de l’économie collaborative était déjà dans l’ère du temps. «Depuis quinze à 20 ans, l’économie de partage connaît un succès pour les mêmes raisons que pour la seconde main: environnementales, économiques et pratiques», fait état Marine Spor Ceccaldi, chercheuse postdoctorale en économie circulaire à l’ULB. Le volet social entre aussi en jeu. «Théoriquement, le fait d’emprunter ou de louer du matériel à un voisin ou autre peut créer du lien social ou le renforcer si l’on fait partie d’une communauté et que cela constitue un projet plus large», décrit Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB).

Depuis, l’économie de partage s’est développée. Selon l’étude The Sharing Economy, réalisée par le cabinet d’audit PwC, le marché mondial de l’économie collaborative devrait passer de 15 milliards de dollars en 2014 à 335 milliards de dollars en 2025. Très large, le concept englobe le secteur marchand et non marchand. «L’économie de partage comprend le “peer to peer” (“pair à pair”), c’est-à-dire se prêter ou échanger un objet ou un service entre particuliers, mais aussi des entreprises qui fonctionnent en coopératives», explique Marine Spor Ceccaldi. Parmi ces dernières, Commown qui permet de louer du matériel électronique.

Outre les nouvelles technologies, l’économie collaborative touche à une multitude de secteurs. A Ixelles, la Bébéthèque fonctionne sur le principe du prêt d’affaires pour bébés et jeunes parents avec des baignoires, des coussins d’allaitement, des poussettes, etc. Un concept censé répondre aux besoins des près de 14% de Belges âgés de 0 à 15 ans souffrant de privation matérielle spécifique à leurs besoins, selon l’office belge de statistique Statbel. Pour le public en difficultés financières, une prêterie a été installée au sein de l’épicerie sociale du CPAS de Berchem-Sainte-Agathe. Destiné à toutes les personnes domiciliées dans cette commune, le service est possible en contrepartie d’une cotisation annuelle de dix euros par famille, sauf pour les personnes sous le seuil de pauvreté. Pour une semaine ou plus si besoin, elles peuvent emprunter un gaufrier, un robot multifonctions, une machine à coudre ou encore une table pliable.

Tout à louer et emprunter, en ligne ou sur place

Le concept de l’emprunt collaboratif est fort présent en ligne. Alors qu’une perceuse sert en moyenne douze minutes sur toute une vie avant de finir au fin fond d’un garage, selon Bruxelles Environnement, le site d’outils à la location Tournevie en regorge, sans compter les clés à molette et autres scies circulaires. Pour les louer, il suffit de s’inscrire sur la plateforme. Les frais d’adhésion varient en fonction de l’intensité et de la fréquence d’utilisation de l’outil, entre 30 et 155 euros. «L’impact environnemental des objets est lié à leur phase de production. Plus longtemps on les utilise, plus on amortit ces conséquences, et plus on les met à disposition d’autres utilisateurs, plus elles sont réparties», insiste Cécile Riffont, chargée de projet département ressources déchets au sein de Bruxelles Environnement. Selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), de 50 à plus de 90% de l’impact environnemental d’un produit vient en effet de sa fabrication.

Le site pret-a-louer.be est lui dédié aux tenues pour de grandes occasions comme les mariages, les cocktails, les galas ou encore les bals. Si en raison de la surproduction textile, Marek Hudon estime que «la location de vêtements peut être intéressante pour atteindre les objectifs de développement durable notamment», Marine Spor Ceccaldi se questionne: «Est-ce qu’on met la même émotion dans un vêtement pour une occasion spéciale que dans une scie sauteuse?». Pas certain. Ainsi, l’engagement à louer un bien va dépendre de l’appropriation de chacun à celui-ci et de ce qu’il représente. «Pour des biens assez chers à l’achat, notamment liés au bricolage ou au nettoyage, et qui n’existent pas dans les systèmes de location classique, il y a un public de loueurs», observe Cécile Riffont. Mais pour les autres, les choses se compliquent et certaines plateformes ne parviennent pas à durer dans le temps. C’est le cas d’Usitoo.be qui proposait un panel d’objets touchant aussi bien au jardinage et la cuisine qu’au camping. Pour Marek Hudon, «les systèmes de location ne sont pas encore au point par rapport aux attentes des consommateurs, surtout avec l’évolution et la concurrence du commerce en ligne qui facilite les achats». Afin d’endiguer le phénomène, davantage de législation européenne et de contrôles aux frontières seraient nécessaires. En attendant, le réflexe de louer ou d’emprunter reste peu développé dans le pays. «L’offre est assez limitée ou du moins, elle existe de manière assez informelle: entre voisins ou au sein des familles. Elle n’est pas identifiée en tant que telle et la majorité des biens consommés sur les marchés sont achetés, même si c’est éventuellement en seconde main», constate Cécile Riffont.  

Dans les freins du public, l’aspect distance entre en compte. D’autant plus lorsque la ou l’une des motivation(s) pour louer ou emprunter est environnementale. «Il faut faire attention à tous les impacts environnementaux qui peuvent être liés au partage et notamment le nombre de kilomètres à faire pour récupérer son objet. S’il s’agit de 30 kilomètres, pas sûr que cela ait un intérêt pour le climat», fait remarquer Marek Hudon.

Des entreprises au cœur du concept

Disponible en France, l’application Poppins affiche la distance de l’objet convoité de son chez soi. Co-créée par deux Français dont Lucie Basch, initiatrice de Too good to go, et deux Belges, son slogan demeure «Possédons moins, profitons plus». Dédiée au partage d’objets disponibles à la location ou au prêt gratuit entre amis, voisins, collègues, en famille mais aussi entre particuliers et magasins de location, ou bibliothèques d’objets autour de chez soi, la plateforme regorge d’escabeaux, de matelas gonflables, d’appareils de sonorisation, de costumes, d’appareils à raclette, de vélos et autres jeux de société. «Après six semaines de lancement, nous avons déjà 40.000 utilisateurs à Paris et Bordeaux. Nous devrions arriver sur Lille et Lyon en juin. Si, pour le moment, on se focalise sur la France, dans le futur, on adorerait se développer, et pourquoi pas en Belgique», glisse Jonas Mallisse, cofondateur.  

Le «no buy» en vogue

Sur les réseaux sociaux et notamment TikTok, le nombre de vues sur les vidéos en lien avec la tendance «No buy challenge» atteint les douze millions de vues, selon 01Net qui s’est basé sur les relevés de la plateforme de veille Visibrain. De quoi booster le modèle de l’économie collaborative pour limiter la surconsommation.

De grands groupes se faufilent dans le secteur. C’est le cas de Décathlon qui s’est lancé en 2021 dans le test de la location de son matériel sportif en Belgique. Skis, kayaks, tentes ou encore paniers de basket défilent sur les pages du site au mantra «Dépensez moins, profitez plus». Une économie de la fonctionnalité, de l’usage, plus que de la consommation, qui met en avant l’argument marketing de la qualité et de la durabilité du produit. «On va pouvoir louer un objet de haute qualité plutôt que d’acheter un appareil bas de gamme, qui va casser au bout de deux utilisations», rapporte Marine Spor Ceccaldi. Dans cette logique de long terme, Marek Hudon insiste sur l’importance d’un service après-vente et d’entretien du matériel. «Toute une procédure doit être mise en place en termes de maintenance et de vérifications», martèle le professeur.

Mais cette implication des entreprises dans la démarche de don, de partage et de prêt n’est pas sans enjeux avec une possible marchandisation de ces valeurs. «Il faut toujours regarder par rapport à l’alternatif», met en garde le professeur à l’ULB avant d’interroger: «Qu’est-ce qui serait fait avec ces biens-là s’ils n’étaient pas mis en location? Iraient-ils au parc à containers, à la décharge, car détériorés par manque d’utilisation régulière ou bien seraient-ils donnés ou prêtés gratuitement?».

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