Colruyt a répliqué à l’offre promotionnelle impressionnante d’Albert Heijn en Flandre. Mais son intérêt pose question, que ce soit pour les clients ou les enseignes.
Coup pour coup. Albert Heijn a frappé fort en début de semaine en annonçant une promotion XXL: pour deux mêmes produits achetés, le client en reçoit cinq autres… gratuitement, soit une réduction de près de 70 %. Cette offre «2+5 gratuits» valable jusqu’au 9 novembre sur une dizaine de produits alimentaires et de base (dentifrice, tablettes de lave-vaisselle…) de grandes marques (Dash, Colgate, Heinz, Harry’s, Bifi…) vendus par l’enseigne néerlandaise, devenue incontournable en Flandre où elle compte plus de 80 points de vente. Largement relayée par les médias, cette promotion a attiré un très large public, avec des files d’attente devant certains magasins avant même l’ouverture, et des ruptures dans les rayons auxquelles Albert Heijn a promis de pallier. «J’espérais faire une bonne affaire, mais ce que j’ai trouvé dans le magasin était vraiment incroyable. Je n’avais jamais vu une vente pareille», a assuré un client dans les colonnes de HLN.
Fidèle à sa politique de garantir les prix les plus bas à ses clients, Colruyt a répliqué en dégainant la même offre promotionnelle «2 achetés + 5 gratuits». «Nous réagissons effectivement aux promotions super XXL d’Albert Heijn, et ce dans toute la Flandre», fait savoir l’enseigne, confirmant que cette offre n’est pas proposée dans les Colruyt de Bruxelles ou de Wallonie, où Albert Heijn n’est pas présent. «Nous prenons en compte les prix de l’ensemble du marché, pas uniquement ceux d’Albert Heijn. Cela signifie que certains produits bénéficient d’autres promotions que le « 2+5 », avec des réductions et des quantités variables, qu’elles proviennent d’un concurrent ou de nos propres actions. Nous les suivons toutes. Chez Colruyt, vous payez donc le prix le plus bas par unité dès la plus petite quantité promotionnelle disponible sur le marché, combiné à cette réduction de quantité pour le produit concerné», ajoute la chaîne de supermarchés.
Offre «2+5 gratuits»: à la limite de la vente à perte, interdite
«Je n’avais jamais vu de telles promotions en termes de volume, que ce soit en Belgique ou aux Pays-Bas», explique Gino Van Ossel, expert du retail à la Vlerick Business School. Ces promotions sont généralement rendues possibles par les fournisseurs des enseignes, appelés à baisser au maximum leurs marges sur leurs produits pour rendre ce cadre légal, puisque la vente à perte est interdite en Belgique. Les distributeurs (comme Colruyt ou Albert Heijn) ne peuvent pas vendre un produit à un prix inférieur à celui auquel il a été acheté: pour que la promotion soit légale, le fournisseur doit donc consentir à une réduction exceptionnelle sur le prix d’achat facturé, partageant ainsi la «charge» de la promotion.
L’enseigne peut ensuite proposer le nombre de produits de son choix gratuitement, sans qu’elle ait besoin de prévenir au préalable les autorités, tant qu’elle ne perd pas d’argent. «L’entreprise doit être en mesure de démontrer, en cas de contrôle du SPF Economie, qu’elle respecte notamment l’interdiction de la vente à perte», explique le SPF Economie, précisant: «Est considérée comme une vente à perte toute vente à un prix inférieur au prix d’achat ou au prix que l’entreprise devrait payer lors du réapprovisionnement, après déduction des réductions accordées et définitivement acquises».
En 2019, Albert Heijn avait ainsi été sanctionné pour une offre «1+2 gratuits», jugée illégale par l’Inspection économique. «D’après nos calculs, l’offre actuelle rentre tout juste dans les clous. Ils savent qu’ils sont dans le collimateur, ils ont dû bien travailler là-dessus», souligne Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola.
Un intérêt minime?
Reste que l’intérêt de telles promotions reste minime, économiquement parlant, pour les enseignes concernées. Outre une faible marge, les clients, sur le court ou moyen terme, n’auront aucun intérêt à revenir pour racheter un produit dont ils possèdent déjà sept exemplaires, et encore moins au prix «fort».
«Ce type d’offre peut miner totalement la confiance du consommateur, qui peut se dire: « Est-ce que je ne me fais pas avoir depuis des années à payer ces produits bien plus cher? »», explique Pierre-Alexandre Billiet. «L’objectif, c’est que les consommateurs et les médias parlent de ces offres, analyse Gino Van Ossel. Elles viennent soutenir l’image positive que les enseignes veulent se donner concernant les prix. En agissant de la sorte, Albert Heijn tape sur la concurrence, qui doit réagir. Mais est-ce que des clients vont aller pour la première fois dans un Albert Heijn ou un Colruyt pour bénéficier de ces offres? Pas sûr.»
Selon Testachats, toutes les remises proposées, du moins du côté de l’enseigne néerlandophone (dont les prix ont été analysés), ne sont de plus pas autant de bonnes affaires pour les clients sur le plan financier. L’intérêt de posséder sept fois le même produit peut aussi être discuté. Comme pour chaque promotion, le SPF Economie encourage ainsi à prendre le temps de comparer les prix entre différents points de vente ou canaux, de vérifier les conditions de la promotion (durée, modalités, produits concernés) et de se méfier des réductions trop spectaculaires, qui peuvent parfois être trompeuses. En cas de problème, un signalement peut être effectué via ConsumerConnect.
«La « surpromotion » est un problème»
Pour Pierre-Alexandre Billiet, les conséquences de ces promotions XXL sont multiples: «La crédibilité des enseignes les proposant est entamée, pas seulement aux yeux des consommateurs. C’est vraiment pour surexciter les foules, avec de la surconsommation». Et le CEO de Gondola de rappeler que des incidents récents liés à des offres promotionnelles, avec des personnes blessées, ont eu lieu aux Etats-Unis ou en France: les autorités françaises ont depuis limité les promotions à 34 % en valeur et 25 % en volume. «La promotion n’est pas un problème, c’est un outil marketing, mais la « surpromotion » en est un. On va vers de la surenchère, qui peut déstabiliser le consommateur.» Reste désormais à voir si Albert Heijn et Colruyt s’arrêteront là. Pour Gino Van Ossel, une «guerre des prix est possible si cela se répète», même si ce ne devrait pas être le cas ici, à en croire l’expert, du moins à court terme: «Je penche pour une bataille, suivie par une période de paix».