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Colruyt modifie les prix de «250 à 300 produits» chaque jour: les dessous d’une stratégie qui désavantage parfois la Wallonie

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Dans sa quête des meilleurs prix, l’enseigne Colruyt suit ses concurrents à la seconde, ou presque. Dans un même magasin, les prix de 250 à 300 produits sont changés quotidiennement. Une pratique d’alignement «en temps réel» qui peut engendrer une certaine confusion pour le consommateur.

La garantie des meilleurs prix coûte cher à Colruyt. En énergie, mais aussi en personnel. Pour assurer sa promesse, l’enseigne engage un véritable arsenal de «releveurs de prix»: ils sont 107 collaborateurs à éplucher les promotions concurrentes au jour le jour.

En ligne, sur les dépliants papier, ou dans les magasins physiques concurrents: le supermarché dit s’aligner sur tous les prix les plus bas. A l’échelle nationale, avec une adaptation systématique aux concurrents présents dans toute la Belgique (Aldi, Lidl, Delhaize…) mais aussi au niveau local pour les chaînes implantées uniquement en Wallonie (Intermarché) ou en Flandre (Albert Heijn et Jumbo).

Colruyt: 250 à 300 changements de prix quotidiens par magasin

Ce quadrillage constant engendre des changements de prix en continu. Ainsi, Colruyt révèle au Vif que «250 à 300 prix sont adaptés quotidiennement dans chaque magasin, sur base des prix appliqués par les concurrents.» Le tout sur un total de 9.000 à 10.000 articles en moyenne disponibles dans un supermarché.

Aucune autre enseigne en Belgique ne fait varier ses prix avec la même fréquence, et le même volume. Et lorsque Colruyt lance un nouveau dépliant (le mercredi toutes les deux semaines), la moyenne explose momentanément, avec «400 à 450 adaptations de prix» par magasin.

Des prix volatiles

Une pratique qui comporte certes ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Un client qui se rend dans un même supermarché Colruyt pourrait, en l’espace de 24 heures, voir le prix d’un même produit fortement varier. «Nos prix étant adaptés chaque jour, des conséquences à la baisse ou à la hausse peuvent survenir, reconnaît Maria Clara Geurs, porte-parole. Mais toujours selon la logique de garantie des meilleurs prix dans la région.»

De fait, si un concurrent stoppe sa promotion, Colruyt n’aura plus d’intérêt à s’aligner: le prix du produit peut donc instantanément repartir à la hausse, et inversement en cas de nouvelle promotion concurrentielle.

Colruyt: adaptation locale et ciblée

Au-delà de l’échelon national, Colruyt adapte également ses prix avec ses concurrents situés à proximité immédiate de chaque magasin. «Il n’y a pas de périmètre strict. Nous nous alignons simplement avec les enseignes voisines.»

Colruyt compare tous les produits (à la fois marque et distributeur) sur base d’un «format identique ou proche» et d’un contenant similaire. «On peut même aller jusqu’à contrôler le pourcentage de tomate présent dans une conserve, afin de déterminer avec quel produit l’alignement est réalisé.»

L’effet Albert Heijn en Flandre

Selon Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School et expert en retail, les prix pratiqués par Colruyt, en plus de varier très localement, sont généralement plus bas en Flandre qu’en Wallonie. L’explication trouve sa source «dans le phénomène Albert Heijn», enseigne d’origine hollandaise présente uniquement en Flandre. Cette dernière «achète la plupart de ses produits aux Pays-Bas, explique le spécialiste, où la politique des prix qui n’est pas identique aux habitudes belges.»

En effet, en Belgique, toutes les promotions sur les marques nationales sont assurées par les marques elles-mêmes. Aux Pays-Bas, ce n’est pas le cas: les chaînes ajoutent des remises supplémentaires sur les produits de marque. «C’est important, car en Belgique, normalement, les promotions en vigueur sur les marques nationales sont les mêmes dans toutes les chaînes qui vendent le même article. Or, en se calquant sur le modèle hollandais, Albert Heijn applique des promotions plus importantes que les autres enseignes en Flandre», analyse Gino Van Ossel.

En quelque sorte, Albert Heijn casse donc «l’harmonie» nationale concernant les promos sur les marques. Et Colruyt, depuis quelques années, se voit contraint de suivre cette rupture. «Ce mécanisme provoque un écart de prix global entre les magasins Colruyt situés en Flandre et ceux situés en Wallonie, où Albert Heijn est absent», assure Gino Van Ossel. Et si Intermarché reste important au sud du pays, «Colruyt pratique déjà des prix plus bas. On ne constate donc pas cette même tendance baissière.»

… et l’effet Intermarché en Wallonie?

Une analyse qui n’est pas observable dans tous les cas de figure, rétorque Maria Clara Geurs. «L’alignement en Flandre avec Albert Heijn (et Jumbo) vaut pour Intermarché en Wallonie, qui pratique des promotions importantes de façon ciblée, entre autres sur la viande, cite-t-elle. La différence objective est que Colruyt a deux concurrents directs en Flandre, un seul en Wallonie», admet-elle. Aldi, Lidl et Delhaize étant des concurrents nationaux, les prix sont alignés dans tous les magasins Colruyt, sans distinction locale.

Toujours est-il que chez Colruyt, la valse quotidienne des étiquettes pousse le client à faire ses courses autrement. Entre promotions éclairs et ajustements constants, le consommateur n’a plus qu’à suivre le rythme. En traquant le moindre centime, Colruyt entretient une tension permanente entre stabilité des prix et compétitivité à tout prix.

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