Peut-on confier ses finances à une intelligence artificielle? Si les outils comme ChatGPT peuvent désormais composer un portefeuille, analyser le risque ou proposer des stratégies d’investissement, ils ne sonnent pas pour autant la fin du conseiller financier. Leur montée en puissance redéfinit plutôt les contours du métier
L’intelligence artificielle générative s’invite progressivement dans le monde du conseil en investissement. Par exemple, ChatGPT –pour ne citer qu’un outil– peut désormais simuler un portefeuille boursier, analyser un niveau de risque ou encore proposer des stratégies d’allocation d’actifs.
Une avancée technologique, certes, mais qui appelle à la nuance. «Il y a un aspect purement technique dans la gestion de portefeuille: composer un portefeuille d’actions, d’obligations, mesurer la performance, choisir le niveau de risque… Tout cela, ChatGPT peut le faire facilement», estime Bruno Colmant, économiste. Pour lui, l’IA est avant tout « un outil mathématique absolument extraordinaire », capable de gérer une grande part de la mécanique du conseil financier.
L’intelligence artificielle, plus rationnelle que l’humain?
Face à l’incertitude des marchés, l’IA pourrait devenir une alliée. «Quand on gère un portefeuille d’actions, on devrait connaître l’avenir. Or personne ne peut dire si telle action va monter ou baisser. Mais l’intelligence artificielle ne sera pas plus mauvaise que l’intuition d’un conseiller financier», avance Bruno Colmant.
Certains travaux scientifiques viennent appuyer cette intuition. Une étude de la Booth School of Business de l’Université de Chicago a montré qu’en demandant à GPT-4 de raisonner comme un humain en identifiant des tendances dans les états financiers et en calculant différents ratios, le modèle était capable d’analyser l’information et de prédire les résultats futurs d’entreprises. Résultat: un taux de précision de 60 %, contre environ 50 % pour les analystes humains.
Comment expliquer cet écart? «Nous agissons souvent sur base de peurs, de pulsions, d’intuitions. L’IA, elle, dispose de plus d’informations, elle est plus objective, plus rationnelle. Elle peut construire un portefeuille de manière plus raisonnée», souligne Bruno Colmant.
Des investisseurs de plus en plus autonomes
Cette capacité accrue de l’IA à traiter les données financières pousse d’ailleurs certains particuliers à s’en emparer directement. De plus en plus d’utilisateurs introduisent eux-mêmes la composition de leur portefeuille dans des interfaces comme ChatGPT, dans le but d’obtenir des arbitrages ou d’évaluer la cohérence de leurs placements.
Mais cette évolution ne signe pas la fin du conseiller humain. «ChatGPT va déplacer le rôle du conseiller financier vers celui de conseiller patrimonial, c’est-à-dire mieux comprendre le niveau de risque du client, sa situation familiale, les questions de succession, de donation, d’héritage…», observe Colmant. Autrement dit, la technologie ne remplace pas, elle redéfinit.
Car l’intelligence artificielle, aussi puissante soit-elle, reste fondamentalement aveugle aux dynamiques humaines. Les projets de vie, les conflits familiaux, la tolérance émotionnelle au risque: tout cela échappe encore aux machines. «Le dialogue humain est irremplaçable pour un conseil financier, insiste l’économiste. Ce qui est technique, froid, calculable, sera pris en charge par la machine. Ce qui relève de l’humain, de l’intime, va devenir encore plus central.»
Conseiller financier : un métier en mutation, pas en disparition
Les conséquences de cette révolution technologique? Un double mouvement. D’un côté, une automatisation croissante des tâches techniques. De l’autre, une revalorisation du rôle humain dans le conseil financier. «Le conseiller financier ne sera pas supprimé, mais augmenté. Il devra à la fois maîtriser les rouages techniques des marchés financiers et s’intéresser à la stratégie de vie de ses clients. Il devra comprendre leurs particularismes, leurs besoins spécifiques, leurs histoires personnelles», poursuit Bruno Colmant. Une transformation que l’économiste juge bénéfique pour le métier. «Ce sera plus intéressant, plus intelligent, parce que plus global», conclut-il. Loin de ringardiser le banquier de confiance, l’intelligence artificielle pourrait bien, paradoxalement, lui redonner toute sa valeur.