Transports, hôtel, tenues… Des convives voient leur budget sérieusement grimper pour assister à l’union de leurs proches. Au point, parfois, de débourser des centaines d’euros, voire plus.
La joyeuse nouvelle est mal tombée pour Lisa (1), 51 ans. L’été dernier, elle a célébré le mariage de son frère cadet. Seul bémol, l’heureux événement avait lieu à Marrakech. «Les festivités ont été étalées sur trois jours. Chaque jour, il y avait un dress code imposé. Cela impliquait à chaque fois de porter des tenues différentes», détaille la quinquagénaire. Les réjouissances étaient également ponctuées de plusieurs événements (balade à dos de dromadaire, cours de cuisine marocaine et séance de hammam).
Une noce pour le moins onéreuse. Lisa a ainsi déboursé, pour elle et ses deux filles, 900 euros pour des billets d’avion à destination de la ville rouge, et 500 euros d’hôtel –sans compter le budget vestimentaire de 300 euros. Soit un coût total de 1.700 euros. «Suite à ma séparation, je suis dans une situation économique fragile. J’ai reçu un coup de pouce financier de mes parents, mais si c’était pour quelqu’un de moins intime, je n’y serais certainement pas allée.»
Comme Lisa, bon nombre d’invités se voient contraints de débourser une somme importante pour assister aux mariages au sein de leur famille ou de leurs amis. Car cette tendance des destination weddings, ces cérémonies coûteuses célébrées dans un pays différent de celui des mariés, a un prix et ce n’est pas toujours au goût de tous les convives. «Cela exerce une vraie pression sur le groupe et pèse sur le budget que l’on doit consacrer aux mariés. Si tous tes amis s’y rendent, tu te sens évidemment obligée d’y aller. Pour rentabiliser le trajet et l’hôtel, j’ai pris une semaine de vacances pour rester quelques jours de plus sur place», note Maria, la petite trentaine, qui assistera à un mariage qui aura lieu au Portugal, en juin.
Les organisateurs de mariage interrogés, appelés plus communément wedding planners, constatent un taux de refus plus élevé parmi les conviés. Ces derniers paient généralement le déplacement et le logement. Les futurs mariés, eux, régalent et, éventuellement, offrent les nuitées. «On s’éloigne des grands mariages avec 150 invités quand on choisit de se marier à l’étranger. On invite les proches uniquement», assure Anne Wydock, directrice de l’agence événementielle Unforgettable Event. Ses clients? Ils ont passé la trentaine et gagnent bien leur vie. Ce sont également des personnes qui se sont déjà mariées une fois et qui souhaitent davantage de simplicité. Emile, 48 ans, le frère de Lisa, a connu, lors d’une première union, une cérémonie avec 150 invités. Quinze ans plus tard, il «ne voulait plus revivre ce sentiment d’une journée au travers de laquelle il est complétement passé». «J’étais dans une espèce de flou mental», avoue-t-il. Quant à sa conjointe, pour son premier mariage, la trentenaire souhaitait «quelque chose d’élégant et de spécial». C’est pieds nus dans le désert d’Agafay et au son de la taârija qu’ils se sont unis en présence d’une soixantaine de personnes.
Ces drôles de noces en plus petit comité –50 personnes en moyenne- sont moins dispendieuses qu’un mariage classique: 20.000 euros en moyenne pour 100 invités. Des épousailles au Maroc peuvent ainsi coûter jusqu’à trois fois moins cher qu’en Belgique. Pour les autres destinations phares, à l’instar du sud de la France, de l’Espagne ou de l’Italie, c’est un plus gros budget, mais qui s’équilibre généralement par le nombre d’invités. Les futurs mariés ont le choix entre plusieurs «packages» (NDLR: à partir de 5.000 euros), tous personnalisables, qui comprennent accompagnement jusqu’au jour J, notamment les démarches administratives, privatisation du lieu, banquet, photographe, décoration, ambiance musicale. Voyage et hébergement ne sont pas inclus. «Mais le prix est très rarement la raison principale de ce choix, d’autant que la formule n’est pas toujours plus économique, observe Anne Wydock. Ils veulent une cérémonie intimiste, entourés d’un cercle restreint, et surtout passer du temps de qualité avec leurs proches dans un cadre magnifique.»
Les épousailles s’étendent aussi désormais sur plusieurs jours et ont tendance à s’exporter : dîner ou apéritif d’accueil le vendredi, cérémonie suivie d’un dîner festif le samedi, pool party et brunch ou barbecue le dimanche dans un cadre idyllique.
«Déjà installés dans la vie professionnelle et, souvent, familiale, ils financent eux-mêmes leur mariage. Logiquement, ils souhaitent une fête qui leur ressemble, qui, surtout, sort de l’ordinaire et marque les esprits», ajoute Florence Maillochon, sociologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le recul de l’âge moyen au mariage –actuellement 35 ans pour les hommes et 33 pour les femmes– explique en partie ce phénomène.
Avant « le plus beau jour de la vie » était une image métaphorique, à l’heure actuelle cette expression est prise au sens propre, au premier degré.
Une sorte de vitrine du couple
N’en faire donc qu’à sa tête, il y a encore quelques années, l’option paraissait impossible. La baisse constante du nombre de mariages depuis les années 1970 (73.261 en 1972 contre 46.564 en 2023, selon Statbel, l’office belge de statistique) est allée de pair avec une sophistication des festivités. «Alors que la pression sociale à se marier n’existe plus et que s’unir ne coïncide plus avec le début du couple ou de la famille, ceux qui se lancent en font une fête extraordinaire qui occupe l’espace visuel, l’espace social et nos pratiques», poursuit la sociologue.
Tous revendiquent l’amour, bien sûr. Certains y ajoutent des motivations religieuses ou économiques. Mais dans l’ensemble, c’est la volonté de se marier pour faire la fête, comme si «se marier était devenu plus important qu’être marié». En faire un événement distinctif, original et mémorable a souvent plus de valeur que le bout de papier et le passage devant l’officier d’état civil. La forme a, d’une certaine façon, pris le pas sur le fond. Depuis le début du XXIe siècle, le mariage est ainsi devenu «le moment où on peut afficher la personnalité de son couple, ses amis, sa famille, une sorte de vitrine du couple, de sa puissance sociale et de son individualité». Cela doit se voir jusqu’au moindre détail. Il faut assortir la teinte du faire-part à celle du menu, des fleurs, des tenues des invités, des cravates ou nœuds papillon des messieurs, des petits cadeaux offerts aux convives… D’où l’importance cruciale du lieu de la fête et de la décoration, car le cadre conditionne le début du mythe. Un mas en Provence, un riad à Marrakech, une ferme en Toscane, une hacienda en Andalousie, ça en jette davantage. Car ce qui se voit se mémorise mieux. Les noces doivent d’ailleurs être visibles tout le temps, par tout le monde. Des photos et des vidéos sont bien souvent postées tout le long des festivités sur Instagram et TikTok, signes de noces réussies.
Autant d’exigences qui compliquent la vie des invités… Rien que cette «saison», Maria est invitée à quatre mariages, et il n’est pas question d’avoir la même tenue. Des dépenses auxquelles viennent s’ajouter le cadeau offert aux mariés. «Le coût supporté par les convives est très souvent minimisé, voire invisibilisé, par les futurs époux parce qu’ils offrent un bon repas et un moment de fête partagé», note Florence Maillochon, auteure, entre autres, de La Passion du mariage (PUF, 2016).
«Le plus beau jour de leur vie»
«Avant « le plus beau jour de la vie » était une image métaphorique, à l’heure actuelle cette expression est prise au sens propre, au premier degré», analyse encore la sociologue. Un phénomène qui s’est exacerbé notamment sous l’influence des réseaux sociaux qui amplifient, souligne la sociologue, «notre besoin du spectaculaire, d’alimenter l’image et le côté spectacle du mariage. Le mariage n’est devenu qu’un épiphénomène de la mise en scène permanente de nos vies quotidiennes uniformisées.»
Les épousailles sont donc de plus en plus minutieuses et esthétiques. Cette quête d’innovation et de perfection instaure alors de nouvelles normes, de nouvelles étapes: la demande en mariage s’impose, les préparatifs s’allongent –en moyenne, une année avant le jour J-, les cérémonies d’enterrement de vie de célibataire deviennent des passages obligés. Tout cela crée un ensemble d’injonctions. «La pression est énorme dans une société de compétition, d’image de soi. Le couple doit écrire au mot près le scénario de la journée. Tout est sous contrôle pour que les invités s’en souviennent. C’est le défi de donner de la visibilité et de l’authenticité à une intimité», explique Florence Maillochon. D’où l’énergie dépensée, l’argent investi et le temps passé.
Pour autant, arrivera-t-on bientôt à la fin d’une époque? Difficile à dire. Pour Florence Maillochon, il est possible qu’on observe un retour à des formes plus modestes. «Il y a une telle exacerbation que là, on touche un sommet. Il ne reste plus qu’à redescendre, et revenir à des choses plus alternatives, plus simples.»
(1) Prénom d’emprunt