Les nouveaux bons d’Etat, dont la souscription débute ce 26 août, offrent sécurité et transparence, mais des rendements jugés encore trop faibles face à l’inflation et d’autres produits financiers défensifs. Démunis de régime fiscal préférentiel, leur succès devrait rester limité, malgré des taux en légère hausse.
Une nouvelle récolte décevante, ou un rebond notable? Les deux nouveaux bons d’Etat, version fin d’été 2025, seront émis le 4 septembre prochain. La période de souscription, elle, s’ouvre le 26 août, et se refermera le 3 septembre. Les taux ont déjà été dévoilés: après la retenue du précompte (maintenu à 30%), ils s’élèvent à 1,33% net (pour la période d’un an) ou 2,24% net (pour dix ans). Le bon d’Etat étant désormais émis quatre fois par an, le prochain sera disponible en décembre.
Bons d’Etat: l’option actuelle est-elle toujours attractive pour l’épargnant?
Pour Anh Nguyen, professeur en finance (UCLouvain) et gestionnaire de fonds (Nagelmackers), si l’on compare les taux nets proposés à l’inflation attendue (environ 2%), sur un an, le rendement de 1,33% est assez faible. «En réalité, on perd du pouvoir d’achat simplement en souscrivant au bon d’Etat, car le taux sur un an ne compense pas l’inflation», fait-il remarquer. Si le taux sur dix ans bat légèrement l’inflation, «nul ne peut dire comment cette dernière évoluera dans les prochaines années.»
Comme toujours, les rendements proposés pour les bons d’Etat «sont conditionnés par les taux d’investissement sur le marché international, justifie Jean Deboutte, directeur à l’Agence de la dette. Les taux ont cependant augmenté par rapport aux dernières émissions. Cela peut représenter une belle opportunité», assure-t-il. Le taux court à un an étant assez faible actuellement, «cela explique pourquoi le taux du bon d’Etat n’est pas très élevé», ajoute Anh Nguyen.
Bons d’Etat: sécurité et transparence
La sécurité du placement est souvent présentée comme l’atout numéro un du bon d’Etat. Le seul risque qu’il comporte, très minime, serait que la Belgique fasse défaut et ne puisse pas rembourser ses dettes. «Cette garantie de sécurité engendre un désavantage clair, à savoir un rendement extrêmement faible par rapport à l’inflation, mais aussi d’autres produits financiers», souligne Anh Nguyen. Un vrai dilemme, donc.
Car le bon d’Etat comporte toutefois d’autres avantages non négligeables. «Il offre une transparence totale sur les taux, une accessibilité à partir d’un petit montant (100 euros minimum), ou une possibilité de le vendre à tout moment à bon prix sur le marché secondaire, liste Jean Deboutte. Quelque part, il s’agit d’un placement garanti et très prévisible. Le produit est également simple à comprendre et à souscrire», promeut-il.
Les bons d’Etat sont-ils encore «à la mode»?
Le directeur de l’Agence de la dette dit s’attendre à une récolte supérieure à la dernière émission de juin (132 millions d’euros), mais très inférieure au record de septembre 2023, où le bon d’Etat bénéficiait alors d’un précompte réduit de 30% à 15%. «Il serait logique de dépasser les 140 voire les 150 millions d’euros, estime-t-il. Mais nous serons très loin du milliard.»
Le précompte réduit à 15% n’était pas seulement attractif au niveau du taux, mais aussi au niveau du principe, observe Anh Nguyen. «Se dire qu’on paie moins d’impôts, ça parle toujours à l’épargnant belge. Or, la dernière émission, sans précompte réduit, a rapporté… 1/200e du record de 2023, calcule-t-il. Au-delà de l’effet de surprise du premier bon d’Etat, l’attractivité a baissé, et les banques ont également proposé des produits plus variés.»
D’autres options de produits «défensifs»
Dans les produits financiers défensifs, c’est-à-dire ceux qui ne comportent pas de risque, Anh Nguyen pointe d’autres options souvent plus rentables face aux conditions du bon d’Etat.
Dans les comptes d’épargne, d’abord, sur environ 50 produits proposés, «une vingtaine dépasse le rendement de 1,33% net.» Pour les comptes à terme, «des banques proposent des taux de 1,50% à 1,70% net.»
Les produits d’assurance (style branche 21) «proposent également des taux plus attractifs», même s’ils impliquent de laisser l’argent plus longtemps sur le compte (souvent huit ans).
Enfin, depuis six mois à un an, «on voit également les banques proposer de plus en plus de produits « structurés », qui dépendent d’actifs sous-jacents, note le spécialiste. Ils s’apparent un peu à une obligation, où le capital est souvent garanti, mais sont plus complexes. Le coupon, et donc l’intérêt, dépendra des performances boursières ou obligataires. Ils sont également « rappelables » par l’émetteur, c’est-à-dire que la banque se réserve l’option de le racheter», décrit-il.
Le bon d’Etat peut-il stimuler la concurrence bancaire?
La concurrence bancaire est «assez statique depuis quelques mois, reconnaît toutefois Jean Deboutte. L’émission du bon d’Etat pourrait dès lors faire un peu bouger les choses.» Mais aussi «déclencher une réflexion chez l’épargnant, et le pousser à aller faire son « shopping » parmi les autres produits proposés», ajoute Anh Nguyen.
Si un précompte réduit provoquerait probablement un nouveau grand succès aujourd’hui, l’option reste ignorée par les politiques. «Actuellement, le gouvernement ne fait plus d’exception, le bon d’Etat est dès lors traité avec le même régime fiscal qu’un autre produit d’investissement, rappelle Jean Deboutte. Par ailleurs, poursuit-il, les taux directeurs de la BCE ont largement diminué depuis un an. C’est une tendance générale à la baisse sur le marché que l’on constate également sur les livrets d’épargne.» Compte tenu de tous ces éléments contextuels, «la proposition de septembre est assez compétitive», juge-t-il.
S’inspirer du modèle italien?
Actuellement, la majorité des pays européens applique un précompte assez élevé pour tout coupon à taux fixe, gouvernemental ou privé. Seule l’Italie, où les obligations d’Etat intègrent systématiquement un précompte réduit, fait exception. «La Belgique pourrait s’inspirer du modèle italien, glisse Jean Deboutte. Un régime préférentiel débouche toujours sur des grands effets. En Italie, les banques sont exposées à une plus grande concurrence, mais semblent gérer la situation. Le pays lève 40 milliards d’euros par an avec ce système.»
Si le spread –le différentiel avec les autres pays– augmente, et si la Belgique se retrouve dans le viseur des marchés financiers, «il ne faut pas exclure que le gouvernement retente un précompte réduit de façon temporaire», évoque encore le directeur.
L’Agence de la dette, qui «n’a pas spécialement besoin de milliards», ne s’oppose pas à une réforme globale de la taxation sur l’épargne. «En Belgique, des produits financiers, dont principalement l’épargne, ne rapportent pas du tout de précompte. Celui à 15% était en vigueur pendant de nombreuses années, rappelle Jean Deboutte, mais désormais, une taxation entre 25 et 30% s’est généralisée un peu partout dans le monde.»
En initiant un mouvement de baisse des taux, la BCE «veut aussi relancer l’économie et éviter que trop de personnes se dirigent vers des produits défensifs, c’est-à-dire l’épargne», ajoute enfin Anh Nguyen.