L’argent rend-il vraiment heureux? © Getty Images

A partir de quelle somme d’argent peut-on se sentir heureux?

La pauvreté peut être une souffrance. Mais trop d’argent et une trop grande abondance matérielle peuvent aussi engendrer un lot de stress. Pour se sentir bien, il ne faudrait viser qu’une seule chose: le juste milieu.

Dans le monde des humains, Elon Musk est peut-être (encore) le plus riche –mais le canard le plus fortuné de la planète restera évidemment Balthazar Picsou, le «fantastilliardaire» à pièces d’or de Donaldville. Haut-de-forme, canne, bain quotidien dans son coffre rempli de pièces: life is good. Mais est-il vraiment heureux? Constamment préoccupé par son tout premier sou durement gagné, terrifié par les Rapetou, et talonné par son rival Archibald Gripsou? Ce genre de bonheur ressemble à du malheur déguisé.

C’est comme ça avec l’argent: trop peu, c’est une torture. Mais trop, cela peut aussi engendrer du stress (cours de Bourse, immobilier, rendement, etc. ). Ce n’est en tout cas pas la quantité d’euros sur un compte qui garantit la satisfaction. Alors, où mettre la limite?

Quand «assez» ne suffit pas

En 2010, les deux prix Nobel d’économie Daniel Kahneman et Angus Deaton ont tenté de répondre précisément à cette question. Ils ont analysé plus de 450.000 déclarations issues de ce qu’on appelle l’index du bien-être («Wellbeing Index»), une étude de longue durée menée par l’institut de sondage Gallup à Washington. Parmi les questions: «Comment vous sentez-vous?», «Où en est votre carrière?», «Et votre santé?», «Etes-vous très stressé?» Résultat des courses: «Le bien-être émotionnel augmente avec le salaire, mais il ne progresse plus au-delà d’un revenu annuel d’environ 75.000 dollars

Donc 75.000 dollars brut, pour un foyer fiscal. Si l’on y ajoute l’inflation depuis lors et les impôts et cotisations sociales, on en arrive à environ une petite centaine de milliers d’euros aujourd’hui. Au-delà de cette limite, la satisfaction ne progresse plus sensiblement –les gens apprécient certes leur situation financière confortable, mais une nouvelle augmentation de salaire ne modifie plus leur style de vie. «Nous en concluons qu’un revenu élevé procure de la satisfaction, mais pas du bonheur», écrivent Daniel Kahneman et Angus Deaton. Leur ton rappelle d’ailleurs celui des philosophes grecs anciens: Epicure, par exemple, prêchait dans ses écrits la recherche du plaisir –ce qui lui valut d’être considéré comme le père de l’hédonisme. Mais toujours avec mesure. Trop de plaisir, trop de joie, et l’on bascule rapidement vers le mécontentement: «Rien n’est suffisant pour celui pour qui assez c’est trop peu.»

«Un revenu élevé procure de la satisfaction, mais pas du bonheur.»

Mais retour dans le futur: avec un revenu annuel de 100.000 euros, on appartient à une tranche nettement supérieure des revenus en Belgique, le salaire annuel moyen brut y étant pour un travailleur à temps plein de 57.989 euros en 2023. Et le «revenu mensuel net du ménage» comprend, outre le salaire, les intérêts, revenus locatifs, pensions de retraite, allocations chômage ou familiales.

100.000 euros, cette limite est-elle surprenante? Pouvait-on légitimement penser que le seuil vers un bien-être doré se situait plus haut? Bien entendu, les transitions sont progressives. Le psychologue américain Matthew Killingsworth, par exemple, a mené une nouvelle étude en 2021, et ses résultats suggèrent que de nombreuses personnes deviennent bel et bien plus satisfaites à mesure que leurs revenus augmentent. Une contradiction avec le prix Nobel Kahneman? Plutôt un débat scientifique qui s’est terminé par une publication commune: les deux ont raison. Car dans les données de Matthew Killingsworth aussi, on retrouve ce plateau des 100.000 euros: environ 20% des personnes interrogées ne deviennent pas plus heureuses, même avec un revenu supérieur.

«A partir d’un certain niveau de richesse, d’autres aspects comme les relations sociales, la santé et les loisirs deviennent plus importants pour le bien-être.»

L’argent ne fait pas tout: «A partir d’un certain niveau de richesse, d’autres aspects comme les relations sociales, la santé et les loisirs deviennent plus importants pour le bien-être», explique le chercheur en patrimoine Thomas Druyen. Cependant, ces valeurs varient fortement selon les cultures: «En Suisse et en Norvège, elles dépassent également les 100.000 euros, en Espagne et en Italie elles se situent sous les 68.000 euros, et en Europe de l’Est, le seuil baisse nettement, indique-t-il. En Serbie, il est de 19.000 euros –c’est donc très relatif.»

Le temps, est-ce vraiment de l’argent?

Cela vaut pour tous les pays: avoir assez d’argent, c’est avoir du temps. Avec un revenu élevé, on peut s’offrir les services d’une aide-ménagère, d’un artisan, d’un jardinier –et cela a des effets. Dans une enquête menée en 2017 auprès de 6.000 participants aux Etats-Unis, au Danemark, au Canada et aux Pays-Bas, des chercheurs de l’université de la Colombie-Britannique ont étudié le facteur temps libre. «Nos résultats suggèrent que l’achat de temps procure un bénéfice comparable au fait d’avoir plus d’argent», écrit la psychologue Elizabeth Dunn.

«L’achat de temps procure un bénéfice comparable au fait d’avoir plus d’argent.»

Cependant, même lorsque les gens peuvent se permettre davantage de temps libre, c’est souvent l’avarice qui l’emporte. Parmi les sondés, on comptait aussi 850 millionnaires. Près de la moitié ont déclaré ne rémunérer personne pour accomplir les tâches désagréables. «Je connais des milliardaires malheureux, je connais des pauvres heureux. Et entre les deux, il y a de tout, bien au-delà du désir obsessionnel de tout quantifier», clame Thomas Druyen. Le bonheur, c’est ce qu’on en fait.

Alors, vaut-il mieux 5.000 euros par mois? Ou un million d’euros, d’un coup? «Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix dans ce cas, ajoute-t-il. Celui qui ne comprend rien aux investissements ferait bien de ne pas toucher au million. Celui qui ne veut pas –ou ne peut pas– spéculer, s’en sortira à merveille avec 5.000 euros par mois.»

Conclusion: avec environ 100.000 euros de revenu annuel, on peut dire que tout va bien. Si problème il y a, il ne pourrait être à trouver qu’en soi-même. Mais, pour citer de nouveau Epicure, «celui qui se soucie le moins du lendemain l’accueille avec le plus grand plaisir.» A méditer…

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