L’écart de 500 euros net promis entre chômeurs et travailleurs est déjà une réalité dans la majorité des cas. Pour les économistes, le narratif de l’Arizona a glissé d’une hausse salariale pour tous à un simple différentiel avec le chômage.
Cinq cents euros net en plus dans la poche pour celles et ceux qui travaillent par rapport aux inactifs: voilà sans doute la promesse économique phare du gouvernement fédéral. L’Arizona l’avait d’abord inscrite dans son accord de coalition, en tant que priorité absolue. Elle n’a, depuis lors, cessé de la répéter, encaissant par la même occasion les attaques soutenues de l’opposition.
Pas de quoi refroidir Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui continue à promouvoir la mesure dès qu’il en a l’opportunité. Le but initial étant, pour rappel, d’atteindre cet écart de 500 euros net à la fin de la législature, soit en 2029. Comment y parvenir? Selon les plans de l’Arizona, principalement via une baisse accélérée de l’impôt sur le travail.
500 euros net en plus: déjà une réalité
Mais une nouvelle étude de l’Université d’Anvers rebat les cartes. «Le gouvernement a déjà largement tenu sa promesse… sans faire aucune réforme, fait remarquer Elise Aerts, chercheuse à l’Université d’Anvers. Notre étude démontre que travailler est déjà clairement rentable.»
Logiquement, les chercheurs se sont concentrés sur le groupe de Belges qui pourraient théoriquement travailler. «Cela exclut de facto les étudiants, les retraités ou les malades de longue durée.» Et les estimations sont limpides: «94,5% des Belges inactifs gagneraient au moins 500 euros net en plus par mois en travaillant à temps plein, même avec un salaire minimum d’environ 2.070 euros.»
L’étude va plus loin: neuf personnes sans emploi sur dix percevraient un gain net de plus de 500 euros par mois en trouvant un travail dès aujourd’hui. Ce n’est pas tout: sept personnes sur dix percevraient un gain net de plus de 1.000 euros, et une sur cinq disposerait d’un gain net de plus de 2.000 euros.
Le gain financier à trouver un travail est inférieur à 500 euros pour à peine 4,1% de la population sans emploi. L’objectif du gouvernement fédéral ne concernerait donc qu’environ 45.000 personnes… sur une population sans emploi de près d’un million. «Il reste un groupe restreint, mais significatif, pour lequel l’écart est effectivement trop faible, par exemple les parents isolés bénéficiant d’allocations», précise Elise Aerts.
Les Belges inactifs qui ne perçoivent pas d’allocations de chômage réaliseront logiquement le plus grand bond financier. «Les personnes non indemnisées gagnent en moyenne 1.800 euros net par mois en reprenant un emploi, chiffre la chercheuse. Même pour ceux qui perçoivent déjà des allocations chômage, le bénéfice net moyen s’élèverait à 928 euros par mois. Avec des allocations relativement élevées, on constate un bénéfice net moyen de 584 euros.»
La prime à l’embauche, outil plus efficace
L’étude néerlandophone souligne en outre que les primes à l’embauche constituent un outil bien plus efficace pour stimuler le taux d’emploi «que la coûteuse baisse d’impôt généralisée.» «Mettre en œuvre une baisse d’impôt sous prétexte que nous payons tous trop d’impôts est un choix politique légitime. Mais l’utiliser comme argument pour augmenter le taux d’emploi est, à notre avis, tout simplement inacceptable», critique Elise Aerts.
«Utiliser la baisse d’impôt comme argument pour augmenter le taux d’emploi est tout simplement inacceptable.»
L’économiste Bruno Colmant (ULB et Académie Royale de Belgique) rejoint cette constatation. «Augmenter le minimum non imposable s’applique à tout le monde, riche ou pauvre. Il s’agit d’un stimulant linéaire, qui engendre un effet d’aubaine pour une partie de la population seulement, commente-t-il. Or, elle n’est pas nécessaire pour les salaires plus élevés.»
Si l’augmentation du minimum non imposable «est incontestablement bénéfique pour certains travailleurs», la mesure ne sera «pas assez efficace pour permettre un gain net de 500 euros pour tout le monde», assure Bruno Colmant.
500 euros net: le narratif a changé
Selon l’économiste, le narratif du gouvernement a d’ailleurs été perverti: des «500 euros net pour tout le monde», on est passé à «500 euros de différence entre une personne qui travaille et une autre qui ne travaille pas». «Ce n’est évidemment pas la même chose. Initialement, tous les travailleurs s’attendaient à recevoir 6.000 euros net en plus par an sur leur compte en banque. Or, sans choc économique, un salarié moyen peut s’attendre à un gain de 150-200 euros supplémentaires par mois, au mieux», estime Bruno Colmant.
«Sans choc économique, un salarié moyen peut s’attendre à un gain de 150-200 euros supplémentaires par mois, au mieux.»
La perception qui avait été donnée au début –une augmentation du salaire pour tout le monde– a été transformée en «un delta de 500 euros par rapport à l’allocation de chômage», rejoint l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management). La mesure initiale semblait bien trop ambitieuse, selon l’expert, «compte-tenu de la réalité budgétaire, qui limite la capacité de diminution des cotisations sociales et des impôts, et de la réalité économique, où le besoin de compétitivité restreint la possibilité d’augmenter les salaires bruts.»
Elargir la tranche taxée à 25%
Par ailleurs, Etienne de Callataÿ estime préférable «de mensualiser le revenu annuel d’un travailleur, actuellement divisé par 13,92 (NDLR: et pas 12, afin de prendre en compte les primes ou le 13e mois)», une idée qui avait déjà été évoquée par l’économiste Philippe Defeyt. «Diviser le revenu annuel par douze aurait un effet d’augmentation instantané et de concrétisation du différentiel avec un chômeur», soutient Etienne de Callataÿ.
Au-delà de la question de savoir comment mesurer les économies implicites réalisées en ne travaillant pas (déplacement, nourriture, garde des enfants, etc.), le problème majeur, selon l’économiste, reste la progressivité de l’impôt en Belgique, trop abrupte de tranche en tranche et comparable à… une falaise. «Il peut monter très vite dans les tours. Gagner 20.000 euros par an signifie déjà un taux marginal de 40%. Au lieu de généraliser une augmentation de la base non imposable, il aurait été préférable d’élargir la tranche imposée à 25%», plaide-t-il enfin.