En 2022, 1,8% des ménages les plus riches captaient 10% de l’ensemble des revenus en Belgique, contre 2,4% en 2015, constate la BNB. © Getty Images

Les 92.000 ménages les plus riches gagnent autant que les 1,4 million les plus modestes: de nouveaux chiffres sur les inégalités de revenus

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La Banque nationale de Belgique vient de dévoiler des statistiques inédites sur les revenus, la consommation et l’épargne des ménages. Qui soulignent de nombreuses disparités.

Les inégalités de revenus seraient encore plus importantes qu’on le pensait en Belgique. C’est l’un des nombreux enseignements à tirer des nouvelles statistiques de la Banque nationale de Belgique (BNB), publiées ce 23 juin. Celles-ci s’appuient sur une méthodologie plus exhaustive que les traditionnelles enquêtes EU-SILC sur les conditions de vie des ménages, menées dans tous les pays de l’Union européenne depuis 2004. Pour la plus récente année étudiée (2022), les calculs de la BNB aboutissent à des niveaux d’inégalité plus élevés selon une série d’indicateurs couramment utilisés, comme le coefficient de Gini (passant de 0,25 à 0,3 sur une échelle de 0 à 1) ou le ratio entre la richesse des ménages les plus modestes et celle des plus riches (de 6 à 9). «Ce travail remarquable confirme les questions que l’on pouvait se poser quant à la solidité du coefficient de Gini mesuré dans les enquêtes EU-SILC», salue l’économiste Philippe Defeyt, directeur de l’Institut pour un développement durable (IDD).

Revenus: des écarts abyssaux

De manière générale, les inégalités de revenus semblent stables depuis 2015. La BNB observe toutefois qu’en 2022, 1,8% des ménages les plus riches captaient 10% de l’ensemble des revenus en Belgique, contre 2,4% en 2015. C’est, analyse-t-elle, «le signe d’une concentration croissante au sommet de la distribution». Cette frange des ménages les plus aisés gagne autant que les 27,5% les moins bien rémunérés. En chiffres absolus, 92.000 ménages percevraient donc autant que les 1,4 million les plus modestes.

430.000 euros

Les données analysées incluent également les revenus de la propriété (loyers, dividendes, intérêts sur un actif financier). Comme le rappelle la BNB, ceux-ci bénéficient «d’un régime fiscal favorable et [sont] exempts de cotisations sociales, allégeant ainsi la charge d’imposition pesant sur les épaules les plus larges, ce qui concourt à creuser les inégalités». C’est tout l’enjeu relatif à la taxation sur les plus-values, note Philippe Defeyt. A cet égard, les disparités entre les catégories de revenus les plus éloignées sont abyssales. Les revenus nets de la propriété ne contribuent qu’à hauteur de 0,3% en moyenne aux revenus des 10% les plus pauvres, tandis qu’ils s’élèvent à 34,3% chez les 1,8% les plus nantis. Si les chiffres de la BNB confirment, sans surprise, les écarts entre les déciles de revenus et la protection qu’offre l’accès à la propriété, ils montrent à quel point d’importantes disparités subsistent également parmi les 10% des ménages les plus aisés, du fait des revenus du patrimoine. «On constate la même chose que dans les statistiques fiscales: le pour cent le plus riche contribue proportionnellement moins que les gens un peu moins riches», relève Philippe Defeyt. Après redistribution, le top 1% affiche des revenus disponibles moyens de 430.000 euros environ, contre 150.000 euros environ pour le reste du décile le plus élevé.

46% des ménages ne savent rien épargner

Toujours en 2022, les ménages constituant le cinquième le plus aisé étaient en mesure d’épargner 42,8% de leur revenu (soit une épargne annuelle moyenne de plus de 53.000 euros), la moyenne belge s’élevant à 12,7%. Inversement, le taux d’épargne moyen des groupes à plus bas revenus s’avère négatif (-14.917 euros en moyenne). «Cela ne signifie pas pour autant que ces ménages s’endettent tous, nuance la BNB. La consommation peut également être financée par un patrimoine constitué antérieurement (NDLR : un pensionné puisant dans une épargne, par exemple) ou par des transferts entre ménages qui sont difficiles à quantifier en raison du manque de sources microéconomiques […], comme le soutien financier apporté par les parents à de jeunes adultes en début de carrière, ou la contribution des enfants aux frais de soins de leurs parents âgés.»

Plus de 2,3 millions de ménages (soit 46,2% du total) étaient en incapacité d’épargner en 2022, ce qui corrobore les enseignements des enquêtes EU-SILC. C’est 7,3 points de pourcentage de plus qu’en 2020 (38,9%). Les ménages qui ne peuvent pas épargner sont majoritairement constitués de célibataires (51,6%), là où ceux qui y parviennent sont essentiellement des couples avec (36,8%) ou sans enfants (27,8%).

Les ménages plus modestes paient proportionnellement plus cher pour se loger

La BNB s’est aussi intéressée à la consommation des ménages. Il apparaît notamment qu’en 2022, la part des dépenses consacrées au logement et aux factures associées est plus importante parmi les ménages modestes. Les données démontrent aussi que ces derniers subissent davantage les chocs de prix énergétiques. Les ménages plus aisés, eux, dépensent proportionnellement davantage en transports, loisirs et horeca.

Ces nouvelles statistiques pourront «contribuer à l’élaboration de politiques économiques mieux ciblées et plus équitables», conclut la BNB. De son côté, Philippe Defeyt estime qu’il est important d’ausculter les données au-delà des seuls quintiles ou déciles de revenus. «Il faut aussi affiner les données selon l’âge. Au bas de l’échelle des revenus, il y a proportionnellement plus de personnes âgées, bénéficiant d’une pension qui n’est nécessairement qu’une fraction de leur revenus antérieurs.» Les premières données sont disponibles sur le site de la BNB depuis ce 23 juin. L’entièreté sera quant à elle disponible dès le 24 juin sur le site d’Eurostat.

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