Le marché des drones militaires continue de croître, avec des valorisations boursières qui s’envolent et des investissements publics massifs.
En marge du conflit en Ukraine, les incursions de drones attribuées à la Russie se multiplient dans le ciel des pays de l’Otan. Mi-septembre, la Pologne et la Roumanie ont dénoncé des violations de leur espace aérien par ces appareils. Face à ce risque, l’Europe doit à terme se doter d’un «mur de drones» le long de sa frontière orientale, a assuré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Cette initiative stratégique consisterait en un réseau intégré de capteurs, de radars, de systèmes de brouillage et de drones de surveillance, afin de mieux répondre à la menace incarnée par ces appareils, qui ont pris une place prépondérante dans les conflits modernes.
87,63 milliards de dollars d’ici 2030
«Les drones ont connu un essor dans le contexte de la guerre contre le terrorisme, au début des années 2000. Ces drones, américains et israéliens notamment, ont été utilisés pour commettre des assassinats ciblés», explique Christophe Wasinski, professeur en sciences politiques à l’ULB et expert en questions d’armement. «D’autres producteurs sont ensuite arrivés sur le marché et ont été capables de produire des drones à un prix moindre, comme la Turquie ou la Chine: l’acquisition et le recours aux drones se sont normalisés au sein des armées dans le monde. Ces dernières années, dans le contexte de la guerre en Ukraine, on a vu apparaître des drones plus compacts, moins sophistiqués que les modèles américains.»
L’importance prise par les drones militaires, pouvant être utilisés dans de nombreux types de missions (surveillance, renseignement, reconnaissance, logistique, combat…) et sur tous les terrains (air, mer, terre), se vérifie aussi sur le volet économique. Selon un rapport dévoilé en août par la société américaine de recherche de marché et de conseil Grand View Research, la taille du marché mondial des drones militaires a été estimée à 40,53 milliards de dollars en 2024. Elle devrait atteindre 87,63 milliards de dollars d’ici 2030, avec une augmentation estimée de près de 14% par an.
«Les drones sont l’avenir de la guerre.»
Elon Musk
Secteur ultraconcurrentiel
«La croissance du marché est tirée par l’augmentation des budgets de défense, l’adoption croissante de véhicules aériens sans pilote pour les opérations de surveillance et de combat, les progrès de la technologie des drones et la demande croissante de capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance dans diverses applications militaires», selon ce rapport, précisant que ce marché, dominé par les entreprises américaines (39% de parts de marché en 2024), pesait aux alentours des 20 milliards de dollars «seulement» en 2020. «Les drones sont l’avenir de la guerre», a d’ailleurs prédit Elon Musk le 1er juin dernier sur X.
Outre le contexte géopolitique, les évolutions technologiques et stratégiques sont les principales clés expliquant la croissance fulgurante de ce secteur, où l’IA, permettant aux drones de ne plus être dirigés par un humain, est de plus en plus utilisée. «C’est un marché très diffus, avec énormément d’acteurs», explique le général français Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale, précisant que les drones peuvent très vite devenir obsolètes dans un secteur ultraconcurrentiel, où chaque élément de sophistication permettant de faire la différence ou de baisser les prix a son importance. «Les pays doivent avoir une capacité à concevoir ou produire des drones, mais certainement pas à faire des stocks: c’est un domaine où l’innovation est permanente», ajoute-t-il.
Trump Jr. conseiller d’une entreprise de drones
Certains fabricants de drones ont récemment fait parler d’eux sur les marchés financiers. En juin, l’action de l’entreprise américaine AIRO Group a bondi de 140% sur une journée. AeroVironment, l’un des géants américains de ce secteur, a également vu sa valorisation exploser ces derniers mois. Un fonds permettant d’investir sur plusieurs sociétés européennes liées au secteur de la défense, baptisé WisdomTree Europe Defence UCITS ETF, a dépassé les trois milliards de dollars d’actifs de gestion en à peine trois mois. «Avec des pressions sécuritaires toujours présentes et des règles d’approvisionnement favorisant de plus en plus les entreprises de défense européennes, cette dynamique devrait se poursuivre au-delà de l’année en cours», a commenté auprès de Cinco Dias Pierre Debru, directeur de la recherche du gestionnaire d’actifs WisdomTree, à ce sujet. Les articles invitant à miser sur des entreprises de drones (ou proposant des composants pour ces engins) se multiplient également sur les sites spécialisés.
Toujours aux Etats-Unis, Unusual Machines, autre acteur spécialisé dans les drones mais peu connu, a vu le cours de ses actions doubler quelques heures après avoir nommé… Donald Trump Jr., le fils du président américain et par ailleurs déjà l’un de ses investisseurs, comme conseiller en avril dernier. «De nombreuses entreprises américaines sont soutenues par le gouvernement Trump. Et dans le monde, de nombreuses entreprises bénéficient de fonds publics versés par les Etats», précise Christophe Wasinski. «Construire un secteur national des drones solide et sécurisé est essentiel pour réduire la dépendance à l’égard des sources étrangères, renforcer les chaînes d’approvisionnement critiques et garantir que les bénéfices de cette technologie profitent au peuple américain», a ainsi déclaré Donald Trump en juin dernier, dans un discours sobrement intitulé «Libérer la domination américaine des drones» où il expliquait que les Etats-Unis allaient de plus en plus miser sur des entreprises américaines dans le secteur des drones militaires. De quoi annoncer une nouvelle ère dans cette industrie?
