Les récoltes de pommes de terre sont excellentes en 2025. Paradoxalement, le secteur connaît des difficultés inédites. En cause, la chute des prix sur le marché libre. La frite surgelée belge, particulièrement, voit sa compétitivité ramollir face à des acteurs asiatiques qui montent en température.
Pas de fortes chaleurs, une pluie régulière: la météo variable du mois de juillet a été excellente… pour les récoltes de pommes de terre en Belgique. Mais les prix, eux, ont connu une chute brutale: la tonne payée au producteur, valorisée à 150 euros l’année dernière, est tombée à… 15 euros cette année. Pour les agriculteurs, c’est la dégelée. Le faible prix de vente actuel (qui rapporte à peine 600 euros l’hectare) ne couvre plus du tout les coûts de production (6.000 euros l’hectare).
Frite surgelée belge: la bataille du marché libre
Pour comprendre ce changement radical, il faut d’abord s’intéresser au fonctionnement du marché de la pomme de terre belge, où plus de 70% de la production est vendue sous forme de contrats prédéfinis. Prix, conditions et période de livraison sont déjà actés entre l’agriculteur et l’acheteur, avant même la plantation. Pour la récolte de 2025, les contrats en vigueur ont donc été signés en janvier ou février, à des prix alors encore acceptables pour les producteurs. Même si certains acheteurs, cette année, ont réduit unilatéralement de 10% la quantité de pommes de terre sous contrat. C’est le cas du fabricant de frites surgelées Clarebout, récemment passé sous pavillon américain.
En parallèle, le marché libre doit absorber la production qui n’est pas sous contrat, soit environ 30% des récoltes restantes. Et c’est ici que la pomme de discorde germe: le marché libre est entièrement tributaire de la loi de l’offre et de la demande. «Et cette année, on cumule tous les éléments négatifs», regrette Pierre Lebrun, directeur de la Fiwap, filière wallonne de la pomme de terre.
Surproduction et demande en berne
En 2025, les hectares cultivés ont augmenté de 5 à 10% en Belgique, mais aussi dans les pays voisins. Les plantations ont été réalisées tôt, au mois d’avril, et ont donné de bons résultats. La production en Europe de l’ouest s’annonce donc très importante, «voire excessive», alors que la demande, elle, a tendance à stagner. Résultat: les prix de vente chutent.
«85% à 90% de la production belge est exportée à travers le monde.»
Problème: en Belgique, la santé financière des producteurs de pommes de terre ne dépend que peu de l’appétit des consommateurs. Plus de 80% des pommes de terre produites chez nous ne sont pas vendues brutes. Elles sont transformées en frites, chips, röstis… «Et 85% à 90% de cette production belge est exportée à travers le monde.»
La frite surgelée belge a perdu de sa compétitivité
Historiquement, la Belgique a toujours gardé une position très compétitive pour vendre sa frite surgelée en dehors de ses frontières. L’industrie de transformation belge s’est énormément développée ces 20 dernières années. Mais depuis la période post-Covid, l’inflation, les coûts de l’énergie, de la main-d’œuvre et de la matière première (ces dernières années, la pomme de terre sur le marché libre coûtait cher, contrairement à la situation actuelle) ont plombé la compétitivité du plat pays. Le rendement des plantations, tributaire de la météo, était également insuffisant. Tout l’inverse d’aujourd’hui. «Mais l’effet est difficilement récupérable», constate Pierre Lebrun.
«Le secteur n’a jamais vécu une telle situation depuis 20 ans (…) Nous devons réduire le risque de surproduction.»
D’autant plus que bon nombre de pays asiatiques, Chine et Inde en tête, développent fortement leurs industries de transformation, et offrent des produits bien moins chers que le surgelé belge. Les incertitudes liées aux droits de douane américains, combinées à un euro fort face au dollar, ajoutent un poids supplémentaire dans les difficultés d’exportations belges. «Le secteur n’a jamais vécu une telle situation depuis 20 ans, déplore le directeur de la Fiwap. En fait, dès que la production est un peu trop élevée, nous sommes à la merci de baisses de prix considérables.»
Que faire des invendus?
Un rééquilibrage est donc nécessaire, mais celui-ci arrive toujours avec un temps de retard, puisque les agriculteurs choisissent leur surface à l’avance. Réservation de parcelles, commandes de plants, engrais: tout doit être anticipé. Actuellement, ce sont les variétés dites «hâtives» qui sont récoltées, après les «primeurs» et avant les variétés «de conservation», qui arrivent plus tard. Pour chacune d’entre elles, les récoltes sont fructueuses cette année.
Face à un marché qui sature, le sort des pommes de terre qui ne sont pas vendues sous contrat est incertain. Plusieurs options (peu rentables) se présentent au producteur: soit la production reste en champ un peu plus longtemps, en espérant que le marché se redresse en septembre. Soit elle est conservée en silo, et peut notamment être transformée en nourriture pour animaux; option peu rentable. Dernière solution, la plus extrême: orienter les pommes de terre vers la biométhanisation, «sachant que cela ne rapporte quasiment rien.»
Perspectives peu rassurantes pour le secteur
Cette année, il reste un maigre espoir pour les variétés de conservation, les récoltes ayant lieu à la mi-septembre. «On verra où en seront les marchés et les rendements», souffle Pierre Lebrun, qui concède que les perspectives d’avenir à court terme ne sont pas bonnes du tout. «Personne ne sait dire combien de temps le malaise sur le marché de la frite va durer. Un réajustement des prix, et donc des marges, est nécessaire. Mais rogner encore celles des producteurs deviendrait insoutenable.»
Si le marché libre ne représente que 20 à 30% des ventes, il apporte toutefois un bonus plus qu’utile. «Il est même nécessaire pour la santé financière des producteurs, car les contrats ne dégagent pas une marge énorme. Désormais, il faut surtout réduire le risque de surproduction», souligne Pierre Lebrun.
«A terme, il ne faut pas exclure que des frites surgelées chinoises et indiennes arrivent sur nos marchés.»
La Belgique exporte toujours ses frites surgelées dans le monde entier. Asie, Amérique du Nord et du Sud, Moyen-Orient… autant de régions friandes du produit noir-jaune-rouge. Mais à terme, le modèle pourrait s’inverser. «Il ne faut pas exclure que des frites surgelées chinoises et indiennes arrivent sur nos marchés.»
La frite européenne a cependant de quoi se défendre: les capacités, le savoir-faire, et le rendement au champ «restent les meilleurs au monde», salue Pierre Lebrun. «On s’attend toutefois à une baisse des exportations vers les régions proches de l’Inde et de la Chine.»