La limitation du chômage dans le temps doit être mise en œuvre plus progressivement à Bruxelles, estime le CEO de Beci. ©  Belga

La fin du chômage à vie, un problème aigu à Bruxelles: «Les entreprises redoutent des images de CPAS débordés faisant le tour du monde»

A Bruxelles, le nombre d’offres d’emploi équivaut à celui des personnes sans emploi, et pourtant un chômeur bruxellois sur huit est inactif depuis plus de 20 ans. «Au-delà des lacunes en formation ou en langues, le principal obstacle reste le manque de motivation pour travailler», explique Thierry Geerts, CEO de la Chambre de Commerce de Bruxelles Beci.

Un tiers des demandeurs d’emploi belges âgés de 55 ans et plus, qui perdront leurs allocations l’an prochain en raison de la limitation dans le temps des indemnités de chômage, sont inactifs depuis dix ans. Un sur douze l’est même depuis 20 ans ou davantage. Les Wallons et les Bruxellois sont particulièrement représentés dans ces chiffres: respectivement un sur dix et un sur huit dans la catégorie des personnes sans emploi depuis plus de 20 ans, selon de nouvelles données obtenues par le député fédéral N-VA Axel Ronse, relayées par Het Laatste Nieuws.

Une dérogation existe toutefois pour les personnes de 55 ans et plus disposant d’une carrière d’au moins 30 années de travail, qui peuvent conserver leurs allocations. Mais près de 50.000 des 60.000 demandeurs d’emploi concernés ne remplissent pas cette condition. A Bruxelles, seuls 6,4% des chômeurs de 55 ans et plus peuvent faire valoir une telle carrière. Ce taux s’élève à 23,5% en Flandre et à 18,3% en Wallonie.

L’an prochain, neuf demandeurs d’emploi bruxellois sur dix âgés de 55 ans ou plus perdront donc leurs allocations. Thierry Geerts, ancien dirigeant de Google Belgique et CEO de Beci depuis l’été dernier, analyse les causes de cette inactivité prolongée dans la capitale et les perspectives qui en découlent.

«La région bruxelloise compte 90.000 personnes sans emploi, mais aussi 90.000 postes vacants dans des entreprises situées non seulement dans les 19 communes, mais aussi dans la périphérie économique de Bruxelles.»

Thierry Geerts: «Bruxelles attire des personnes qui peinent à accéder au marché du travail ailleurs. De nombreux nouveaux arrivants et demandeurs d’asile s’y installent également. Le profil démographique bruxellois engendre un chômage plus élevé et plus enraciné. Par ailleurs, l’activation des chercheurs d’emploi y a clairement échoué. La région bruxelloise compte 90.000 personnes sans emploi, mais aussi 90.000 postes vacants dans des entreprises situées non seulement dans les 19 communes, mais aussi dans la périphérie économique de Bruxelles, facilement accessible en tram ou en bus.»

Il existe bien des emplois vacants. Est-ce donc l’accompagnement qui échoue?

En théorie, le travail ne manque pas. Cela ne signifie pas qu’un poste parfaitement adapté attende chaque demandeur d’emploi, mais la conjoncture actuelle est favorable. La réforme du chômage intervient donc au bon moment. Les entreprises, parfois à bout, recherchent activement du personnel et sont prêtes à consentir d’importants efforts en matière de formation pour toute personne véritablement désireuse de travailler. Dans les années 1980, il suffisait de choisir le meilleur profil parmi 100 CV. Aujourd’hui, aucun candidat ne se présente.

«Le frein principal reste l’absence d’envie de travailler. Une entreprise ne retient pas une candidature peu motivée. A l’inverse, une personne déterminée, même avec des lacunes, sera engagée et formée par des employeurs bruxellois.»

Le taux de chômage élevé à Bruxelles s’expliquerait par l’écart entre des offres d’emploi exigeantes et un réservoir important de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés, unilingues francophones. Mais ce constat est-il exact?

Pas du tout. Colruyt recrute, Infrabel, la Stib également. La liste est longue et concerne majoritairement des profils peu qualifiés. Le décalage existe, bien sûr, mais au-delà du niveau de formation ou des compétences linguistiques, le frein principal reste l’absence d’envie de travailler. Une entreprise ne retient pas une candidature peu motivée. A l’inverse, une personne déterminée, même avec des lacunes, sera engagée et formée par des employeurs bruxellois.

Autre problème épineux: l’ampleur de l’économie parallèle dans certains secteurs, comme la construction, et le manque de contrôle du travail au noir. Sur le papier, certaines personnes semblent sans emploi, mais ce n’est pas toujours le cas. Parmi les chômeurs de longue durée, certains abusent du système. Ils postulent uniquement pour préserver leurs droits, tout en annonçant d’emblée: «Je ne suis pas ici pour travailler.» Ce type de comportement est courant dans les entreprises bruxelloises.

D’après Actiris, seuls 21.000 postes seraient vacants à Bruxelles, et non 90.000, comme vous l’affirmez.

Actiris ne recense pas certains postes vacants dans la région, et ignore aussi les offres situées en dehors de ses limites administratives. Pourtant, rien n’empêche un Bruxellois de travailler à Zaventem ou à Hal. Des personnes venues de tout le pays se déplacent pour travailler dans la capitale; les Bruxellois pourraient faire preuve de la même souplesse.

Le problème du chômage à Bruxelles serait-il alors linguistique?

En Flandre-Occidentale, de nombreux Français sont employés sans que cela ne pose de véritables difficultés. La question linguistique relève largement de la perception. Même Colruyt n’exige plus la maîtrise du néerlandais pour les postes en entrepôt. Mais de nombreux chômeurs bruxellois cherchent un emploi à proximité immédiate de leur domicile. Cet état d’esprit doit évoluer.

La limitation du chômage dans le temps aura-t-elle un effet positif sur le marché du travail bruxellois?

Cette réforme jouera un rôle d’électrochoc et, à ce titre, représente une initiative pertinente. Cependant, à Bruxelles, 37.000 chômeurs de longue durée perdront leurs allocations l’an prochain. Si, au premier semestre 2026, 30.000 personnes se retrouvent dans les files d’attente des CPAS, la situation deviendra explosive. C’est pourquoi les entreprises bruxelloises plaident pour une application plus progressive de la réforme dans la capitale que celle prévue par le gouvernement fédéral. Vu l’ampleur du chômage de longue durée, Bruxelles ne peut absorber un tel bouleversement en quelques mois.

«Même les entreprises convaincues du potentiel de cette réforme redoutent un scénario chaotique.»

Vous recommandez donc une mise en œuvre différée de la réforme du chômage à Bruxelles?

Exactement. Même les entreprises convaincues du potentiel de cette réforme redoutent un scénario chaotique. Aucun employeur bruxellois ne souhaite voir, dès 2026, des dizaines de milliers de personnes privées de revenus affluer vers les CPAS. De telles images feraient le tour du monde et porteraient à nouveau atteinte à l’image de Bruxelles.

La précarité s’intensifiera, ce qui pourrait accentuer le sentiment d’insécurité. Or la sécurité constitue déjà une source majeure d’inquiétude pour les entreprises installées dans la capitale. Un congrès est prévu en septembre, à l’initiative de Beci, pour réfléchir aux moyens de réintégrer ces plus de 30.000 personnes sur le marché du travail. Les entreprises ne peuvent cependant en porter seules la charge. Une réforme de cette ampleur exige un gouvernement bruxellois pleinement opérationnel, ainsi qu’un service d’accompagnement efficace. Or, depuis l’annulation par le Conseil d’Etat de la nomination de sa nouvelle directrice générale, Actiris se trouve pratiquement décapité.

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