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Une étude secoue la politique du logement: «300.000 ménages belges en ont besoin»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Dans une nouvelle étude, le Groupe du Vendredi dépeint un écosystème du logement belge à bout de souffle. Il suggère des propositions innovantes pour rendre le logement à nouveau abordable. Le chantier est ambitieux, mais des leviers existent.

Le Belge a une brique dans le ventre. Mais une brique de plus en plus lourde à digérer. Sans réforme structurelle, l’accès au logement, en Belgique, pourrait rapidement devenir un privilège. Telles sont les conclusions d’un nouveau rapport réalisé par le Groupe du Vendredi, think tank soutenu par la Fondation Roi Baudouin.

Un logement stable demeure l’une des formes de politique de prévention les plus efficaces, expose le texte. «Il constitue une infrastructure sociale à part entière. Investir dans le logement abordable, c’est investir dans le capital humain: cela renforce la résilience économique et réduit les coûts sociaux à long terme.»

Des leviers à activer

«Le logement est une thématique centrale, appuie Mélodie Geurts, co-autrice du rapport. Il représente un bien essentiel à l’émancipation sociale, la prospérité et l’égalité. Or, l’explosion des prix, pour la location et l’achat, nourrit une tension croissante sur le marché et rétrécit son accessibilité. Il s’agit d’une menace directe au caractère « logique » de l’acquisition d’un bien, pourtant ancrée dans les habitudes des Belges», avance-t-elle.

La situation telle que présentée par l’étude est plus qu’interpellante, mais pas irrécupérable. «Il existe une multitude de leviers innovants et budgétairement neutres à activer», assure Mélodie Geurts.

Le rapport émet plusieurs propositions politiques concrètes: renforcer la gouvernance locale du logement, digitaliser les permis d’urbanisme, faciliter la reconversion des bureaux,  ou encore responsabiliser davantage les communes. Parmi les objectifs de l’étude: aider à augmenter la proportion de logements sociaux, mais aussi repenser le bâti existant. «Il existe un réel potentiel pour améliorer la situation, mais il n’est pas suffisamment utilisé. Politiquement, la thématique reste complexe à porter, au vu de l’éclatement des compétences en Belgique.»

Logement: trois axes indissociables

Concrètement, le Groupe du Vendredi plaide pour penser le logement autour de trois axes (achat, location, social) indissociables. «Ils agissent comme des vases communicants. Les manquements d’un segment se répercutent sur les autres et instaurent un cercle vicieux, qui se renforce.»

Schématiquement, le taux de propriétaires est en baisse, surtout chez les jeunes. La part du revenu dédiée à l’acquisition d’un bien augmente en effet considérablement. Or, les banques préconisent un endettement maximum de 30% du revenu pour payer son logement, surtout en cas de crédit hypothécaire. «Ce ratio devient difficilement respectable pour les jeunes ménages ou les personnes isolées, fait remarquer Mélodie Geurts. Sans soutien familial ou héritage, de moins en moins de citoyens ont accès à la possibilité d’acheter un bien. Dès lors, le marché locatif, plus prisé, subit une pression croissante. Cette nouvelle difficulté d’accès au locatif pousse de plus en plus de citoyens vers le logement social qui, lui aussi, souffre d’un déficit d’accès chronique», décrit la chercheuse.

Le logement social, singulièrement, est le grand oublié des politiques, pointe l’étude. «Il est primordial de rendre les logements sociaux plus intégrés et moins stigmatisés. Il existe en effet de nombreux avantages à en disposer dans sa commune», soutient Mélodie Geurts, pour qui «la situation belge est préoccupante, mais n’atteint pas encore les niveaux d’inégalités connus par le France ou le Royaume-Uni.»

Le taux d’effort logement explose

Le cas belge n’en demeure pas moins préoccupant. Chiffres à l’appui. Sur le marché de l’acquisition, les prix réels des logements ont plus que triplé depuis 1973. «Pour les jeunes ménages sans soutien familial, il est plus difficile de devenir propriétaire: parmi les revenus inférieurs à 60% du médian, le taux de propriétaires a chuté de 56% (2003) à 37% (2020), soit 20 points de moins que la moyenne de la zone euro. L’accès à la propriété devient davantage une question de patrimoine que de revenus

Sur le marché locatif privé, le constat n’est pas plus réjouissant. Ce dernier souffre d’une pénurie chronique de logements abordables. «L’offre stagne, la qualité se dégrade et les loyers augmentent. Pour les revenus les plus faibles, le taux d’effort logement (part des revenus d’un ménage consacré à son habitation) dépasse souvent 50% du revenu net. La hausse continue des loyers accentue la pression sur les ménages à revenus modestes, pour qui la charge locative devient insoutenable

Logement social: 300.000 ménages en attente

Le logement social, pour sa part, ne représente que 6% du parc résidentiel, bien en-deçà de la moyenne européenne. «Les listes d’attente sont longues: près de 300.000 ménages attendent un logement abordable, pour un parc de 302.000 logements existants.»

Des mutations démographiques et le vieillissement du parc immobilier accentuent cette pression sur le logement social. D’ici 2035, il faudra au moins 475.000 logements supplémentaires, selon une autre étude d’ING Belgique. «Parallèlement, la réduction de la taille des ménages et le vieillissement déplacent la demande vers des logements plus petits et accessibles pour les personnes isolées et les aînés», décrit l’étude.

En 2025, 36% des foyers belges sont composés d’une seule personne, contre 30% en 1995. «Plus de la moitié des candidats au logement social sont aujourd’hui des personnes seules.» Le Groupe du Vendredi insiste: le défi ne consiste pas seulement à construire davantage, «mais aussi à moderniser et à améliorer les performances énergétiques et fonctionnelles d’un parc existant qui constituera encore la majeure partie du logement en 2050.»

Transition énergétique et risque d’exclusion résidentielle

Par ailleurs, près de la moitié des logements existants ont été construits avant 1991: sans rénovation accélérée, l’insécurité énergétique et la dégradation du bâti guettent. «Le territoire belge, bien que densément peuplé, n’est pas saturé: il est avant tout mal utilisé. Une meilleure gestion du bâti existant via la reconversion de sites obsolètes permettrait d’augmenter l’offre sans consommer davantage d’espace libre.»

Le coût élevé des travaux «risque d’accentuer le fossé entre ceux qui peuvent investir et ceux qui ne le peuvent pas. Une stratégie de rénovation juste suppose des soutiens financiers ciblés (…) afin d’éviter que la transition énergétique ne se traduise par une exclusion résidentielle

Retrouvez ici l’étude complète du Groupe du Vendredi

Auteurs: Mélodie Geurts, Tom Hick, et Joachim Mertens

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