Persuadés d’être éligibles, de nombreux ménages ont déjà essuyé un refus de la Wallonie pour bénéficier de l’ancien système des primes Habitation… sans en connaître le motif précis.
Le 14 février dernier, le gouvernement wallon a mis fin au régime de primes Habitation qui était en vigueur depuis juillet 2023, pour des motifs budgétaires. La Région avait toutefois prévu une dérogation pour les milliers de ménages wallons qui avaient déjà entamé et financé une bonne partie des travaux avant l’annonce de la réforme. Ils devaient, entre autres, avoir déjà versé un acompte de 20% à l’entreprise en charge des travaux de rénovation, avant la deadline du 13 février. Puis rentré un dossier en bonne et due forme auprès de l’administration, entre le 14 et le 28 février à 23h59. Durant ce bref délai, le Service public de Wallonie (SPW) annonce avoir reçu quelque 24.000 demandes, dont certains doublons. A la date du 9 mai dernier, soit presque trois mois jour pour jour après l’annonce de la réforme, la Région avait notifié 6.600 demandeurs de son verdict, renseigne le porte-parole du SPW, Nicolas Yernaux. Environ 1.600 dossiers, soit 24% du total, se sont soldés par un refus. «Selon des projections à affiner, nous nous attendons à ce que 10% de l’ensemble des dossiers soient irrecevables», indique-t-il.
Persuadés d’avoir rempli toutes les conditions pour bénéficier de l’ancien système, de nombreux ménages ne comprennent pas pourquoi ils ont essuyé un refus de la Wallonie. «Ils essaient de discréditer des dossiers pour ne pas rembourser», fulmine un demandeur, sur un groupe Facebook préparant un recours contre la réforme du gouvernement wallon. «Il est évident que je suis certaine que ma demande est recevable, ajoute une autre. En fait, je pense qu’ils n’ont même pas analysé les dossiers.» Les suspicions vont bon train, puisque la Wallonie a envoyé un courrier uniforme pour tous les dossiers non recevables. «Votre demande de maintien ne respecte pas l’une ou plusieurs conditions énoncées ci-après», indique la lettre passe-partout de l’administration, sans préciser ce qui a fait défaut dans le cas concerné.
Contraire au droit administratif
Un tel procédé est manifestement contraire à la Loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Son article 3 mentionne que «la motivation exigée consiste en l’indication, dans l’acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate.» Une analyse que confirme l’avocat François Belleflamme, spécialisé en droit administratif: «Dans le cas présent, il s’agit d’une motivation stéréotypée, qui ne permet nullement au destinataire de l’acte de comprendre pourquoi on lui signifie un refus. Avant de saisir un juge dans cette hypothèse-là, le citoyen pourrait d’abord s’adresser au Médiateur pour essayer d’obtenir des éclaircissements, demander les pièces du dossier ou une décision de la commission d’accès aux documents administratifs.»
Si cela n’aboutit pas, deux cas de figure se présentent. «Quand les conditions d’obtention de la prime ne supposent aucun pouvoir d’appréciation, vous pouvez demander à un juge judiciaire de condamner la Région à vous payer la prime, poursuit l’avocat. Pour ce faire, vous ne devez pas vous contenter de démontrer l’irrégularité du courrier, mais prouver que vous remplissez toutes les conditions.» En revanche, s’il y a un pouvoir d’appréciation de la part de l’administration, c’est au Conseil d’Etat que le citoyen lésé doit s’adresser. «Celui-ci se prononcera sur la conformité de la décision à toutes les règles de procédure, dont la loi sur la motivation formelle.»
Refus de primes Habitation: une adresse mail pour contester
Contacté par Le Vif, le SPW concède avoir envoyé des «courriers standards de recevabilité». Toutefois, «tous ont fait l’objet d’une vérification, puis d’une validation par la directrice générale du Département du Logement, clarifie le porte-parole. Nous ne recourons à aucune IA; ni dans le traitement des dossiers, ni dans la rédaction du courrier. Sur le fond, l’arrêté du gouvernement wallon ne prévoit pas de voie de recours officielle. Cependant, nul n’est à l’abri d’une erreur. Les personnes qui ont un doute peuvent interpeller l’administration par mail à l’adresse renovation.logement@spw.wallonie.be. Par ailleurs, elles pourront maintenir qu’elles avaient droit à l’ancien régime lorsqu’elles introduiront une demande de primes.»
Si l’attaque informatique visant le SPW a inévitablement compliqué la donne, le manque de motivation des refus s’avère contreproductif à tous les niveaux. Pour l’administration, qui pourrait se voir assaillie d’innombrables demandes de clarification, ce qui nécessitera de réexaminer les dossiers. Pour les demandeurs, qui ne savent toujours pas s’ils perdront ou non plusieurs milliers d’euros de primes, vu les coupes que prévoit le nouveau système. Et pour la rénovation énergétique des biens concernés, dont les phases ultérieures ou à finaliser subissent déjà un retard.
Riposte devant le Conseil d’Etat
Les ménages floués par la réforme, eux, ne restent pas les bras ballants. Le groupe «Recours contre la suppression des primes de la Région wallonne», qui compte à ce jour 885 membres, s’apprête à la contester devant le Conseil d’Etat. Le temps presse: «On arrive au terme du délai pour introduire le recours, sachant qu’il doit être déposé aux greffes du Conseil d’Etat avant le 11 juin et qu’il y a un gros travail de préparation à faire», commente son instigateur principal, collectant pour le moment les fonds nécessaires en vue de verser un premier acompte à un bureau d’avocats. «Plusieurs remarques du Conseil d’Etat, section législation, nous donnent des indications d’illégalité de l’arrêté, renseigne ce dernier dans un récent courrier. Eu égard à ces éléments, nous pouvons estimer raisonnablement que des chances de réussite sont crédibles.»