Le off market privilégie les ventes immobilières discrètes, sans affiche apposée sur la façade des biens ni annonce sur les plateformes traditionnelles. © BELGA

L’off market, la tendance immobilière en vogue: «Cette vente discrète permet un double effet de nouveauté»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A l’origine réservée aux biens prestigieux négociés en toute discrétion, la technique du off market gagne aujourd’hui d’autres pans de l’immobilier. Ces ventes «exclusives», destinées aux clients inscrits dans les bases de données des agences, entretiennent l’illusion d’offres uniques et incontournables.

«Villa d’exception nichée en pleine campagne, s’étalant sur un domaine de plus de douze hectares. Une opportunité à saisir.» La description du bien se limitera à ces deux lignes alléchantes. Inutile pour le candidat-acquéreur de chercher des photos de la propriété ou d’éventuelles informations sur sa localisation. Ces détails sont classés top secret. A moins de signer un contrat de confidentialité et de solvabilité avec l’agence immobilière, qui a fait du off market sa spécialité.

A l’origine, cette méthode de vente «hors du marché traditionnel» s’adresse principalement aux vendeurs soucieux de leur anonymat. «Ces propriétaires veulent que l’agence travaille dans la discrétion la plus totale, car ils ne souhaitent pas que l’on sache que leur bien est mis en vente», précise Caroline Lejeune, présidente de la Fédération des agents immobiliers francophones (Federia). Divorce, décès ou déménagement: quel que soit le contexte, le silence est de mise. Aucune affiche ne sera donc apposée sur la maison, qui ne fera pas non plus l’objet d’annonces dans les journaux ou sur les plateformes classiques de vente.

Les vendeurs sont généralement des personnalités de renom (célébrités, dirigeants de très grandes entreprises…), propriétaires de biens d’exception et haut de gamme. «Ils veulent éviter d’attiser la curiosité ou les questions indiscrètes, et n’ont surtout pas envie que le grand public sache combien ils ont touché pour leur vente», explique Caroline Lejeune. Une manière, également, de filtrer les candidats-acquéreurs et d’éviter les visites du «tout-venant», ajoute la gérante d’un bureau immobilier en région liégeoise.

Une publicité… pas trop publique

L’off market peut aussi concerner la vente de biens loués à des fins professionnelles, comme des rez-de-chaussée commerciaux ou des maisons médicales. «Dans ce cas, la discrétion est également préférée pour éviter l’amalgame entre la vente du bâtiment et l’arrêt de l’activité», justifie la présidente de Federia. Mais même en cas de faillite, le propriétaire contraint de remettre son commerce privilégiera parfois l’off market pour éviter d’en informer la concurrence. «Une vente complexe pour l’agence, qui doit promouvoir le bien sans trop l’exposer, en travaillant uniquement sur la base de son carnet d’adresses

Mais ces dernières années, la définition du off market semble avoir évolué. «Le terme a été un peu galvaudé», confirme Caroline Lejeune. Il englobe aujourd’hui toutes les ventes dites «exclusives» ou «privilèges», à savoir des offres qui sont partagées uniquement aux clients des agences immobilières, sans être publiées sur le marché traditionnel (ou avant de l’être). «C’est une technique qui existe depuis le début des années 2000 et la démocratisation de la technologie, retrace Daniel Felicia, directeur chez We Invest Brabant wallon. Les agences ont développé ce type de mailing dès que Monsieur et Madame Tout-le-monde ont eu un ordinateur.» Mais l’expression «off market» s’est surtout popularisée avec l’essor d’émissions télévisées, telles que L’Agence en France ou Selling Sunset aux Etats-Unis, «témoins d’un engouement populaire pour l’immobilier», estime le spécialiste.

Limiter l’ultra-concurrence

Cette stratégie de vente s’adresse aujourd’hui à tout acquéreur potentiel, «qu’il ait un budget de 200.000 ou cinq millions d’euros», insiste Daniel Felicia. Pour le candidat acheteur, l’off market limite la concurrence et garantit d’être «l’un des premiers sur la balle», explique l’agent immobilier. «Pendant le Covid-19, certains biens ont eu tendance à se vendre comme des petits pains, ce qui a pu générer une certaine frustration chez les acheteurs», reconnaît Caroline Lejeune.

Pour éviter que les clients passent à côté de la maison de leur rêve, les agences leur proposent désormais de s’inscrire dans leur base de données en renseignant leurs critères de recherche. Dès qu’un bien y correspond, ils en sont directement notifiés par mail. «Ce matchmaking automatique fait gagner du temps aux clients et leur offre toutes les chances, même s’ils ne surfent pas sur Immoweb tous les jours», souligne la présidente de Federia.

Forcément, cette approche «VIP» crée un sentiment d’exclusivité pour le client et renforce l’attractivité du bien. Tout bénéf’ pour le vendeur, qui pourra légèrement gonfler son prix et se montrer moins ouvert à la négociation. «Il pourra se permettre d’aller dans des valeurs un peu plus audacieuses et voir si ça prend, confirme Daniel Felicia. Ce qu’il n’aurait pas le luxe de faire sur une plateforme grand-public, au risque de « brûler » le bien s’il reste trop longtemps en ligne par manque d’intérêt.»

«Ballon d’essai»

En d’autres termes, miser sur l’off market, c’est s’offrir un «ballon d’essai» avant d’éventuellement se lancer dans le grand bain. «Cela permet de tester le bien sur un échantillon limité de clients et de voir comment le marché réagit», note Daniel Felicia. Si les réactions sont négatives, voire totalement inexistantes, l’agence dressera un rapport d’activité avec le propriétaire et lui proposera de réajuster le prix, de refaire des photos ou de retravailler le descriptif avant de partager l’annonce publiquement, sur les canaux classiques de diffusion.

«L’off market permet un double effet de nouveauté, insiste le directeur de We Invest Brabant Wallon. Il y aura d’abord une première courbe d’intérêt après le partage du bien au sein de la base limitée de clients. Au fil des semaines, cette courbe risque de s’affaisser s’il n’y a pas de preneur. Mais vient ensuite le partage de l’annonce sur le marché traditionnel –où le bien sera considéré comme tout nouveau–, ce qui lui offrira un nouvel élan d’intérêt

«L’off market permet de tester le bien sur un échantillon limité de clients et de voir comment le marché réagit.»

Au vu de ses avantages, tant pour l’acquéreur que pour le vendeur, l’off market rencontre aujourd’hui un franc succès. «C’est effectivement un argument de signature», confirme Caroline Lejeune. Chez We Invest, environ 35% des biens sont vendus via ces «ventes discrètes», sans passer par la case grand-public. Une méthode que Daniel Felicia conseille d’ailleurs à la majorité de ses clients. Seule exception: en cas d’urgence absolue de vente. «Forcément, une base de données réduite signifie moins d’acquéreurs potentiels, reconnaît l’agent immobilier. C’est une base de meilleure qualité, mais plus limitée, ce qui agit fatalement comme un entonnoir. Si le bien doit se vendre en moins d’un mois, on conseillera plutôt le marché traditionnel

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