Rob Beenders (Vooruit), ministre de la Protection des consommateurs, veut rendre obligatoire et automatique l’inscription d’une clause suspensive liée à l’octroi d’un crédit immobilier dans le compromis de vente immobilière.
C’est une réforme majeure, résumée en deux phrases dans un document de 20 pages: «Le contrat de vente est automatiquement assorti d’une condition suspensive jusqu’à l’obtention du crédit nécessaire. Sans cette condition, le contrat n’est pas valable.» Elles figurent dans l’accord de coalition Arizona mais aussi dans l’exposé d’orientation politique présenté par le ministre de la Protection des consommateurs, Rob Beenders (Vooruit), devant le Parlement le 13 mars dernier. Un exposé passé presque inaperçu. L’idée? Mieux protéger les candidats acheteurs en cas de refus de la banque et les mettre, tous, sur un pied d’égalité.
Actuellement, lors d’une offre ou d’un compromis, la condition suspensive liée à l’octroi d’un prêt n’est pas légalement obligatoire. Cette clause autorise le candidat acquéreur à se rétracter s’il ne parvient pas à décrocher son prêt auprès d’une banque, et ce sans frais ni pénalité. Autrement dit, la vente est alors censée n’avoir jamais existé. En revanche, en l’absence de condition suspensive de prêt, si l’acheteur se désiste, le vendeur peut réclamer, en justice, jusqu’à 10% du montant de la vente à titre d’indemnité. Le Syndicat national des propriétaires et des copropriétaires (SNCP) juge la mesure favorablement. «Les ventes se concluent très majoritairement avec cette clause suspensive, note Olivier de Clippele, vice-président du SNCP et notaire. J’ai constaté par ailleurs que très souvent les candidats acquéreurs qui n’obtiennent pas leur crédit ne disposent pas de la somme nécessaire pour verser l’acompte (NDLR: celui-ci est demandé lors de la signature du compromis et s’élève soit à 5%, soit à 10% du prix d’achat).»
Du côté des notaires, on estime également la réforme opportune. «Dans une vente privée, les potentiels acheteurs sont ceux qui se situent davantage dans une situation de faiblesse, indique Renaud Grégoire, notaire et porte-parole de la Fédération du notariat (Fednot). La mesure rééquilibrerait en quelque sorte les choses mais elle protégerait également les personnes aux revenus plus faibles et les personnes seules, pour lesquelles les rapports sont plus tendus.»
Vendre sans clause suspensive liée à l’obtention d’un crédit est une pratique courante à Bruxelles, où la concurrence est rude et, particulièrement, lorsque la vente est gérée par des intermédiaires, à savoir les agences immobilières. Ainsi Camille, 27 ans, vient d’acquérir un appartement situé à Woluwe-Saint-Pierre. «J’étais la première à le visiter et le propriétaire m’a clairement dit que si je faisais une offre au prix sans condition suspensive, il était pour moi. Je pense que pour le vendeur, une offre ferme était plus importante qu’une surenchère avec condition suspensive.» Pour mettre toutes les chances de son côté, Camille a renoncé à cette clause. La jeune femme avait un apport important et savait que sa banque la suivrait, ayant déjà pris contact avec l’organisme prêteur et réalisé plusieurs simulations en ligne. «Sans cette garantie, je n’aurais jamais osé. Mais, toujours est-il que je me suis mise dans une position de stress excessif.»
De nombreux acheteurs voient donc régulièrement le bien immobilier convoité leur passer sous le nez face à des offres sans conditions suspensives, souvent privilégiées par les vendeurs. «Pour ne pas rater le coche, des acheteurs font l’impasse sur une clause suspensive parce qu’ils sont mis sous pression par les agences immobilières, ajoute Renaud Grégoire, alors que la plupart des notaires en prévoient d’office une dans les compromis de vente.»
En effet, à dossier équivalent, le vendeur préférera presque toujours une offre sans condition. «C’est un argument auquel sont sensibles les propriétaires vendeurs, qui peuvent potentiellement accepter une offre plus basse mais plus certaine d’aboutir», observe Bernard. G. (1), agent immobilier dans l’est de Bruxelles. Les vendeurs pressés ainsi que les vendeurs échaudés, qui ont vu leur vente s’annuler parce que le précédent acheteur n’a pas obtenu son crédit, seront forcément plus réceptifs. Quant aux agences, elles sont sûres de conclure leur mission.
Effet pervers
La future réforme irrite en tout cas les professionnels du secteur immobilier, qui l’estiment ni pertinente ni nécessaire. «Cela ne devrait pas bouleverser le marché car, en réalité, les candidats acquéreurs sont déjà sur un pied d’égalité. De 90% à 95% de nos dossiers englobent cette clause, déclare Raphaël Mathieu, CEO de We Invest, réseau d’agences immobilières. Il reconnaît qu’après le Covid, les prix ont flambé. L’absence de clause suspensive était un élément distinctif. Aujourd’hui, dans un marché moins dynamique et moins concurrentiel, ce ne serait plus un levier de négociation. «La marge de négociation, selon nous, se situe désormais dans le montant à emprunter nécessaire à l’achat. Moins l’acquéreur doit emprunter, plus il arrive en position de force pour obtenir le bien convoité. Et plus encore si la clause suspensive liée au crédit hypothécaire devient obligatoire.»
Ses confrères se montrent en revanche moins confiants. Ils craignent un effet pervers, comme des offres moins sérieuses et moins solides. Certains acheteurs, selon eux, pourraient signer plusieurs offres à la fois et renoncer ensuite pour choisir celle à laquelle ils souhaitent réellement se lier. Ce qui engendrerait des pertes de temps pour les vendeurs. Durant plusieurs semaines le bien serait en effet «sous option». Une période durant laquelle aucun nouveau candidat ne peut se présenter.
La réforme pénaliserait également les investisseurs disposant des fonds nécessaires. Ce qui allongerait les périodes de vacance temporaire liées à une vente ou à des travaux, alors que la demande locative est forte. Une critique rejetée par les notaires. «Les démarches administratives à effectuer pour la signature d’un compromis sont devenues si conséquentes que, dans les faits, le délai s’est déjà étendu, répond Renaud Grégoire. En outre, les banques exigent généralement un compromis avant de se positionner. Il arrive donc que des acheteurs le signent avant d’avoir reçu le feu vert de leur banque.»
Les conditions juridiques de la future obligation sont encore en discussion. Rob Beenders planche sur un texte, en duo avec la ministre de la Justice, Annelies Verlinden (CD&V). Aucune date n’est prévue. Mais, selon Jef Beckers, porte-parole de Rob Beenders, la mesure figure «en haut de l’agenda pour cette année». «Cette clause suspensive, qui sera automatique, ne dispense pas l’acheteur d’agir», réagit Jef Beckers. Pour bénéficier de la protection, l’acquéreur doit en effet prouver qu’il a réellement sollicité un crédit. Généralement, au moins deux refus d’institutions bancaires sont exigés.
Les parties, c’est-à-dire le vendeur et l’acheteur, pourraient-elles y déroger expressément? En d’autres termes, des exceptions seront-elles prévues? «Sans cette condition, le contrat ne sera pas valable», répète Jef Beckers, sans plus de précision. A la Fédération des notaires, son porte-parole, Renaud Grégoire, pense qu’il devrait s’agir d’une règle impérative, soit une obligation à laquelle on ne peut déroger, notamment par convention entre les deux parties. «Elle s’impose à tous, en raison de son caractère d’ordre public, explique Renaud Grégoire. Ne pas l’inscrire dans le compromis n’y changerait dès lors rien.»
Pour l’heure, le cadre juridique à l’étude ne précise pas la durée de la condition suspensive. Ce délai ne peut être inférieur à 30 jours et oscille entre 40 et 45 jours. «Si un propriétaire doit vendre rapidement suite à un divorce, par exemple, ou s’il est déjà engagé dans une autre opération immobilière, grâce à la vente du bien, perdre deux mois parce que l’acheteur se rétracte, ça entraîne des coûts», explique Bernard G., agent immobilier. Rob Beenders promet un «délai raisonnable», pour éviter un ralentissement du marché.
«Pour ne pas rater le coche, des acheteurs font l’impasse sur une clause suspensive parce qu’ils sont mis sous pression par les agences immobilières.»