Gérald Papy

Recul européen sur la responsabilité des entreprises

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les hasards de l’actualité mettent en lumière le rôle et la responsabilité des entreprises dans la marche du monde.

Depuis le 4 novembre, neuf prévenus, dont la société Lafarge SA comme «personne morale», comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris sous l’accusation de «financement du terrorisme». Ces dirigeants sont accusés d’avoir, en Syrie entre 2012 et 2014, conclu des arrangements financiers avec des groupes djihadistes afin de pouvoir maintenir l’activité de leur usine de Jalabiya alors que toutes les grandes entreprises françaises avaient quitté le pays, en proie à la guerre civile depuis 2011.

Le 17 novembre, l’organisation European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) a déposé une plainte pénale auprès du parquet national antiterroriste français contre la compagnie pétrolière TotalEnergies. Il lui est reproché d’«avoir directement financé et soutenu matériellement» la Joint Task Force (JTF), un groupe militaire constitué par l’Etat du Mozambique et la société française pour protéger les installations de celle-ci dans la région septentrionale du pays, cible d’une offensive de l’organisation djihadiste Al-Chabab. Or, une enquête de presse a révélé que la JTF se serait rendue responsable du «massacre des conteneurs», l’assassinat de civils déplacés par les combats qui avaient été enfermés dans ces lieux d’hébergement singuliers.

Sans préjuger de l’issue judiciaire de ces deux affaires, elles posent la question de la responsabilité sociale des entreprises. Tout n’est pas permis au nom de leur rentabilité.

C’est notamment pour fixer un cadre à cette responsabilité des entreprises qu’avait été votée en avril 2024 par le Parlement européen une loi obligeant les sociétés de plus de 1.000 salariés et ayant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 450.000 euros à prévenir et à remédier aux violations de droits humains et aux dommages environnementaux tout au long de leurs chaînes de valeur, y compris chez leurs fournisseurs. Le 13 novembre, une majorité d’eurodéputés a pourtant décidé d’en réduire la portée en élevant notamment les seuils à partir desquels elle s’applique. Cette modification ne changera a priori rien pour Lafarge, devenue LafargeHolcim, et pour TotalEnergies. Il n’en reste pas moins que le signal adressé est celui d’une permissivité plus grande laissée aux entreprises de se comporter en fonction de leurs seuls intérêts et d’une promotion de l’impunité. La course à la compétitivité, aussi légitime soit-elle, autorise-t-elle à s’affranchir des contraintes les plus essentielles, en particulier en matière de respect de l’environnement?

Le recul sociétal des parlementaires européens est en outre frappé de l’infamie d’avoir été opéré par une majorité alternative entre le Parti populaire européen (PPE) et les deux groupes d’extrême droite, les Conservateurs et réformistes européens, et les Patriotes pour l’Europe, «le rapprochement le plus concret à ce jour» entre ces familles politiques, selon le site d’information européen Euractiv. Quelques semaines après un épisode similaire en France sur les relations de l’Hexagone avec l’Algérie, ce vote montre que les digues tendent de plus en plus souvent à tomber. La plupart des dirigeants de société s’en inquiètent-ils?

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