famille chargeant son véhicule électrique à la maison avec une batterie domestique
En se dotant d’une pompe à chaleur et d’une borne de recharge, la consommation annuelle moyenne d’un ménage va rapidement tripler, ce qui peut causer des sous-tensions aux alentours. © Getty Images

Sous-tensions sur le réseau électrique: le civisme et les batteries domestiques à la rescousse

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Ores a récemment sollicité de nouveaux moyens afin d’anticiper un «tsunami de sous-tensions». Néfastes pour les appareils électriques, elles sont difficilement évitables sans changements techniques et collectifs.

Dans certains quartiers plus que d’autres, les ménages ont bien des raisons de s’agacer de leur facture d’électricité: depuis plusieurs années, ils paient de plus en plus cher pour des coûts de distribution qui leur procurent à la fois des surtensions, principalement en été, et depuis quelque temps, des sous-tensions, surtout en hiver. Le CEO d’Ores, Fernand Grifnée, a tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière. Pour éviter un «tsunami» de sous-tensions dans les prochaines années, il va falloir investir encore plus massivement que prévu dans les prochaines années: au minimum 2,5 milliards d’euros d’ici à 2029, au lieu des 2,1 milliards initialement prévus. Et encore; il est possible qu’un tel montant reste insuffisant, a-t-il affirmé, tant les défis sont nombreux.

Les surtensions affectent surtout les détenteurs de panneaux photovoltaïques, dont l’onduleur se met alors à l’arrêt, bloquant toute production solaire. Elles sont précisément causées par une surproduction photovoltaïque non consommée en temps réel, de ce fait injectée sur un réseau non calibré à cet effet. Les sous-tensions, elles, peuvent toucher potentiellement tout le monde, en particulier les ménages raccordés en aval d’un circuit. Dans un tel cas de figure, il n’y a, à certains moments, tout simplement pas assez d’électricité pour répondre à la demande dans les environs immédiats. Les habitations en amont d’un circuit ponctionnent trop d’électricité, ce qui diminue la tension, censée s’élever à 230 volts. En cause, principalement: des recharges concomitantes de voitures électriques, lorsque les gens rentrent du travail, et les déclenchements de pompes à chaleur, essentiellement dans des quartiers ruraux ou de périphérie.

«Les communes ont souvent siphonné les bénéfices d’Ores plutôt que de les réinvestir dans le réseau.»

«Les problèmes de surtensions et de sous-tensions apparaissent généralement dans les mêmes quartiers, constate Régis François, le porte-parole de l’association BeProsumer. En se dotant d’une pompe à chaleur et d’une borne de recharge, la consommation annuelle moyenne d’un ménage va rapidement tripler, passant de 4.500 à 15.000 kilowattheures. La perspective des sous-tensions n’est pas récente. BeProsumer en avait déjà parlé devant le parlement wallon il y a presque deux ans. Fernand Grifnée n’a pas toujours maîtrisé son conseil d’administration, avec des communes qui ont souvent siphonné les bénéfices d’Ores (NDLR: qui est une intercommunale) plutôt que de les réinvestir dans le réseau. Mais je le rejoins sur un point: on prône un grand shift vers l’électricité alors que le réseau n’est pas équipé pour accueillir tous ces nouveaux consommateurs. La Flandre connaît également ces problèmes alors qu’elle a investi dans le réseau.»

Les conséquences sur les appareils

Durant l’hiver 2024, Ores a déjà constaté des sous-tensions sur 14% d’un échantillon de 39.404 circuits, alimentant 95.576 compteurs. A -9 ou -10%, elles ne sont pas nécessairement perceptibles par le client. Mais bien néfastes pour les appareils électriques tels que les réfrigérateurs, lave-linges, fours, télévisions, climatiseurs… Elles engendrent des pertes de rendement, une usure prématurée de leurs composants et une surchauffe, le cas échéant, des compresseurs et des résistances. Dans les cas les plus problématiques, elles entraînent aussi une mise à l’arrêt du système de chauffage.

«C’est un phénomène que l’on rencontre plus souvent qu’avant du fait de l’électrification, confirme Laurent Nicolaï, fondateur de la société d’électricité Klerco. La manifestation la plus fréquente, ce sont des lampes LED qui scintillent, celles-ci étant beaucoup plus sensibles à la tension que les anciennes technologies. On voit aussi des cas de pompes à chaleur se mettant en défaut et de bornes de recharge limitant leur puissance.»

Quelles solutions dans l’attente d’un renforcement du réseau?

«On ne veut évidemment pas faire en sorte que les personnes fassent leur repas et vivent leur vie de soirée pendant la nuit», précise d’emblée Ores. Outre le renforcement du réseau, qui passera dans certains cas par le placement de nouvelles cabines, l’atténuation du problème relève d’abord d’une prise de conscience collective: il faut différer, dans la mesure du possible, les grosses consommations électriques, comme la recharge d’un véhicule dès 17 ou 18 heures. «Le point est vraiment d’inciter les détenteurs de bornes de recharge à recharger quand l’énergie est disponible (heures «solaires» et la nuit)», souligne le GRD. Il faut aussi bannir les puissances démesurées. «Dans la plupart des situations, une borne de recharge à domicile de sept kilowatts est amplement suffisante», ajoute Laurent Nicolaï. «Le message principal, c’est qu’il faut faire preuve de civisme, résume le porte-parole de BeProsumer. Mais il n’est pas facile à faire passer auprès de ménages qui voient leur facture augmenter et la qualité du service diminuer. Je doute que les signaux de prix suffisent à changer les comportements, si la différence ne se chiffre qu’à un euro par jour. Quant au fameux tarif «Impact», l’encourager est une bonne chose, mais je crains que ce ne soit pas un grand succès, vu le peu de communication qui l’entoure.»

A l’échelle d’un ménage, il existe toutefois quelques solutions techniques pour diminuer le risque de sous-tension. Les stabilisateurs de tension ne constituent qu’une issue de dernier recours, pour les cas les plus graves, estime Laurent Nicolaï. «Les GRD ont leur part de responsabilité, mais les citoyens et nous, électriciens, également. Il ne faut pas crier à la catastrophe. On peut analyser les données de tension pour améliorer la situation sans un investissement trop conséquent. Une première solution consiste par exemple à bien équilibrer les phases d’un tableau électrique. Les détenteurs de panneaux photovoltaïques, eux, peuvent aussi miser sur les batteries domestiques. Elles peuvent vraiment aider à atténuer le problème.»

Vers une large adoption des batteries domestiques?

C’est aussi le message d’Ores et de BeProsumer. Jusqu’ici marginales en raison du principe de compensation, en vigueur jusque fin 2030 pour les installations photovoltaïques antérieures à 2024, les batteries domestiques intelligentes peuvent restituer prioritairement l’électricité stockée pour la recharge d’une voiture ou pour tout autre appareil déclenché lors des pics de consommation. «Elles maximisent l’indépendance par rapport au réseau, qui sera d’autant plus fondamentale dans les prochaines années», précise Régis François. «L’autonomie complète n’est pas possible avec nos hivers, mais l’optimisation peut déjà bien aider sur le plan individuel et collectif, acquiesce Laurent Nicolaï. Avec les nouvelles technologies à disposition, on peut faire beaucoup de choses.»

Cela suppose, bien sûr, que les particuliers consentent à des investissements auparavant non nécessaires. A ce jour, aucune Région n’accorde par exemple de prime pour l’installation de batteries domestiques. Seule la Flandre les avait un temps subsidiées, entre 2020 et 2023. Bien que les primes soient suspendues dans la Région bruxelloise et en profonde mutation en Wallonie, le spectre des sous-tensions incitera-t-il les pouvoirs publics à les inclure dans la future équation?

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