Sans être à l’arrêt, le développement de nouvelles éoliennes en Wallonie s’éloigne malgré tout de l’objectif fixé pour 2030. Les contraintes du réseau imposent un nouveau souffle.
Sur la route vers une production éolienne annuelle de 6.200 gigawattheures d’ici à 2030, la Wallonie n’a accompli qu’un tiers du chemin en 20 ans. L’objectif fixé dans le Plan air climat énergie (PACE) paraît difficilement atteignable; il faudrait d’ici-là placer l’équivalent de 114 éoliennes par an, en tenant compte d’une puissance unitaire de quatre mégawatts (MW) et d’un taux de charge moyen (lire l’encadré ci-dessous) de 21% ces dernières années, selon les chiffres d’Energie Commune. A titre de comparaison et dans l’attente du bilan de 2025, la Wallonie n’avait accueilli que 28 nouveaux mâts en 2024. Elle ne devrait toutefois pas connaître un coup d’arrêt tel que celui observé en Flandre, où seules onze éoliennes ont vu le jour cette année (soit le plus bas développement annuel depuis quinze ans).
«Le marché wallon est déjà très actif, avec près de 4.000 MW de projets en préparation pour un peu plus de 1.500 MW installés», rappelait récemment Edora, la Fédération des énergies renouvelables. Toutefois, la Flandre a progressé bien plus rapidement que la Wallonie par le passé (voir le graphique ci-dessous). Et bon nombre de ces projets en attente ne verront jamais le jour: certains s’excluent mutuellement alors que d’autres demeurent bloqués pour des raisons pratiques (incidences environnementales, permis…). L’augmentation de la production éolienne ne passera pas uniquement par la création ou l’extension de parcs. Dans les toutes prochaines années, le nombre de mâts atteignant l’âge fatidique de 20 ans va significativement augmenter. Les promoteurs éoliens peuvent alors introduire des projets de repowering afin de les remplacer par des modèles plus puissants. «On considère généralement un gain d’1% de productible par mètre de hauteur supplémentaire, résume Fawaz Al Bitar, directeur général d’Edora. Mais c’est surtout la surface balayée qui joue le plus grand rôle». Autrement dit: le diamètre couvert par les pâles. De tels modèles affichent par ailleurs un rendement plus élevé, même si d’autres paramètres ont une influence notable.
Un gain de production éolienne de 30 à 40%
A l’heure actuelle, seules deux opérations de repowering se sont concrétisées en Wallonie: à Perwez et à Sainte-Ode. Bien d’autres projets du même ordre sont en gestation. «Même avec moins de mâts qu’avant, vous pouvez obtenir 30 à 40% de productible en plus par rapport à l’ancien parc», souligne-t-il. Le nombre de mâts installables sur un site peut en effet dépendre de leur hauteur. En Wallonie, le cadre de référence éolien impose une distance minimale de 400 mètres par rapport à une habitation isolée et de 500 mètres par rapport à une zone d’habitat (au plan de secteur). Dans ce dernier cas, il est «ajouté la moitié de la hauteur de l’éolienne».
Au nord du pays, la baisse drastique du nombre d’éoliennes résulte en partie d’un renforcement des règles de distance vis-à-vis des habitations. «Mais comme le cadre y était, pour les développeurs, moins strict qu’en Wallonie, l’approche des deux Régions est à présent plus ou moins similaire», nuance Fawaz Al Bitar.
Le développement de l’éolien terrestre ne s’est jamais déroulé sans accrocs, et rien ne permet de penser que la tâche sera forcément plus aisée à l’avenir. Selon un sondage mené en 2010 par Ipsos, l’acceptabilité des parcs éoliens existants s’améliorerait au fil du temps. Dans l’ensemble, les projets de repowering ne semblent plus rencontrer une opposition aussi vive que par le passé. Mais deux éléments majeurs freinent le déploiement des parcs.
1. La congestion du réseau électrique
Le premier porte sur la congestion du réseau électrique au niveau des transformateurs moyenne-haute tension. En 2025, le nombre de demandes de raccordement a explosé, à tel point qu’il n’y a plus assez de nouvelles capacités disponibles pour tout le monde. Pour les unités de production décentralisées comme les éoliennes, un autre problème se pose: lors des périodes de forte production et de faible consommation, le réseau ne parvient pas à absorber toute l’électricité injectée. Dans un tel cas de figure, les développeurs procèdent à un curtailment, c’est-à-dire à un bridage de leurs parcs éoliens en mer comme sur terre. Soit parce que les prix de l’électricité sont négatifs, soit parce que le gestionnaire de réseau en fait la demande, afin d’éviter une congestion.
«Quand une éolienne produit trop d’électricité, des acteurs locaux pourraient se proposer pour consommer ou stocker davantage.»
La résolution du problème passe nécessairement par un coûteux renforcement du réseau. Mais aussi par des solutions de flexibilité, dont l’efficacité permettra d’éviter des investissements plus lourds encore. Professeur à l’ULiège et expert des questions énergétiques, Damien Ernst évoque la piste des plateformes de flexibilité locale, à l’image du projet Scope, porté par un consortium de six organisations, dont Ores, l’ULB et l’ULiège. «L’idée, c’est que quand une éolienne produit trop d’électricité, des acteurs locaux se proposent pour consommer ou stocker davantage: des industriels, mais aussi, pourquoi pas, des particuliers», expose-t-il. Une telle plateforme consacrerait le principe des échanges de pair à pair, dont le gestionnaire de réseau ne serait que le chef d’orchestre. Elle réduirait le risque de congestions et maximiserait la consommation d’électricité produite à partir des éoliennes, plutôt que les soumettre à un curtailment.
Pour agir en ce sens, il manque trois éléments, estime le professeur. «Un: il faut une vision politique nettement plus poussée, bien au-delà du clivage nucléaire ou pas nucléaire. Deux: le régulateur doit légiférer très vite. Et trois: il faut travailler en « mode start-up », c’est-à-dire commencer le travail à partir de quelques poches du réseau qui sont particulièrement en difficulté. Si on fait cela, on peut rendre le tout opérationnel en un an et demi maximum.»
Une autre perspective consisterait à prévoir un parc de batteries pour chaque parc éolien. «Ce n’est pas nécessairement évident, puisque cela suppose de faire une demande de permis pour les deux volets, concède Damien Ernst. Mais on pourrait envisager une coloc éoliennes-batteries pour le futur. Ce modèle-là est d’ailleurs en train d’apparaître en France. C’est le meilleur moyen pour se financer en se passant de subsides.» De son côté, Edora confirme l’intérêt d’un tel binôme. «Ce n’est pas encore envisageable à cause de la réglementation. Il faut aussi que la batterie soit vraiment considérée comme un outil d’aide au réseau, et non comme une somme de capacités supplémentaires.»
2. Ping-pong entre experts autour des permis
Un second frein de taille pour l’éolien concerne les demandes de permis qui, plutôt que de profiter d’un accueil potentiellement moins défavorable des riverains, demeurent tout aussi compliquées –si pas davantage– qu’avant. Edora prend l’exemple du Département de la nature et des forêts (DNF), dont les avis actuels restreignent de plus en plus les projets éoliens. «C’est à un point tel que des parcs acceptés par le passé pourraient ne plus l’être au regard des critères actuels, déplore Fawaz Al Bitar. L’autorité wallonne ne réalise pas suffisamment une balance des intérêts entre les éoliennes et les aspects environnementaux, comme le demande l’Union européenne. Comme elle n’est pas experte en la matière, elle n’est pas souvent apte à se positionner face au ping-pong entre experts qui se joue derrière les permis.»
«L’autorité wallonne perçoit trop souvent les éoliennes comme un problème, et non comme une partie de la solution.»
Les repowerings ne sont pas mieux lotis; ils sont soumis aux mêmes exigences qu’un premier parc éolien, ce que regrette Edora. Et comme souvent, la lasagne institutionnelle n’aide pas. L’intérêt de la sécurité d’approvisionnement, de compétence fédérale, s’oppose ici à celui des nuisances environnementales et donc aux octrois de permis, de compétence régionale. Résultat: «L’autorité wallonne perçoit trop souvent les éoliennes comme un problème, et non comme une partie de la solution pour notre sécurité d’approvisionnement», conclut le directeur général d’Edora.
Avec le réchauffement climatique, le vent souffle moins fort
En mer comme sur terre, le taux de charge moyen des éoliennes semble décliner sur la période 2012-2025. Cet indicateur essentiel rapporte, généralement sur une base annuelle, le pourcentage du temps durant lequel elles ont tourné à pleine puissance. Le taux de charge mesure donc l’écart entre la production réelle (en fonction du vent) et théorique (si elle tournait toujours dans des conditions optimales) d’une éolienne. Les versions dernier cri affichent en principe un meilleur taux de charge. Toutefois, tant les données climatiques passées que les projections d’ici à la fin du siècle semblent faire état d’une diminution statistiquement significative de la force du vent.
«A la station de Zaventem, où l’urbanisation est restée assez stable, on observe environ -0,2 mètre par seconde et par décennie, commente Sébastien Doutreloup, professeur associé et climatologue à l’ULiège. Les simulations établies à partir de quatre modèles du GIEC montrent que le réchauffement climatique ira de pair avec une diminution de la vitesse du vent un peu partout en Europe. Celle-ci dépend en effet de la différence de température existant entre les pôles et l’équateur. Or, comme le réchauffement affecte davantage les pôles, cet écart se réduit.»
La production éolienne est cependant liée positivement à la densité de l’air qui elle, tend à augmenter avec le réchauffement climatique. «Il y a donc un effet compensatoire de ce côté», rappelle Sébastien Doutreloup. Mais d’autres facteurs tirent le productible éolien à la hausse ou à la baisse. Sur terre, le vent est aussi fortement influencé par la rugosité du sol, et donc par l’urbanisation, ajoute le climatologue: «Cela a aussi un effet dans la zone d’influence des éoliennes.» De même, leur rendement dépend de certaines plages de vitesse de vent. En deçà d’un certain seuil, il diminue drastiquement mais au-delà, il peut tout à fait se maintenir. Enfin, les variations intempestives de vitesse du vent nuisent également au rendement optimal d’une éolienne.