Les projets agrivoltaïques, associant agriculture et production d’énergie solaire, se multiplient en Wallonie. Entre promesse de diversification énergétique et craintes pour l’avenir du foncier agricole, ils suscitent autant d’enthousiasme que d’opposition.
Des moutons qui gambadent dans un pré parmi des pylônes supportant… des panneaux photovoltaïques: bienvenue dans un champ agrivoltaïque, où l’agriculture épouse la production d’énergie solaire. Les projets de ce type font leur apparition en Belgique: deux ont récemment été inaugurés, tandis que plusieurs autres sont en attente de permis d’urbanisme. Ether Energy, l’une des entreprises actives dans ce secteur, a actuellement 38 projets en cours de développement sur le Plat Pays. Ces projets prennent diverses formes: ombrières solaires protégeant plantes et animaux, panneaux verticaux préservant la surface agricole et facilitant le passage des engins, haies solaires jouant un rôle de brise-vent…
«De plus en plus d’investisseurs voient l’agrivoltaïque comme une aubaine.»
Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain
Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain, le rappelle: «Pour répondre aux enjeux de la décarbonation, il est important de rapidement continuer à faire croître la production solaire et éolienne. Il faudrait probablement multiplier par cinq notre production solaire». Au rythme actuel, la Wallonie n’atteindra certainement pas les objectifs fixés par le Plan Air Climat Energie (Pace) de 5.100 GWh de production annuelle d’ici 2030. «Beaucoup d’espaces faciles à exploiter l’ont déjà été. De plus en plus d’investisseurs voient donc l’agrivoltaïque comme une aubaine», contextualise l’expert.
A Wierde, au nord de Namur, le tout premier parc agrivoltaïque du pays a été inauguré en 2023 par Ether Energy. Sur ce terrain où fonctionnent 15.000 panneaux, jusqu’à 100 brebis peuvent paître aux côtés de 40 ruches. Selon l’entreprise, cette installation permettrait de produire l’équivalent de la consommation électrique de 3.000 ménages wallons.
Un autre projet agrivoltaïque devrait faire son apparition à Chimay. Celui-ci suscite davantage de résistances. Ce terrain, où vivront 180 brebis entre des rangées de panneaux, ne s’étendra finalement pas sur 18 hectares, mais sur neuf. Le ministre de l’Aménagement du territoire, François Desquennes (Les Engagés), a donné son feu vert au projet malgré l’opposition locale, un avis négatif de la commune et un permis refusé par défaut (en l’absence de réponse dans les temps des fonctionnaires délégués et techniques).
L’émergence de l’agrivoltaïque fait craindre un impact sur le prix des terres
De quoi faire voir rouge au syndicat agricole Fugea: «C’est un double message négatif qui est envoyé au secteur agricole, fustige-t-il dans un communiqué. Cette décision s’oppose frontalement à la ligne défendue par notre syndicat: interdire l’agrivoltaïsme en Wallonie tant qu’un ambitieux plan de protection du foncier agricole n’est pas validé par le Gouvernement, pour protéger l’accès à la terre pour les agriculteurs et agricultrices».
«De nombreux investisseurs risquent d’acheter des terres agricoles à des fins spéculatives, ce qui va encore augmenter le prix des terres.»
Valentine Jacquemart, administratrice de la Fugea
La Fugea dénonce l’impact de ces projets sur le prix des terrains agricoles en Wallonie. Valentine Jacquemart, administratrice du syndicat agricole, alerte: «Avec un rendement locatif jusqu’à 20 fois supérieur au bail à ferme, de nombreux investisseurs risquent d’acheter des terres agricoles à des fins spéculatives, ce qui va encore augmenter le prix des terres».
Pour Francesco Contino, «il faut différencier les cas où l’installation de production électrique coexiste avec l’activité agricole de ceux où l’activité agricole est déplacée ailleurs». Raison pour laquelle la Fugea réclame également un cadre législatif clair co-construit avant d’éventuellement autoriser des projets en Wallonie.
Un cadre juridique réclamé
Le développement de l’agrivoltaïsme repose pour le moment sur le Code du Développement Territorial. La circulaire du 14 mars 2024 préconise en outre la priorité aux installations photovoltaïques sur des terrains déjà minéralisés (comme des toitures, des parkings ou des friches industrielles). «Le foncier agricole étant en proie à des pressions multiples, la problématique de l’accès au foncier se pose donc avec acuité. Le développement de la filière photovoltaïque ne peut dès lors s’envisager que pour autant que les projets n’accentuent pas cette pression», indique le document. Interrogé par la RTBF en avril 2024, l’ancien ministre wallon de l’Economie Willy Borsus (MR) déclarait qu’«en vue de faire face aux défis de la diversification des sources de production d’énergie, il a été jugé par le Gouvernement que l’expérimentation et les investissements innovants peuvent être admis.
Actuellement, les projets agrivoltaïques sont peu nombreux à aboutir en Belgique à cause du flou juridique qui entoure ce secteur. Un cadre clair et strict devrait être mis en place par les ministres de l’Energie, de l’Agriculture, du Territoire et de l’Environnement, mais aucun calendrier précis n’a encore été annoncé.
Un document de référence a déjà été élaboré en 2024 par le Cluster Tweed, résultat d’une concertation intersectorielle entre acteurs agricoles, énergétiques, scientifiques et institutionnels. Ce Livre blanc sur l’agrivoltaïsme en Wallonie formule des recommandations précises pour encadrer ces projets. Selon ses calculs, atteindre les objectifs du Pace nécessiterait d’équiper environ 1% des terres agricoles en panneaux solaires. Mais comme une partie est déjà couverte par des toitures, la surface à mobiliser au sol tomberait à 0,6% de la surface agricole utile.