Selon des estimations d’Ores grâce à ses compteurs communicants, 14% de ses circuits font face à un risque de sous-tension dans les prochaines années. © Getty

Après la vague des décrochages d’onduleur, le tsunami des sous-tensions: pourquoi Ores veut réaugmenter ses tarifs

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

A côté des surtensions et des saturations, une nouvelle menace se profile pour le réseau électrique: les sous-tensions. D’où l’urgence d’investir bien plus (vite) que prévu, explique Ores.

C’est une nouvelle bombe à retardement, qui explosera dans cinq ou six ans, peut-être avant: désastreuses pour le fonctionnement de nombreux appareils, les sous-tensions sont à l’horizon. Et la déflagration sera d’autant plus douloureuse si on ne s’y prépare pas à l’avance. C’est un sérieux défi pour le réseau électrique, un de plus après l’accentuation des décrochages d’onduleurs de panneaux photovoltaïque en 2023 et l’explosion des besoins électriques en 2025. Le réseau électrique n’est en effet déjà plus capable d’absorber les demandes de raccordement de tout le monde. Le principal gestionnaire de réseau de distribution de Wallonie, Ores, a fait les comptes. Entre les stations de recharge pour voitures électriques, les parcs de batteries et les projets résidentiels ou industriels, les sollicitations ont explosé cette année: +45% par rapport à l’année 2024. Or, les transformateurs moyenne-haute tension, dépendant d’Elia, sont bien souvent saturés, bloquant environ 700 mégawatts de projets sur le seul territoire d’Ores.

Pour y remédier, il faudra copieusement investir dans les prochaines années, mais aussi changer les règles. La ministre de l’Energie, Cécile Neven (MR), a prévu un projet de décret en ce sens, déjà voté en commission le 9 décembre dernier mais en attente d’un vote en séance plénière, a priori le 18 décembre prochain. Le texte vise entre autre à permettre des raccordements flexibles au réseau, à savoir un partage de celui-ci, quand son destinataire n’utilise pas la pleine puissance –ou pas tout le temps– qui lui est allouée. Il doit également mettre fin au principe du «premier arrivé, premier servi»: pour le moment, les gestionnaires de réseau sont contraints d’octroyer les puissances restantes aux premiers acteurs qui en font la demande. Les ressources du réseau étant désormais limitées, ce système doit cesser, souligne Ores. Son CEO, Fernand Grifnée, plaide à l’instar d’Elia pour des couloirs de raccordement. «Tant que la piscine était assez grande pour accueillir tout le monde, il n’y avait pas de problème, illustre-t-il. A présent, il faut aménager un optimum pour respecter les besoins et attentes de chaque catégorie de nageurs.»

La fin de l’égoïsme ou le début des sous-tensions

Ores avait déjà annoncé la couleur en avril dernier: «Vouloir tout, partout, tout le temps et tout de suite, c’est fini», plaidait son CEO. Pour réussir le pari de la transition énergétique, et donc de l’électrification massive des besoins, il faudra établir des priorités et se lancer dans une grande «chasse au gaspi». Or de gaspillages, la Wallonie n’en manque pas: d’innombrables acteurs ont contractuellement réservé des puissances de raccordement qu’ils n’utilisent pas pleinement, voire pas du tout. L’année 2026 promet une sérieuse bataille juridique: les convertir en contrat flexible ne sera pas une tâche aisée. Le gouvernement wallon n’aurait toutefois pas fermé la porte à une telle refonte.

«Les surtensions étaient une bonne vague, et on l’a bien sentie. Les sous-tensions, c’est un tsunami en préparation»

Les défis pointent à tous les étages. Pour remédier aux blocages des moyens ou grands projets, il faudra massivement investir dans les autoroutes du réseau électrique. Mais aussi dans les petites routes permettant d’accéder à bon port. Elles constituent le réseau basse tension qui, lui, dépend entièrement des GRD tels qu’Ores. Si les panneaux photovoltaïques y injectent trop d’électricité en même temps et sur un même circuit, il y a un risque de surtension et donc, de décrochage d’onduleurs. Mais si la consommation électrique est trop importante, elle peut causer une sous-tension. A l’heure actuelle, Ores comptabilise déjà un petit millier de signalements. «Les surtensions menant aux décrochages d’onduleurs étaient une bonne vague, et on l’a bien sentie. Les sous-tensions, c’est un tsunami en préparation», avertit Fernand Grifnée.

A l’heure actuelle, Ores ne comptabilise qu’un petit millier de signalements pour des sous-tensions, sur les deux millions de points de fourniture desservis. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Non seulement parce que les sous-tensions plus faibles ne sont pas nécessairement perceptibles par les clients. Mais surtout parce que l’explosion des besoins en électricité va accentuer le risque dans les années à venir, notamment en raison du règne des pompes à chaleur et des recharges de voitures électriques. C’est exactement le cas que rencontre déjà Johan, en province de Namur. «Je mesure quotidiennement des tensions de réseau de 190 volts (NDLR : au lieu de 230 volts) et moins. La tension sur le réseau varie et dépend fortement de la météo et du moment de la journée. Plus il fait froid et, par conséquent, plus il y a de pompes à chaleur mises en service en amont, plus la tension est basse. Le soir, lorsque tout le monde recharge sa voiture électrique, idem. Une conséquence concrète de cela est que je n’ai souvent pas de chauffage, car la chaudière ne déclenche pas quand il y a une sous-tension.»

14% des circuits à risque de sous-tension

Selon des estimations établies par Ores grâce à ses compteurs communicants, environ 14% de ses circuits sont exposés à un risque de sous-tension dans les prochaines années. Il concerne particulièrement les habitations situées en bout de circuit si celles en amont consomment beaucoup d’électricité. Ou les rues qui verraient subitement arriver en masse des voitures électriques et des pompes à chaleur, alors que la capacité du circuit n’est pas assez importante. Le phénomène s’aggrave en cas de «concomitance de la charge» des voitures électriques, ce que Le Vif avait déjà épinglé l’année dernière. Pour limiter le risque de sous-tension, il faut éviter que tout le monde consomme beaucoup d’électricité simultanément. Les tarifs incitatifs et «impact» devraient aider en ce sens. Mais il faudra aussi moderniser le réseau.

Dans son plan d’adaptation initial pour la période 2025-2029, Ores avait pu obtenir 2,1 milliards d’euros. Entre-temps, le prix du matériel nécessaire a bondi de 20 à 47% et le coût total des licences informatiques a fait fois trois. Et à côté de l’électrification massive de 2025, les récents survols de drones russes ont mis en lumière la nécessité d’investir dans la résilience du réseau, rappelle Fernand Grifnée. Vu l’ampleur des défis, Ores souhaite donc revoir l’enveloppe qui lui sera dédiée à la hausse: 2,5 milliards serait une base minimale pour anticiper les défis en tout genre, sous-tensions comprises. Mais probablement insuffisante.

Pour élargir la voilure financière sur le temps long (jusque 2040 au minimum), le GRD souhaite obtenir des financements complémentaires, notamment par le biais d’une notation financière d’ici au printemps 2026, lui donnant un large accès au marché obligataire. Pas question, pour autant, de s’endetter démesurément. La modernisation du réseau devra aussi compter probablement sur une nouvelle majoration des tarifs de distribution de l’électricité en 2027, qui affectera inévitablement la facture du consommateur. Dans quelles proportions? Rien n’est encore décidé. Ores a annoncé la couleur; il lui faut à présent convaincre la Cwape, le régulateur wallon, du bien-fondé d’une telle augmentation. «Si on nous dit que le costume est trop petit, on se mettra à la diète», commente Fernand Grifnée. Mais dans un tel scénario, le réseau électrique wallon s’exposerait à des problèmes plus graves encore dans les prochaines années, prévient Ores.

«Faire l’économie du gaz en Wallonie en espérant que l’intendance électrique suivra nécessairement, je n’oserais pas le faire», conclut Fernand Grifnée, faisant écho au récent signal envoyé par le gouvernement fédéral en matière d’accises. Tout semble indiquer que la politique de l’autruche entraînerait des conséquences encore plus néfastes pour les ménages comme les entreprises, quel que soit l’état actuel des finances publiques.

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