Depuis presque quatre ans, la plateforme Atrias, censée faciliter l’échange des données énergétiques, bloque les factures d’électricité de milliers de ménages. Comment sortir de l’impasse?
En un an, Joseph n’a pas reçu la moindre facture d’électricité. Son code EAN, qui permet d’identifier son point de fourniture, est bloqué depuis juin 2024. «Je viens de changer de fournisseur d’énergie, confie ce Liégeois. Le précédent ne peut clôturer ma facture et le nouveau ne peut me facturer l’électricité. J’ai des panneaux photovoltaïques et un compteur dit « intelligent », mais je ne peux obtenir aucun renseignement quant à ma production ou à ma consommation.» Cette mésaventure est loin d’être un cas isolé. Depuis près de quatre années, elle affecte des milliers de ménages wallons, flamands et bruxellois. La résolution de ce bug informatique a sans cesse été reportée, ce que déplorent les trois régulateurs du pays: le Vlaamse Nutsregulator (anciennement Vreg) en Flandre, Brugel dans la capitale et la Cwape en Wallonie.
Transmission d’index, changement de fournisseur ou de tarif, réception de factures, reconnaissance du statut de prosumers… Tels sont les blocages souvent imputables à un seul et même nom: Atrias. Inconnue du grand public, cette plateforme fédérale fut lancée en novembre 2021 pour centraliser les 50 millions d’échanges mensuels de données entre les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) et les fournisseurs d’électricité et de gaz. Mais l’adoption du nouveau langage de communication (MIG6) qu’elle exploite a généré le blocage de milliers de points d’accès, paralysant autant de factures de consommateurs au moindre changement de situation.
Un projet avec six ans de retard
L’histoire de cette initiative partagée par les sept GRD du pays n’a jamais été un long fleuve tranquille. Créée en 2011 par Ores, Sibelga, Eandis et Intrax (ces deux derniers étant devenus Fluvius), cette société coopérative prévoyait de lancer sa plateforme en 2015. «Il est évident qu’une nouvelle plateforme fédérale facilitera le fonctionnement du marché dans sa globalité et supprimera les entraves», vantait son premier rapport de gestion, en 2012. Elle sera finalement lancée avec six ans de retard, après avoir englouti au passage 200 millions d’euros dès 2018. La faute à MIG6, mais aussi à des exigences de plus en plus hautes, à des modifications réglementaires continues ou à la complexité de la transition énergétique.
Comment sortir de l’impasse des factures bloquées? «Dans la plupart des cas, la résolution d’un problème prend beaucoup de temps et nécessite l’intervention de plusieurs parties», commente Resa. En 2023, Atrias avait avancé l’objectif «de réduire structurellement les chiffres bloqués/verrouillés à des niveaux acceptables d’ici à octobre 2024.» A cette date, pourtant, environ 10.000 ménages étaient toujours affectés rien qu’en Wallonie, selon les estimations de la Cwape. En avril, celle-ci a lancé des injonctions, ciblant notamment «les points bloqués depuis plus de deux ans, un an et demi et un an, ainsi que la définition d’un retour à la normale avec des pourcentages de résolution contraignants, indique-t-elle au Vif. Les plaintes introduites au Service régional de médiation pour l’énergie avant le 31 décembre 2024 ont presque toutes été régularisées à ce jour, à la suite de la procédure d’injonction.» En décembre dernier, le Vlaamse Nutsregulator a pour sa part infligé une amende administrative de 120.280 euros à Fluvius, ainsi qu’une astreinte de 2.500 euros par jour jusqu’à la résolution complète des problèmes liés à Atrias.
Encore 8.000 clients concernés chez Ores, 1.600 chez Resa
En Région bruxelloise, Brugel fait état de 375 points bloqués à la fin du mois de mai. En Wallonie, «la situation des points d’accès bloqués continue d’évoluer positivement», indiquait, fin avril, la ministre de l’Energie, Cécile Neven (MR), dans une réponse parlementaire. En février 2025, le nombre de points d’accès bloqués depuis plus de six mois a été ramené à 6.672, et ceux bloqués entre trois et six mois a été réduit à 2.281.
Du côté d’Ores, il reste encore «un peu moins de 8.000 cas encore bloqués dans les systèmes». Le principal GRD de Wallonie compte remplacer les compteurs de la moitié d’entre eux, dotés de nouveaux numéros EAN. «Des rendez-vous chez 2.500 clients concernés sont actuellement en cours de planification. Près de 90% de ces remplacements de compteurs auront lieu durant la première moitié du mois de juillet.» Pour les autres, Ores compte débloquer la situation au cas par cas ou par lots, de telle sorte à «résoudre une partie de ces 4.000 cas d’ici à la fin de l’année, avec un focus sur ceux bloqués dans nos systèmes depuis le plus longtemps». Pour sa part, Resa dénombre 1.600 clients encore affectés, en sachant que «le flux entrant de problèmes est de l’ordre de 300 nouveaux cas par mois. Actuellement, nous traitons prioritairement les points bloqués les plus anciens, afin de revenir à l’automne 2025 à une situation où les blocages ne dépassent plus un an.»
Des indemnités prévues
Les ménages concernés devraient être indemnisés. En mai dernier, le CEO d’Ores, Fernand Grifnée a fait part d’une solution maison sur le plateau de l’émission On n’est pas des pigeons: régulariser les factures des consommations au tarif le plus bas du marché de gros, voire au tarif social si nécessaire. En août 2023 déjà, la Cwape avait quant à elle suggéré que les GRD versent une compensation forfaitaire de 100 euros par mois aux foyers touchés. Cette proposition est restée sans suite. En avril, Cécile Neven précisait toutefois qu’elle serait «nouvellement analysée» par son cabinet.
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Enfin, dans un avis de juin 2024, Brugel avait suggéré au futur gouvernement bruxellois de modifier les ordonnances électricité et gaz en conséquence, comme le scénario d’une absence de factures ne figure pas parmi les conditions d’indemnisation. Dans l’attente de ce nouveau gouvernement, Brugel a «activé d’autres leviers pour agir», précise le GRD. En 2024, son service des litiges a statué en faveur d’un client concerné, précisant qu’il pouvait prétendre à une indemnisation indexée cette année-là à 137 euros par mois de blocage consécutif à son déménagement. Le régulateur s’est aussi doté de lignes directrices pour préciser ses compétences en matière d’amendes administratives.
Les consommateurs concernés par un problème de facture d’électricité peuvent déposer une plainte auprès de leur fournisseur, ainsi qu’au Service régional de médiation pour l’énergie (SRME) de la Cwape (en Wallonie) ou au service des litiges de Brugel (en Région bruxelloise).