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De longues files se forment dans les stations-service russes, tandis que le prix de gros de l’essence a augmenté de 54% depuis le début de l’année. © AFP via Getty Images

Crise de l’essence dans l’Etat pétrolier russe: des files interminables aux stations-service à sec

En Russie, les automobilistes patientent en colonnes serrées dans les stations-service tandis que les drones ukrainiens ont déjà neutralisé 20% des capacités de raffinage.

«Il est très difficile, sinon impossible, de gagner une guerre sans attaquer le pays de l’envahisseur», déclarait Donald Trump le 22 août dernier. Le président américain entendait sans doute expliquer pourquoi, selon lui, l’Ukraine «n’a pas les cartes» pour l’emporter. En réalité, depuis deux ans déjà, Kiev multiplie les frappes ciblées contre les raffineries et les dépôts à travers la Russie. Le mois dernier, cette offensive a franchi un nouveau palier.


Depuis début août, plus d’une douzaine d’attaques ont frappé le système pétrolier et logistique russe, sans signe de ralentissement. Les plus récentes, menées le 30 août, ont frappé des raffineries à Krasnodar et à Syzran, dans la région de Samara. Ces complexes, déjà endommagés à plusieurs reprises, alimentent les unités militaires russes, selon Robert «Madyar» Brovdi, commandant des forces ukrainiennes pour les systèmes sans pilote. L’Ukraine affirme qu’en 2025 environ 40% de ses cibles à longue portée étaient des raffineries russes. D’autres frappes ont touché des installations de stockage et de pompage.

Un million de barils par jour

Selon certaines estimations, jusqu’à 20% de la capacité de raffinage russe est désormais hors service, du moins provisoirement: une perte supérieure à un million de barils par jour, essentiellement d’essence mais aussi de diesel. Les raffineries, frappées à plusieurs reprises, présentent des dommages durables. La destruction des unités de «craquage» –qui convertissent le brut en essence, diesel et kérosène– se révèle particulièrement lourde, car ces équipements sont difficiles à remplacer sous le régime des sanctions.

«Le prix de gros de l’essence a bondi de 54% depuis le début de l’année pour atteindre un niveau record.»

Les effets se font déjà sentir: des stations-service sont à sec et de longues files d’attente se forment pour l’essence dans plusieurs régions de ce vaste pays. Le prix de gros a bondi de 54% depuis le début de l’année pour atteindre un niveau record. Les autorités ont suspendu les exportations d’essence. Cette mesure entraîne une perte de revenus qui accentue les difficultés budgétaires de la Russie: sur les sept premiers mois de 2025, le déficit s’élevait à 61,4 milliards de dollars. Dans certaines régions, l’essence est désormais rationnée.

Sergej Vakulenko, du Carnegie Russia Eurasia Centre, un groupe de réflexion, estime que les frappes d’août contre les raffineries relèvent d’une toute autre ampleur que les campagnes antérieures. Celui qui fut, jusqu’en février 2022, directeur de la stratégie du géant pétrogazier russe Gazprom Neft avant de démissionner pour protester contre l’invasion de l’Ukraine souligne que l’Ukraine dispose à présent d’un arsenal de drones bien plus nombreux, mieux guidés et capables, en essaims massifs, de saturer la défense aérienne russe.

Ces attaques, menées sur un arc de 800 km, de Riazan près de Moscou à Volgograd au sud-est, ont coïncidé avec la forte demande estivale en carburant et les récoltes. Elles pourraient peser lourdement sur le marché intérieur, estime-t-il. «Des dizaines de millions de Russes vivent à l’ouest de cet arc», précise-t-il. Des pénuries ont également été signalées aussi bien en Crimée, occupée par la Russie, qu’à Vladivostok, dans l’Extrême-orient.

«Les drones FP-1, responsables d’environ 60% des frappes en profondeur, sont désormais produits au rythme de 100 unités par jour.»

Drones kamikazes

Ce tournant s’explique sans doute par l’essor spectaculaire de la production de «drones kamikazes». Olena Kryzhanivska, spécialiste des armements ukrainiens, souligne que les drones FP-1, présentés en mai et responsables d’environ 60% des frappes en profondeur, sont désormais produits au rythme de 100 unités par jour. Ils emportent une charge explosive variant de 60 à 120 kg: avec la charge la plus légère, leur rayon d’action atteint jusqu’à 1.600 km. Bien que leur coût unitaire ne dépasse pas 55.000 dollars, les FP-1 intégreraient des logiciels sophistiqués garantissant une précision de ciblage même en conditions de guerre électronique intense. En parallèle, des drones Liutyi, plus lourds et plus coûteux, sont également engagés.

Sergej Vakulenko estime que, pour l’instant, la situation russe reste «difficile mais gérable»: une véritable crise du carburant, qui frapperait durement l’économie comme l’armée, n’apparaît pas encore imminente. Le stratège britannique Sir Lawrence Freedman avertit toutefois que la Russie aura du mal à absorber les conséquences des frappes contre ses raffineries si la campagne se maintient à ce rythme: «En soi, cela ne sera pas décisif, mais combiné à l’affaiblissement de l’économie et à des forces ukrainiennes qui ralentissent les avancées russes, cela accroîtra la pression sur Poutine

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