Crise économique
En 2017, des ouvriers de l’équipementier GM&S à La Souterraine, en France, manifestent pour leur emploi. © GETTY

Comment les victimes, oubliées, vivent les crises économiques dans leur chair

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le journaliste économique Antonio Rodriguez Castiñeira part à la rencontre des victimes de la crise de 2008. Pour les plus défavorisés, l’histoire ne cesse de se répéter.

Antonio Rodriguez Castiñeira, journaliste à l’Agence France-Presse (AFP), a couvert la crise économique des subprimes à partir de 2008. Mais dans ses analyses des décisions des dirigeants politiques et économiques, il a manqué «l’essentiel»: les conséquences pour les citoyens. Des années plus tard, des circonstances personnelles l’amènent à partir à la rencontre de ces naufragés. Il est alors emporté dans un deuxième saut temporel: en se lançant dans un road trip à travers les retombées de la crise, il refait le chemin suivi dans les années 1980 par ses parents depuis leur Galice natale jusque dans le Jura suisse pour fuir la misère de la côte de la Mort, à l’ouest de Saint-Jacques de Compostelle. En résulte un attachant récit, Les Chemins de la colère (1), que l’auteur met en parallèle avec le roman Les Raisins de la colère, de John Steinbeck, sur la Grande Dépression dans les années 1930. Est-ce à dire que les convergences avec la conjoncture actuelle pourraient mener à une déflagration comme la Seconde Guerre mondiale?

«Je fais partie de ces jeunes qui ont étudié pour devenir “esclaves”.»

Passager d’un taxi collectif qui le conduit du village de Laxe à la ville suisse de Delémont, où il est né, Antonio Rodriguez Castiñeira emmène le lecteur aux côtés des agriculteurs producteurs de lait de Galice, appauvris par les bas prix du marché; des mineurs de Villablino, en Castille-et-León, réduits au chômage en raison de la concurrence du charbon importé; aux côtés aussi des salariés de l’équipementier automobile GM&S à La Souterraine, dans le centre de la France, lâchés par les constructeurs Renault et Peugeot; et des «Gallègues», les émigrés galiciens tels qu’ils se surnomment entre eux, traqués à leur retour de Suisse par le fisc espagnol pour avoir dissimulé leur retraite perçue à l’étranger…

«Je fais partie de cette « génération sans rémunération », de ces jeunes qui vivaient chez leurs parents, qui ont étudié pour devenir « esclaves »», explique à l’auteur un jeune Galicien forcé à son tour à l’exil. De 2009 à 2017, un million d’Espagnols ont quitté le pays. En plus d’être un récit sur les paumés de la crise, Les chemins de la colère est une plongée dans les douleurs de l’expatriation, ses protagonistes devant subir la méfiance des employeurs de leur pays d’accueil comme celle de leurs concitoyens au retour sur leur terre natale. Car «de toute façon, ce sont toujours les mêmes qui émigrent». Qu’en peuvent-ils si on ne leur donne pas d’autre choix?

(1)    Les Chemins de la colère. Road trip à travers la crise économique, par Antonio Rodriguez Castiñeira, Bayard récits, 256 p.

© DR

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