Le dollar continue de dégringoler et la dette américaine de flamber. Donald Trump ne s’en fait pas. Il sait qu’il pourra faire chanter le reste du monde. Au risque de provoquer une crise.
Les deux informations ont de quoi faire peur. Un: le dollar ne cesse de baisser. Depuis le début de l’année, il a perdu 15% de sa valeur par rapport à l’euro. C’est son millésime le plus inquiétant depuis une vingtaine d’années. Deux: la dette américaine est de plus en plus abyssale et les prévisions sont effrayantes. Elle se montait à 30.700 milliards de dollars à la fin de l’année dernière. Aujourd’hui, elle s’approche de 38.000 milliards de dollars. Vertigineux. Le shutdown actuel (paralysie budgétaire et administrations fédérales fermées) est d’ailleurs dû à la situation de la dette. Les Républicains veulent relever le plafond de celle-ci. Les Démocrates exigent, en contrepartie, des compensations fiscales et la préservation de l’assurance-santé pour les plus modestes, ce que Trump refuse.
La chute du dollar n’ébranle néanmoins pas le chef de l’Etat américain. Au contraire, pour lui, c’est même une excellente nouvelle. Depuis le début de son mandat, il a une obsession: voir le billet vert perdre de sa valeur pour doper les exportations américaines. Associée à la hausse des droits de douane qui freine les importations, cette tactique vise à rétablir une balance commerciale favorable aux Etats-Unis, ce qui nourrira son mantra Make America Great Again. Mais le président Maga, pour qui les choses ne vont jamais assez vite, voudrait voir le dollar encore davantage se déprécier. Raison pour laquelle il tente de tordre le bras à la Réserve fédérale (Fed), soit la banque centrale américaine en principe indépendante de l’exécutif, qui est responsable de la politique monétaire, pour qu’elle diminue son taux directeur.
Le Républicain a déjà placé des hommes à lui au Conseil des gouverneurs de l’institution. Il a récemment tenté de dégommer la gouverneure Lisa Cook, nommée par Joe Biden. En vain. Il attend avec impatience le mois de mai prochain, lorsque l’actuel boss de la Fed, Jerome Powell, devra rendre son tablier. Il pourra alors placer à la tête du Conseil un président totalement acquis à son idée de baisser à fond les taux d’intérêt tout en faisant refinancer la dette par la Réserve via l’émission de dollars. Pour nombre d’économistes, Trump joue avec le feu. Car il veut préserver à la monnaie américaine son caractère dominant tout en abaissant sa valeur de change. Mais le dollar semble de plus en plus perdre de son importance dans le monde.
Dédollarisation et croissance de l’or
Cet été, un rapport de la banque JP Morgan a souligné la baisse du dollar dans les réserves internationales. Cette dédollarisation est liée à la demande croissante de l’or. De plus en plus de pays remplacent le billet vert par le métal jaune, vu que le premier perd de plus en plus de sa valeur. Dans les pays émergents, l’or représente aujourd’hui 9% des réserves des marchés. C’est plus de deux fois plus qu’il y a dix ans. Autre signe, la monnaie américaine perd du terrain dans le commerce international, en particulier sur les marchés des matières premières, dont le secteur de l’énergie. Toujours selon JP Morgan, actuellement moins de 30% des obligations US sont détenues par des acheteurs extérieurs aux Etats-Unis, contre 50% avant la crise financière de 2008. Et cela ne devrait pas s’améliorer si les taux diminuaient, car le rendement des obligations s’affaiblirait.
Les annonces chaotiques de nouveaux droits de douane par Trump n’ont rien arrangé. Bien au contraire. Les investisseurs se sont mis à vendre à tout-va. D’ailleurs, la Fed qui prévoyait de réduire ses taux d’intérêts progressivement cette année a fort ralenti la manœuvre, ses gouverneurs étant majoritairement inquiets de l’impact des nouveaux tarifs douaniers sur l’économie. Malgré tout, le dollar reste roi. Il domine toujours les échanges commerciaux, à hauteur de 60%. Mais que se passerait-il si la confiance des marchés se rompait sévèrement? Il y a moins d’un an, l’économiste Bruno Colmant, spécialiste de la politique monétaire et des Etats-Unis, confiait au Vif que Trump pourrait anticiper la chose en dévaluant fortement le billet vert, comme en 1971, ce qui avait causé le premier choc pétrolier. L’expert n’a pas changé d’analyse.
«Le risque d’un défaut de paiement sur la dette est toujours réel, dit-il aujourd’hui. Mais, plutôt que d’un défaut généralisé, ce sera peut-être un défaut sélectif, comme avec les droits de douane, à la tête du client. Trump fera du chantage de la même manière, en fonction des pays. Outre la sollicitation de sa propre banque centrale, il dira aux pays de l’Otan, par exemple, que, pour bénéficier de l’aide militaire américaine, leurs banques centrales devront acheter de la dette américaine. Et nous plierons, comme avec les tarifs douaniers. Nous n’aurons pas le choix. Il peut aussi menacer de mettre une couche douanière en plus, si ça ne fonctionnait pas. A un moment, il y aura un acte autoritaire de sa part, c’est inévitable.» Il a déjà utilisé la tactique avec les pays des Brics qui veulent dédollariser les échanges internationaux, en particulier l’Inde qu’il a accusé d’attaquer le dollar en lui infligeant des tarifs douaniers de 50%.
Cette stratégie a d’ailleurs été théorisée par Stephen Miran, principal inspirateur économique de Trump, qui a présidé le Conseil des conseillers économiques du gouvernement avant d’être nommé au… Conseil des gouverneurs de la Fed. «C’est une stratégie folle qui risque de nous coûter très cher, à nous Européens, avertit le Pr Colmant. Ce sera d’autant plus dramatique que les Vingt-Sept sont déjà frappés par la hausse des droits de douane. Que pourrons-nous répondre? Pas grand-chose… La Banque centrale européenne sera face à un dilemme. Devra-telle baisser à son tour ses taux pour dévaluer l’euro? Cela créera un schisme dans la zone euro, car certains craindront que cela stimule l’inflation et d’autres diront qu’on n’arrive plus à exporter. Ce sera houleux.» Quoi qu’il en soit, pour Bruno Colmant, nous ne sommes plus dans une économie de marché mais une économie politique, régalienne, où l’autorégulation des marchés n’est plus qu’une chimère.
«Nous ne sommes plus dans une économie de marché, mais une économie politique.»