Défenseurs de la culture nord-irlandaise et de la cause palestinienne, les rappeurs de Kneecap et leur DJ cagoulé ont tout fait sauter. Stupéfiant…
Des drapeaux palestiniens partout. Appels incessants à libérer Gaza. Rarement un festival aura ces dernières années été aussi clairement engagé que le Pukkelpop. La question israélienne s’est invitée dans quasiment tous les rassemblements musicaux de l’été. Mais ce week-end, elle était de quasiment tous les concerts. Pratiquement pas un live sans un Free Free Palestine ou un étendard noir blanc vert rouge qui flotte.
Annulations, déprogrammations, confiscation de visas de travail, poursuites judiciaires pour antisémitisme ou apologie du terrorisme… Les musiciens ont parfois payé cher leur dénonciation publique de l’offensive israélienne. Le 17 juillet dernier, les Britanniques de Massive Attack ont d’ailleurs annoncé la création d’un collectif visant à protéger les artistes qui s’engagent publiquement contre le génocide en Palestine.
Kneecap en connaît un rayon sur la question. Kneecap figure en première ligne. Le trio nord-irlandais a suscité le scandale aux Etats-Unis durant le festival de Coachella. Fidèle à ses positions pro-palestiniennes, il faisait entonner des Fuck Israel à la foule. «Les Palestiniens n’ont nulle part où aller. C’est là qu’ils vivent, bordel ! Et on les bombarde depuis le ciel !» Concerts supprimés, révocations des visas. L’affaire les a poursuivis jusqu’en Allemagne où ils ont également eu droit à des annulations et en Angleterre. Ouverture d’une enquête de la police anti-terroriste britannique à la clé. Rien que ça…
Accusé d’avoir sorti un drapeau du Hezbollah sur scène à Londres en novembre dernier, Liam Og O hAnnaidh (nom de scène : Mo Chara) a même eu droit à des poursuites pour apologie du terrorisme (et aux dernières nouvelles est attendu le 20 août au tribunal). «Nous ne soutenons ni le Hamas ni le Hezbollah,» précisaient-ils dans le quotidien The Guardian. «Le sujet n’est pas Kneecap, le sujet c’est Gaza et le silence intolérable des autorités face à ces crimes contre l’humanité,» venait récemment à leur défense Grian Chatten, le chanteur de Fontaines DC, qui met lui aussi constamment la tragique situation en lumière.
A la base, Kneecap défend sa culture. Celle de catholiques d’Irlande du Nord qui demandent la reconnaissance de leur langue et leur rattachement à l’Irlande. Le nom du groupe fait référence à la pratique du kneecapping (tir dans le genou). Une punition infligée par des groupes paramilitaires républicains aux personnes qu’ils considéraient comme des criminels ou des traîtres. Mais les trois piles électriques de Kneecap préfèrent la lutte rappée à la lutte armée.
«Israel commet un génocide. Il est rendu possible par le gouvernement belge qui fournit des armes à Israël et accueille des institutions européennes qui ignorent leurs propres lois.» DJ encagoulé aux couleurs du drapeau irlandais, accent à couper au couteau et message personnalisé sur écran géant. Moglai Bap, Mo Chara et DJ Provai (DJ dealer en gaélique) ont mis un fameux bordel au Pukkelpop samedi en fin d’après-midi. Après un petit quart d’heure d’échauffement, la Wave s’est transformée en champ de bataille survolté et bienveillant. Kneecap, qui pour les distraits s’est offert un biopic à la Trainspotting dans lequel les membres du groupe jouent leurs propres rôles, c’est un peu des Beastie Boys engagés d’Irlande du Nord. C’est la défense d’une culture minoritaire qui refuse d’être folklorisée. Des commentaires politiques caustiques et provocants et des odes hébétées aux stupéfiants. Oui pardon. Kneecap revendique aussi un hédonisme de tous les instants et prône la fête tête à l’envers.
56 ans après Woodstock et le combat des artistes contre cette boucherie que fut le Vietnam, la politique et les guerres ont effectué un retour remarqué dans la vie culturelle.
Kneecap a pas plus tard que la semaine dernière dû annuler son concert au festival Sziget. Le gouvernement hongrois l’ayant interdit d’entrée sur son territoire. Résistance à l’antisémitisme ou restriction de la liberté artistique? Poser la question, c’est y répondre. Viktor Orban y allait d’un commentaire tout bonnement surréaliste… «Cela dérange beaucoup de gens que nous ayons interdit l’entrée en Hongrie à un groupe de rock (sic) antisémite (sic) et glorifiant le terrorisme (sic). Il est important de préciser que la Hongrie est un îlot de liberté et de paix dans un monde en plein bouleversement. Chez nous, personne ne peut être agressé, même verbalement, en raison de son origine ou de sa religion. Les organisateurs auraient pu avoir la décence de ne pas les inviter et de ne pas mettre la Hongrie dans une telle situation.»
Sacré Vikto… Alors que Kneecap condamne ouvertement toutes les attaques qui font des victimes civiles. Le renouveau du rap dans les îles britanniques est à la fois communautaire et universel.