Diane Hennebert veut faire revivre le Pavillon chinois de Laeken

/ /

Après l’Atomium et la Villa Empain, Diane Hennebert souhaite redonner tout son lustre au Pavillon chinois de Laeken. Et elle a sa stratégie pour parvenir à ses fins.

«Quand je compare ce projet avec la Villa Empain, squattée pendant plusieurs années et où il n’y avait plus de murs à l’intérieur, ceci, c’est urgent, mais ce n’est pas du tout irrécupérable, déclare Diane Hennebert à propos de ce petit bout d’Asie érigé sur l’avenue Van Praet, à Laeken. Devant la façade de ce qu’on appelle «le Pavillon chinois», l’ancienne directrice de la Fondation pour l’architecture rappelle la cause de sa fermeture en 2013: «Ce grand balcon avec sa loggia pose des problèmes de stabilité. On avait peur qu’il s’effondre. Je pense qu’on aurait mieux fait de le réparer tout de suite et de laisser le pavillon ouvert. Parce que quand on laisse un bâtiment fermé si longtemps, il se dégrade très vite.»

Si l’extérieur de l’édifice, richement orné, est typiquement chinois, à l’intérieur, l’éclectisme est assumé: «chinoiseries» à la française, toilettes art nouveau, pièce japonaise couverte de tapisseries, deux salles siamoises… Mais aussi quelques seaux en dessous de plafonds effondrés, signes des infiltrations d’eau auxquelles il s’agit de remédier rapidement. Après avoir remis d’aplomb le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, l’Atomium et la Villa Empain, Diane Hennebert s’est choisi un nouveau cheval de bataille. Le Pavillon chinois, rebaptisé par ses soins «Palais chinois et des Pays des Routes de la soie», devrait, si tout se passe comme prévu, rouvrir ses portes au public en 2028 et accueillir des expositions et des activités autour des richesses culturelles et artistiques des pays d’Asie.

1/10

2/10

3/10

4/10

5/10

6/10

7/10

8/10

9/10

10/10

1/10

2/10

3/10

4/10

5/10

6/10

7/10

8/10

9/10

10/10

A quoi devait servir ce «Pavillon chinois» à l’origine?

Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, le baron Empain et le roi Léopold II découvrent «le Tour du monde»: une série de bâtiments emblématiques asiatiques construits sur une grande esplanade pour la Compagnie maritime française et dont l’architecte coordinateur était Alexandre Marcel. Léopold II lui commande un palais chinois et une tour japonaise pour son domaine royal. Le roi des Belges voulait en faire un restaurant très haut de gamme, pour favoriser les contacts entre des politiciens, des diplomates, des entreprises belges et asiatiques. On est en 1903 et à l’époque, la Belgique est la deuxième puissance économique du monde. On a beaucoup d’argent, on est ambitieux et on a des ingénieurs dans le monde entier qui construisent notamment les chemins de fer en Chine. D’ailleurs, le métro de Paris a été construit par les Belges et il a appartenu à la famille Empain jusqu’après la Seconde Guerre mondiale.

Il y a d’ailleurs un lien entre ce projet et celui que vous avez mené à la Villa Empain: l’architecte Alexandre Marcel.

Oui, Alexandre Marcel a beaucoup contribué à la construction d’Héliopolis (NDLR: ville créée dans le désert au nord-est du Caire à partir de 1905) pour le baron Empain. C’est lui qui a fait construire ce temple khmer au milieu de la ville et le palais d’Héliopolis, à l’époque le plus grand palace hôtel du monde et qui est devenu la résidence officielle du président égyptien. Le pavillon sera son dernier grand projet. Le roi n’a fait ici aucune économie. Le budget a doublé et ce n’était pas son problème. Ce qu’il voulait, c’était un bâtiment incroyable, et je trouve que l’objectif est atteint. 

Mais le roi Léopold II ne verra jamais son «restaurant» terminé…

Non, il meurt en 1909 et les travaux ne se terminent qu’en 1910. Entre-temps, par la Donation royale, ce bâtiment est revenu à l’Etat qui l’a confié aux Affaires étrangères. Il est alors devenu une espèce de showroom pour des produits asiatiques. Le bâtiment sera fermé pendant la Première Guerre mondiale et après la guerre, sa responsabilité passe au ministère de la Recherche scientifique qui décide de le confier aux Musées royaux d’art et d’histoire comme une sorte d’antenne d’Extrême-Orient. Après la Seconde Guerre mondiale, quand on prépare l’Expo 58, on va utiliser le «restaurant» comme «pavillon chinois», ce qui lui vaudra l’appellation qu’on utilise aujourd’hui et la croyance qu’il a été construit pour l’Expo 58. D’après moi, c’est une erreur de l’appeler le «Pavillon chinois», car il est bien plus que ça. C’est un véritable palais. 

«Beaucoup de gens croient qu’il a été construit pour l’Expo 58. Moi, je pense que c’est une erreur de l’appeler le «Pavillon chinois», car il est bien plus que ça.»

Le Pavillon chinois est fermé depuis 2013. Quelle a été pour vous l’étincelle première de ce nouveau projet de restauration?

Un soir, avec des amis, on parlait de l’état déplorable du patrimoine bruxellois. On évoquait le cas du Palais chinois et le scandale de le laisser à l’abandon. Suite à cela, j’ai rencontré les responsables de la Donation royale et de la Régie des bâtiments pour leur proposer de mener sa remise en état de l’ancien pavillon.

Pour mener ce projet, vous avez créé une asbl spécifique. Pourquoi?

Parce que le bâtiment était dans les mains de la Régie des bâtiments qui a des milliers de choses à gérer et le Palais chinois n’était pas une priorité. Avec une asbl, on a la capacité d’agir plus rapidement, on est plus flexible. Mais créer l’asbl nous a pris quatre ans. Cela a été très lent parce qu’on est dans un système où il faut convaincre toute une série de partenaires institutionnels qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs et qui ne s’entendent pas forcément bien. Ce n’est qu’en juin 2024 que l’accord politique a été donné pour la création de l’asbl. Et les documents officiels n’ont été signés qu’en janvier 2025. Avant, nous n’avions aucune légitimité. Par ailleurs, le prix à payer pour cette autonomie est l’argent nécessaire que nous devons trouver pour la restauration du Palais chinois. Personnellement, je préfère chercher des partenaires financiers que d’attendre encore des années et voir ce bâtiment continuer à se dégrader. 

Quelle somme devez-vous réunir pour la restauration?

Le bureau d’études Origin a fait l’estimation en 2024: sept millions d’euros, toutes taxes comprises. Et je pense que cette estimation est réaliste. La première chose que nous avons faite, c’est évidemment d’obtenir de demander la déduction fiscale pour les donateurs via la Fondation Roi Baudouin. Nous avons aussi sollicité l’aide de la Loterie nationale et nous avons contacté les ambassades chinoises auprès de la Belgique et de l’Union européenne. La demande faite aux ambassades chinoises est de prendre en charge, par l’envoi d’artisans chinois, toute la restauration de ce qui est spécifiquement chinois dans le bâtiment. Parce que nous ne trouverons pas facilement des ouvriers qualifiés pour le faire. Pour le reste, il y a déjà beaucoup de contacts avec des entreprises qui se montrent très intéressées.

Et la Chine est partante?

On sait que la Chine souhaite se rapprocher de l’Europe. Le faire à travers la culture, c’est le faire en terrain neutre. Mais il n’est pas question de n’envisager que des aides étrangères pour un édifice qui appartient à la Donation royale et reste propriété de l’Etat. C’est d’ailleurs la reine Mathilde qui patronne directement le projet et elle est très enthousiaste. Je pense que c’est important que la Chine collabore, mais en veillant à un réel équilibre. 

Et du côté des entreprises?

Il y a beaucoup d’intentions, beaucoup d’intérêt. Mais je pense que pour mettre ce projet concrètement en œuvre, il faut que la situation économique internationale se stabilise, que cessent les désordres et incertitudes actuels. Nous sollicitons des grandes entreprises qui ont des intérêts en Asie. Pour le moment, tout le monde est secoué par les changements de décisions concernant les taxes. Comment avoir une vision à long terme dans une telle instabilité? S’ajoutent à cela des conflits armés et des budgets d’Etat qui, après le Covid, sont épuisés. Donc, on tombe mal. Mais avec le patrimoine, non considéré comme une priorité, on tombe toujours mal. Quand on a commencé la restauration de la Villa Empain en 2008, en pleine crise financière, Jean Boghossian était traumatisé. Il m’a demandé: «Qu’est-ce qu’on fait?» J’ai répondu: «On continue!» Préserver le patrimoine, c’est défendre le principe de la robustesse. Et la robustesse traverse les crises. On a beaucoup mis l’accent sur le progrès depuis le début du XXe siècle, mais le progrès implique une vision très linéaire du temps, où l’avenir promet toujours d’être mieux que le passé. On a détruit Bruxelles au nom du progrès. Aujourd’hui, on doute de cet avenir radieux. Je pense que le soin et la robustesse sont les grandes valeurs qui doivent désormais remplacer la notion de progrès comme valeurs dominantes

Quand on observe votre parcours, il y a un côté très altruiste. Vous remettez les choses en état et puis, vous partez…

On pourrait dire que je suis une pondeuse, pas une éleveuse. Dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine, il y a une règle pour que ça fonctionne: il faut donner une affectation dès le départ et il faut des délais –et s’y tenir! Je pense que si ce projet réussit, ce sera un très bon exemple de collaboration entre les secteurs privé et public. Et je ne vois pas pourquoi ça raterait parce que ce palais est un joyau qui mérite de vivre avec éclat. 

Estelle Spoto

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire