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Yves Leterme a bien mérité de la patrie

Premier ministre sans âme d’un gouvernement sans vision d’une Belgique sans avenir, Yves Leterme s’en va voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Vu les circonstances, le pari n’est guère audacieux, le geste pas très courageux. Bien dans le personnage.

Secrétaire général adjoint à l’OCDE : ça en jette. Le genre de poste bien payé qui ne se refuse pas, évidemment. Forcément : Premier ministre de Belgique par les temps qui courent, c’est plus vraiment un métier. Il y a plus exaltant que de diriger un gouvernement condamné à végéter en affaires courantes en attendant une hypothétique relève. Leterme met ainsi son parcours politique belge entre parenthèses pour décrocher une haute fonction dans un organisme international. Respect. Surtout que l’instant choisi pour annoncer qu’il réoriente sa carrière tombe à pic. Alors que le pays est en pleine crise existentielle, au bord du chaos politique, en proie à un énième blocage de négociations qui pourrait cette fois être fatal. Avec un gouvernement en veilleuse qui sera peut-être contraint de se chercher un nouveau patron ad interim. Bref, une belle inconnue de plus ainsi balancée dans le brouillard politique du moment. Idéal pour rassurer marchés financiers et agences de notation à l’affût du moindre mauvais signal pour prendre la Belgique dans leur collimateur et plomber notre situation budgétaire. Proficiat, mijnheer Leterme.

Il est comme cela, Yves Leterme. Il a toujours eu le nez fin pour rendre son tablier quand on ne s’y attend pas. Avec ce talent de tirer son épingle du jeu en plongeant tout son monde dans l’embarras. Que du bonheur, son passage en politique belge. Quelques hauts faits d’armes : cette idée géniale d’enfanter le cartel CD&V-N-VA et de mettre ainsi le pied à l’étrier à Bart De Wever et aux nationalistes flamands. Cette intuition, en 2007, de pouvoir scinder BHV en cinq minutes de courage politique. Cette certitude de pouvoir placer très haut la barre des revendications de la Flandre et de forcer ces francophones bornés à goûter aux vertus de sa « goed bestuur. » A l’actif encore de « Monsieur 800.000 voix »: la gestion de la formation avortée de l’ « orange bleue » et l’impasse politique majeure qui nous poursuit encore. Ce pays ne peut que se féliciter d’un tel bilan.

Certains n’ont pourtant pas ménagé leur peine pour remettre en selle Yves Leterme à chacun de ses déboires en tant que formateur ou Premier ministre. Au sein de son parti, le CD&V, ils ont bien mouillé leur chemise : fin 2008, Herman Van Rompuy y est allé pour combler la brutale défaillance au 16 rue de la Loi de Leterme, pris au piège de l’affaire Fortis. Au printemps 2010, il a fallu que Jean-Luc Dehaene reprenne brièvement du service pour préserver Leterme et l’empêcher de se mêler encore du dossier communautaire. Et puis, c’est la stoïque présidente de parti, Marianne Thyssen, qui est allée au casse-pipe pour tenter en vain de sauver les meubles au CD&V et encaisser la dégelée lors du scrutin de juin 2010.

Yves Leterme, lui, se repliait sur ses terres de Flandre occidentale pour faire le plein de voix. Y a pas à dire, il est gâté, le CD&V : après le retrait annoncé d’Inge Vervotte, c’est une seconde locomotive électorale qui se barre d’un parti déjà si mal en point. Il n’y a pas que le pays qui pleurera le départ de Leterme. Le CD&V aussi.

Cette année de crise politique n’a pas été perdue pour lui. Le toujours Premier ministre en affaires courantes a eu le temps de se refaire une santé, de redorer son blason de gestionnaire reconnu, d’enjoliver son CV, de se refaire une réputation médiatique et de faire oublier ses gaffes. Que les autres pataugent dans le bourbier communautaire : lui, il avait assez donné. Les temps étaient donc mûrs pour boucler ses valises. Seules les mauvaises langues y verront un très vilain abandon de poste.

On peut d’ailleurs toujours rêver : et si le moment choisi pour faire cette surprise n’avait d’autre but que de créer un momentum salutaire autour de la table des négociations? Comme une sorte d’apparent coup dur, capable de ramener un CD&V paniqué à de meilleurs sentiments, de déclencher chez le formateur Di Rupo et les négociateurs au bord de la rupture l’ultime sursaut. Yves Leterme, a toujours été prêt à faire de son mieux pour servir son pays : c’est bien connu.

Pierre Havaux

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