La petite commune de Wasseiges connaît une évolution du taux de naissance de plus de 55% par rapport aux années 1990. C’est le symbole d’une Wallonie qui a basculé, et d’une région qui demeure un dernier refuge pour la classe moyenne.
Une nouvelle forêt va-t-elle bientôt voir le jour en Wallonie? «A Wasseiges, on organise la journée des naissances le même jour que la journée de l’arbre», expose le bourgmestre Thomas Courtois (Union communale, orientation MR). Coup de bol, ou pas, la petite bourgade d’à peine plus de 3.000 habitants coincée entre les provinces de Namur, du Brabant Wallon, mais en province de Liège, présente un taux de natalité 55% plus élevé qu’il y a 30 ans. Un record national (si l’on exclut Ganshoren).
Wasseiges, loin de tout et de rien à la fois. Elle émerge comme un îlot au milieu des plaines hesbignonnes et de leurs champs de racines, son sol transformé en gruyère suite aux veines de marne que l’on y taillait jadis et dont on a perdu le cadastre. Namur est à 30 minutes, Liège à 50, Bruxelles à une heure. La gare la plus proche se trouve en Flandre, à Landen. Peu importe, apparemment, pour les Wasseigeois et Wasseigeoises. «Fin juin, on recensait déjà 23 naissances en 2025, sourit l’échevine de la Petite enfance, Nadine Leheureux-Marique (UC). On risque de dépasser notre record de naissances de 2021 qui est de 41 nouveaux-nés. En 1994, il n’y en a eu que douze.»
Réveil démographique
Pourquoi ce baby-boom wasseigeois? Pourquoi là-bas plus qu’ailleurs? La réponse n’est écrite nulle part, elle se devine au fil des évolutions du territoire communal. En 30 ans, la commune a perdu une trentaine d’exploitations agricoles. Les mauvaises langues susurrent que les fermiers ont laissé place aux jeunes cadres citadins en quête de verdure et de calme. Elles n’ont que partiellement raison, car le Wasseigeois ne s’exporte pas trop, paraît-il. «Il y a beaucoup de jeunes ménages, et souvent ce sont des jeunes qui ont grandi à Wasseiges et qui souhaitent y rester», se vante le bourgmestre. Puis la commune hérite de ceux qui n’ont pas su rester dans celles voisines, implantées dans les provinces de Namur ou du Brabant Wallon, systématiquement plus chères. «C’est un peu la commune la plus brabançonne de la Hesbaye liégeoise», s’amuse le notaire régional, Renaud Grégoire.
«Wasseiges a beau être éloignée des autoroutes, elle bénéficie de la périurbanisation de Bruxelles, pointe le chercheur démographe de l’Iweps (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique), Marc Debuisson. La croissance de la population se justifie par des ménages qui quittent la ville pour des maisons quatre façades. Et la croissance de la natalité est plus que probablement liée à la structure par âge de la commune.»
Pour la commune également, c’est une question d’équilibre. La crèche communale ouverte en 2011 compte 36 places, mais elle devrait théoriquement connaître son deuxième agrandissement. «On projette d’y rajouter quatorze places, on attend la plan de la Région Wallonne pour un agrandissement. Mais une crèche, ça coûte 1.500 euros par an et par enfant. A Wasseiges, on ne fait jamais rien sans subside, mais ceux de la région diminuent la priorité données aux enfants de la commune», constate le bourgmestre. L’investissement est pourtant nécessaire au regard de la disparition, en une quinzaine d’années, de la poignée d’accueillantes à domicile, faute de rentabilité et de normes trop sévères, juge l’échevine de la Petite enfance. «Il y a pourtant des grands-mères qui ne demandent que ça, mais elles ne peuvent que venir aider l’école maternelle sur le temps de midi.»
«On a parfois eu peur pour les finances communales. Mais finalement, à chaque maison vendue, c’est un couple qui est venu s’installer.»
Et pour les enfants plus âgés, le bourgmestre profite de l’opération «cœur de village» multifonctionnel, «ce sera un lieu de rencontre pour les jeunes», qui coûtera tout de même un million d’euros, dont la moitié de subsides. Une sacrée part pour un budget communal ordinaire de quatre millions d’euros annuels. «La population a beaucoup changé, admet Thomas Courtois. On a parfois eu peur pour les finances communales car les nombreux indépendants (NDLR: principalement du secteur agricole) étaient vieillissants. Mais finalement, à chaque maison vendue, c’est un couple qui est venu s’installer.» Et donc des impôts plus conséquents.

Les revenus des Wasseigeois sont cependant nettement moins élevés que ceux des communes limitrophes, parfois de 2.500 euros annuels, mais les maisons quatre façades y sont pourtant le type de bien immobilier le plus vendu, «et on vend systématiquement avec un terrain de neuf à dix ares», complète le bourgmestre. «Les maisons grandissent dans la commune depuis les années 1990, affirme le notaire Grégoire. Tous ces nouveaux arrivants font donc des petits, comme on dit. On parle de familles avec du pouvoir d’achat, en âge d’avoir des enfants. Et ceux qui font construire des maisons font également baisser la moyenne d’âge.»
Le retour des héritiers ?
Peu avant le Covid, Zoé et Yassine ont déboursé 180.000 euros pour s’offrir une charmante maison entourée d’un beau jardin, en bordure du village, qu’ils ont rénovée. C’est là que Nour, 4 ans, et Ella, 1 mois, sont nées. Elle travaille à Louvain-la-Neuve, lui à Bruxelles, le foyer a donc besoin de deux voitures, comme tous dans la commune. «Dans le coin, il n’y a pas un endroit dans lequel je me vois travailler. Je suis psy en pédiatrie, si je veux bosser en hôpital, ça pourrait être un argument pour un éventuel départ. Dans le scénario où l’on déménagerait, je ne pense tout de même pas que l’on revendrait la maison. Cela reste un héritage à transmettre.»
«Il risque d’y avoir un contre-coup, dans dix à 20 ans. Il faudra voir si les jeunes pourront racheter les maisons construites depuis les années 1990, ça va être tendu.»
Voilà le défi pour Wasseiges, et les autres communes rurales où la situation paraît idyllique aujourd’hui. «Il risque d’y avoir un contre-coup, dans dix à 20 ans, il faudra voir si les jeunes pourront racheter les maisons construites depuis les années 1990, ça va être tendu, sauf si leurs grands parents sont agriculteurs dans la commune, ajoute Renaud Grégoire. Aujourd’hui, ceux qui ont un terrain à Wasseiges seront ceux qui pourront y rester plus tard.» Mais l’expansion est déjà en marche, à l’image des 135 maisons construites depuis sur les 30 dernières années. Depuis 1990, la superficie du bâti a doublé dans la commune.