Les tabous en matière de migration, de fiscalité ou d’action climatique persistent. La volonté de la population belge d’y mettre fin prend de l’ampleur, comme le révèle le sondage 2025 CNCD-Le Vif.
La taxe des riches, et même des superriches, reste un sacré tabou pour nombre de partis politiques, du moins ceux de l’Arizona, à l’exception de Vooruit. Tabou également, la question de la régularisation des sans-papiers, même sous conditions. La défense de l’environnement et du climat, elle, ne l’est sans doute pas encore, mais elle semble le devenir de plus en plus au vu des multiples reculs par rapport aux engagements pris tant à l’échelon national qu’à l’international. Pourtant, sur tous ces thèmes essentiels, les 1.518 Belges interrogés dans le cadre du sondage annuel CNCD-Le Vif sont, parfois très majoritairement, opposés aux politiques menées depuis des années. En ce compris les électeurs qui ont voté pour les partis de l’actuelle coalition fédérale. Pour Jean Faniel, le directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), qui a décrypté le sondage, «on est très loin du vox populi vox dei». Et même de plus en plus.
Alors que la taxe sur les plus hauts patrimoines fait toujours polémique en France, au point de menacer la survie du gouvernement Lecornu 2, le sujet est à peine abordé chez nous. Vooruit a bien avancé une proposition début octobre, mais on n’en parle déjà plus. Les autres partis de l’Arizona sont toujours opposés à un tel impôt, y compris Les Engagés. Or, selon ce sondage, une très grande majorité de la population (81%) soutient l’idée de taxer les grandes fortunes à partir d’un million d’euros. C’est 7% de plus que l’an dernier. Plus surprenant: les électeurs du MR aux dernières élections plébiscitent cette taxe à hauteur de 80% (contre 67% lors du sondage de 2024) et ceux des Engagés à 87% (contre 81% en 2024). Une tendance à la hausse s’observe aussi au CD&V (88%) et à Vooruit (89%). Notons en outre que ceux opposés à cette taxe sont les plus nombreux au MR (14%), mais en recul comparé à l’an dernier (19%).
On constate une même augmentation d’avis favorables à d’autres formes de taxation des riches, que ce soit la taxe Zucman de 2% sur le patrimoine des milliardaires (82% des Belges, 87% de l’électorat du MR, 88% de celui des Engagés), discutée au sein du G20, ou un impôt européen sur les grands patrimoines (80% des Belges, contre 70% en 2024). «Il faut aussi souligner une forte adhésion de l’électorat du MR et des Engagés à la justice fiscale, consistant à réduire l’impôt sur les revenus du travail et à augmenter celui des revenus du capital, surtout les plus hauts», note Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD. Peut-on voir dans tout cela une influence du débat français sur la taxe Zucman? «Pas forcément, analyse Jean Faniel. Cette fiscalité est largement défendue depuis des années. Dans le sondage de 2023, 80% des Belges, déjà, soutenaient la taxe des millionnaires. Ce n’est donc pas une réelle nouveauté.»
«On est très loin du vox populi vox dei.»

Régularisation bénéfique
Sur le thème de l’asile et de la migration, le sondage CNCD-Le Vif révèle des évolutions étonnantes. A la question sur la régularisation et l’octroi d’un permis de travail aux sans-papiers résidant depuis au moins cinq ans en Belgique, une majorité de Belges (55%) répondent «oui». C’est un rien de plus qu’en 2024. «Surtout, cette année, on atteint, voire on dépasse, les 50% des sondés flamands, mentionne le patron du Crisp. Le discours sur le besoin de main-d’œuvre, notamment très porteur chez les employeurs y compris flamands, fait son chemin.» Même chez les électeurs de la N-VA, les avis favorables sont proches des 50%. Et 35% au Vlaams Belang, soit plus d’un tiers, bien que les avis défavorables y restent plus importants (44%). «Malgré le tabou politique persistant, la régularisation des sans-papiers est de plus en plus perçue comme une solution pragmatique et bénéfique par une majorité de la population», signale Arnaud Zacharie.
Pour le reste, même si l’opposition à l’enfermement des mineurs étrangers s’émousse, on remarque que l’opinion publique approuve majoritairement des solutions migratoires fondées sur les droits humains: 53% estiment que la politique migratoire doit respecter inconditionnellement les droits humains (46% en 2024), 71% souhaitent une répartition équitable des demandeurs d’asile entre Etats membres de l’UE (63% en 2024), 61% sont pour des voies de migration sûres et légales (52% en 2024). «Ce consensus contraste avec les limites du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile qui n’introduit qu’une « solidarité flexible » entre Etats», illustre le responsable du CNCD. Par ailleurs, relevons que deux tiers (62%) des Belges souscrivent à la mise en place de visites domiciliaires policières sans le consentement des résidents pour s’assurer que ceux-ci ne sont pas en séjour irrégulier. Ce sont surtout les électeurs du MR (80%) et de la N-VA (81%) qui tirent ces avis favorables vers le haut.
La générosité diminue pour l’aide au développement.
Hiatus climat
En matière de climat et de transition énergétique, l’opinion continue d’appeler les politiques à davantage d’ambition, alors que la place prise par ces questions dans le débat public, national et européen, a fortement diminué et que Bart De Wever a décidé de ne pas se rendre à la COP30 au Brésil… On relève, ici aussi, un hiatus marqué entre la plupart des électeurs et l’agenda politique. De plus en plus de Belges se prononcent pour l’économie circulaire (80%, contre 72% en 2024), l’isolation énergétique des bâtiments (75%, contre 68%), le développement des énergies renouvelables (72%, contre 67%), pour la taxe carbone aux frontières (71%, contre 60%) ou encore la réduction de 55% des émissions de CO2 d’ici à 2030 (65%, contre 60%).
Le Pacte vert européen est cependant moins ovationné chez les jeunes et davantage chez les plus âgés. Par ailleurs, on observe un recul chez les Bruxellois mais une hausse chez les Flamands, en particulier chez les électeurs de la N-VA. Mais il y a surtout une exception notoire au soutien globalement persistant des mesures écologiques: l’électrification du parc automobile. Là, ça ne passe toujours pas auprès de 48% des Belges. Seuls 27% adhèrent au changement. «Cela reflète ce qui se dit au niveau politique, commente Jean Faniel. D’abord perçu comme prometteur et passage obligé, on en est revenu, parce que c’est cher et que cela pose des questions d’approvisionnement du réseau électrique, en renvoyant à la question du nucléaire. Même auprès de l’électorat MR et des Engagés, a priori plus à l’aise financièrement, la mesure n’a pas de succès (18% et 21%), moins même qu’au PS et au PTB (26% pour les deux).»
En revanche, côté climat, les Belges se montrent moins généreux quant au financement international d’actions permettant aux pays du Sud de s’en sortir face à la menace grandissante du dérèglement. La part qui soutient un financement plus important passe de 47% à 39% en un an. Cela diminue le plus chez ceux qui plébiscitent le MR, Les Engagés, le CD&V et, étonnamment, Groen. Idem pour le mécanisme d’indemnisation des victimes de dégâts dus au dérèglement, réclamés par les pays du Sud: les avis favorables passent de 43% à 34%, les chutes les plus brutales (de 23% chez les électeurs libéraux francophones!) s’enregistrant chez les proches des mêmes partis. La générosité diminue également pour l’aide au développement: 44% des Belges pensent qu’il faudrait l’augmenter contre 50% en 2024. Quant à la réduction d’un quart du budget belge de l’aide au développement décidée par l’Arizona, 37% l’approuvent (en particulier côté MR, Vlaams Belang et N-VA) et 28% la désapprouvent (surtout chez les supporters du PS, Groen et Les Engagés).
Ecolos militaristes
En ce qui concerne la défense, 45% des Belges sont d’accord pour l’augmentation des dépenses militaires, à raison de 5% du PIB, dans le cadre de l’engagement de l’Otan, et 29% s’y opposent. Excepté Vooruit, les électeurs de l’Arizona sont le plus en faveur de cette montée en puissance. Mais c’est Ecolo qui tient le haut du pavé avec 61% de soutien. Surprenant, pour ce parti historiquement pacifiste? «Oui, mais il faut se souvenir qu’au moment de l’invasion russe en Ukraine, Ecolo n’a pas hésité 24 heures à soutenir Kiev et a directement accepté que le gouvernement Vivaldi fournisse des armes à Zelensky, rappelle Jean Faniel. Les sondés de 2025 qui disent avoir voté Ecolo en 2024 sont le noyau dur de l’électorat des verts. Ils suivent visiblement la ligne du parti.» Cela dit, une grande majorité –près de 70%– de la population ne veut pas que le financement de cette augmentation se fasse au détriment de la sécurité sociale et de la santé, comme certains responsables européens l’ont proposé.
Ce sondage s’est aussi intéressé à la situation au Proche-Orient. Interrogés entre le 2 et le 21 octobre, soit pendant les négociations du plan de paix de Donald Trump à Gaza, une large majorité de la population belge (84%, soit 11% de plus qu’en 2024) s’est prononcée pour un cessez-le-feu immédiat et définitif. Davantage de Belges (62%, contre 54% en 2024) considèrent que la Belgique et l’UE devraient prendre plus de mesures pour mettre fin à l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Quant à la décision du gouvernement De Wever de reconnaître l’Etat palestinien sous conditions (dont le désarmement du Hamas), 44% des sondés estiment que c’est un bon compromis, 24% qu’il faut le faire immédiatement et 10% le contraire. C’est au sein des partis de l’Arizona et d’Ecolo qu’on trouve le plus d’avis favorables au compromis.
De manière transversale, et puisque le sondage reprend désormais les préférences politiques des personnes interrogées, on constate aussi des signes distinctifs par électorat. «A droite, celui du Vlaams Belang est clairement Schtroumpf grognon, commente Jean Faniel. Il est aussi le plus dur dans le rapport à l’environnement et au climat ou à l’aide au développement. Les électeurs de la N-VA sont fortement marqués à droite pour bon nombre de thématiques, mais un peu moins que ceux du Belang, notamment sur la migration. L’électorat du MR est parfois proche de celui du Vlaams Belang, entre autres sur Israël, les droits humains, la réduction des inégalités au niveau international ou les actions personnelles en faveur du climat. Surtout, un axe N-VA/MR se dégage clairement sur plusieurs points, comme la baisse du budget de l’aide au développement, et qui révèle alors des électeurs CD&V, Les Engagés et Vooruit un peu mal à l’aise par rapport à des questions reflétant des décisions de l’Arizona.»
Les Engagés, par exemple, se montrent, bien plus concernés que les libéraux par les questions environnementales et de migration. A gauche, les électeurs du PS ne se distinguent pas souvent de manière marquée. «Ils sont généralement dans la moyenne, là où on les attend, décrypte le directeur du Crisp. Sauf sur les taxes sur le grand patrimoine ou les plus-values, où leur soutien est modéré. Cela semble signifier qu’à leurs yeux, ce qui est proposé n’est pas suffisant.» Enfin, les Ecolos apparaissent bien moins progressistes qu’attendu, du moins comparé à Groen, sauf sur l’environnement et la migration.