
Le deuil animalier, cette douleur encore incomprise: «Cela s’apparente à la perte d’un être humain»
Perdre un animal de compagnie est une épreuve souvent minimisée. Pourtant, le deuil qu’elle provoque peut être aussi profond que celui d’un proche humain. Entre culpabilité, rituels intimes et manque de reconnaissance sociale, les endeuillés traversent une souffrance réelle, encore trop peu prise en compte.
«Mon chien représentait tout pour moi. Sur le plan émotionnel, il était mon compagnon de la fin de l’adolescence et du début de l’âge adulte. Je le considérais comme un ami très proche, indispensable, et je le présentais ainsi à mon entourage», confie Maria Paula Barbosa, 27 ans, avocate originaire de Bogota. Pendant dix ans, elle a partagé son quotidien avec son chien Mathy, un lien profond qui témoigne de la force des relations que l’on peut tisser avec un animal.
Les animaux de compagnie occupent une place précieuse dans de nombreux foyers. Source de réconfort, de sécurité et d’affection, ils s’intègrent pleinement à la sphère familiale. Mais leur espérance de vie, bien plus courte que celle des humains, confronte leurs maîtres à une perte souvent bouleversante. «Ce qui surprend, c’est à quel point les manifestations du deuil animal s’apparentent à celles que l’on observe après la perte d’un être humain. On y retrouve les mêmes étapes, les mêmes élans émotionnels», affirme Nadège Depessemier, psychologue spécialisée dans le deuil animalier. «J’ai vécu la mort de ma chienne comme la perte d’un véritable membre de ma famille. Dans les jours qui ont suivi son décès, j’étais incapable de reprendre mes activités: j’étais profondément bouleversée», raconte Inès Geerinckx, 22 ans, étudiante originaire de la région bruxelloise.
L’épreuve de l’euthanasie
Dans 80% des cas, la fin de vie d’un animal passe par une euthanasie. Une décision souvent empreinte de doute: les propriétaires se demandent s’ils ont fait le bon choix. «Beaucoup de propriétaires se disent qu’ils vont encore attendre un peu. Pourtant, l’animal montre déjà des signes clairs de souffrance. Il ne va plus bien. Mais il faut aussi du temps, pour la personne, pour prendre conscience que le moment est venu», explique la psychologue. «Durant sa dernière année, son état s’était fortement dégradé, mais les souvenirs partagés rendaient son départ d’autant plus douloureux», confie Inès, dont le lien affectif remontait à l’enfance. «Nous nous étions toujours promis de ne pas simplement le maintenir en vie pour nous-mêmes. S’il devait vivre, c’était à condition qu’il puisse conserver une certaine dignité, une vraie qualité de vie. Pendant plusieurs mois, nous avons suivi l’évolution de son cancer. Et puis un jour, ma mère m’a appelé: “Je crois que le moment est venu, il faut prendre une décision”», raconte Maria Paula.
Après la perte d’un être cher, le processus de deuil débute généralement par un choc, suivi d’une phase de déni. Ce mécanisme psychique agit comme un rempart face à une réalité trop brutale pour être affrontée immédiatement. Il permet à la personne endeuillée de se protéger temporairement, le temps d’intégrer peu à peu la situation. Viennent ensuite, de manière variable selon chacun, la colère, le marchandage, une profonde tristesse, puis, avec le temps, l’acceptation.
Une situation que les membres d’une même famille ne traversent pas nécessairement au même rythme. «J’explique à mes patients que les différentes phases du deuil ne surviennent pas simultanément pour tout le monde. Cela peut engendrer des incompréhensions: l’un exprimera de la tristesse quand l’autre manifestera de la colère», souligne Nadège Depessemier.
Un chagrin légitime, mais ignoré
L’instauration d’un rituel peut aider à traverser la perte. Il n’existe pas de forme unique pour ces gestes, qui varient en fonction des liens tissés avec l’animal et des besoins de chacun. Les professionnels insistent néanmoins sur l’importance de symboliser la séparation pour faciliter le travail de deuil. «Je n’étais pas certaine de l’importance des rituels liés à la mort. Mais le fait d’avoir construit une tombe, d’avoir organisé une petite cérémonie, aussi improvisée fut-elle, a compté. Ce rituel a vraiment permis de marquer la séparation», confie Maria Paula.
Mais si ces gestes personnels aident à faire le deuil de son animal, les endeuillés se heurtent souvent à un manque de reconnaissance sociale. Contrairement à la perte d’un proche humain, la mort d’un animal reste marginalisée, ce qui rend le processus de deuil plus solitaire et parfois incompris. «Il faudrait faire évoluer cette perception: la douleur liée à la perte d’un animal est légitime. On a le droit de l’exprimer pleinement, voire de mettre sa vie entre parenthèses un temps», explique Nadège Depessemier.
Plusieurs professionnels plaident pour une reconnaissance institutionnelle du deuil animalier, notamment dans le monde du travail. La création d’un congé spécifique, à l’image de celui prévu en cas de décès d’un proche, permettrait de légitimer la douleur vécue par ceux qui perdent leur animal.
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