Exclusion des chômeurs
Brussels Social help | Centre public d'aide sociale Bruxelles 18/09/2025 © BELGA

Exclusion des chômeurs: pourquoi les CPAS n’arriveront jamais à embaucher les 2.000 personnes nécessaires

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’exclusion des chômeurs, au-delà des implications financières pour les CPAS, représente un gigantesque défi en termes de ressources humaines. Les CPAS wallons auraient besoin de 1.500 travailleurs pour y faire face. Pour ceux de la Région bruxelloise, c’est 550.

L’exclusion des chômeurs, à partir du 1er janvier 2026 et en vertu de la réforme des allocations de chômage adoptée par la majorité Arizona, devrait avoir d’importantes conséquences sur les CPAS. En cascade, puisqu’elles sont tenues d’équilibrer les budgets de leurs structures paracommunales, les villes et communes devraient elles aussi trinquer, mais dans des proportions diverses.

Diverses estimations des coûts à charge des CPAS wallons, bruxellois et/ou flamands ont déjà été publiées. Elles sont plutôt globalisantes, puisqu’il s’avère encore difficile d’estimer avec précision quelles seront les conséquences à chaque échelon local.

La banque Belfius, dans le cadre de son analyse annuelle sur l’état des finances locales, avait estimé en juin qu’il en coûterait –sans tenir compte des aides du fédéral– 190 millions d’euros aux pouvoirs locaux wallons.

La Fédération wallonne des CPAS, elle, estimait en juillet qu’il en coûterait –en tenant compte des aides annoncées par le fédéral, cette fois– 438 millions supplémentaires aux CPAS de l’ensemble du pays, pour l’ensemble de la législature: seize millions en 2026, qui grimperaient jusqu’à 172 millions en 2029. Et ceci, dans un scénario optimiste.

L’administration wallonne, au début de ce mois de septembre, a, à son tour, fourni une estimation: entre 380 et 441 millions d’euros de dépense nette pour les seuls CPAS wallons, sur l’ensemble de la période 2026-2030.

En définitive, beaucoup de choses ont déjà été exprimées sur l’impact de la réforme pour les CPAS, sur le plan des finances communales notamment. Une compensation de 300 millions d’euros a bien été prévue par le fédéral dès 2026, appelée à évoluer dans le temps. Elle est jugée comme probablement insuffisante selon les estimations des fédérations de CPAS et, accessoirement, elle n’est pas censée couvrir le surcroît de frais de fonctionnement ni les aides sociales complémentaires. «La compensation ne porte que sur le revenu d’intégration sociale (RIS). Mais il faut s’attendre à une augmentation importante des aides complémentaires. On estime qu’elles se chiffreront à 357 millions pour nos CPAS sur l’ensemble de la législature», indique Sandrine Xhauflaire, conseillère à la Fédération des CPAS de Wallonie.

En attendant, c’est également à un autre casse-tête que sont confrontés nombre de CPAS: celui du recrutement du personnel nécessaire pour absorber tout un nouveau public. Et dont on a un peu moins parlé. «En principe, il faut rappeler que la réforme du chômage ne devrait pas automatiquement renvoyer les gens vers le CPAS. Le lien n’est pas direct. Mais en effet, à partir du moment où des personnes n’auront plus aucun revenu, elles se tourneront vers les CPAS. Nous estimons qu’environ 60% des exclus du chômage le feront», indique Georgy Manalis, le directeur de la Fédération des CPAS bruxellois. Il en découle d’importants besoins en renfort de personnel, en théorie du moins. Plus d’un président de CPAS s’arrache les cheveux à ce sujet.

Les calculs de la Fédération des CPAS

En Région bruxelloise, la Fédération a dégainé la calculatrice. Elle table sur un transfert potentiel de 24.465 personnes vers les CPAS. Partant du principe qu’il faut recruter un équivalent temps plein (ETP) pour 80 dossiers, elle évalue à 306 le nombre d’agents supplémentaires nécessaires pour les 19 communes, l’an prochain. A cela s’ajoutent 245 agents administratifs (un ETP pour 100 dossiers).

Ces besoins placent les CPAS dans une situation de concurrence, d’autant plus rude qu’assistant social figure sur la liste des métiers en pénurie des trois services régionaux de l’emploi. Et puis, «franchement, vu les conditions salariales et la nature du travail qui les attendent, ce n’est pas nécessairement vers les CPAS qu’accourent les candidats assistants sociaux», laisse-t-on entendre.

«Soyons directs: l’impact pour les CPAS bruxellois sera plus important qu’ailleurs, assure Sébastien Lepoivre (PS), président de la fédération. On représente un onzième de la population mais un quart des exclus du chômage en 2026. Par ailleurs, dans les communes de plus de 20.000 habitants, le nombre d’exclus se calcule souvent en centaines. En Wallonie, c’est 10% des communes, en Flandre c’est 20%. A Bruxelles? 100%.»

Au niveau des recrutements, donc, «on est en train d’adapter nos cadres, on négocie avec les communes et les syndicats. Mais bon, il sera déjà trop tard pour dénicher les profils existants. Sans oublier qu’il faudra encore les former et leur fournir les outils. Les gens ne sont pas prêts immédiatement», ajoute Sébastien Lepoivre.

1.500 emplois pour l’exclusion des chômeurs en Wallonie

Du côté wallon, la fédération émet également de vives craintes. «Un cadastre des besoins des CPAS avait été réalisé avant l’annonce de la réforme», rappelle Sandrine Xhauflaire. Quelque 800 ETP manquent par rapport aux besoins.

S’y est ajoutée la crainte plus récente de perdre environ 500 emplois, en raison de la disparition de plusieurs subsides et de coupes budgétaires. Il s’agit par exemple de 218 emplois menacés par la disparition d’un renfort de personnel arrivé en période de pandémie, communément appelés «emplois Collignon», du nom du ministre des Pouvoirs locaux de l’époque. «Il y a aussi un fonds fédéral qui permettait de lutter contre la pauvreté infantile: on perd cette enveloppe aussi. Bref, on peut y ajouter quelques autres subventions et ça fait des centaines d’emplois au total

A cela viennent encore se greffer, selon les estimations, environ 1.500 ETP dus à la réforme des allocations de chômage (824 travailleurs sociaux et 659 travailleurs administratifs). Indirectement, une partie de ces emplois théoriques pourrait être subsidiée, «mais environ 700 restent non couverts». Autant l’écrire d’emblée: il n’y a aucune chance que les besoins en termes d’emploi soient rencontrés, tant en raison de la tension sur le marché de l’emploi que du manque de moyens financiers à disposition des pouvoirs locaux.

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