En Wallonie, le programme SINE, qui soutient l’embauche de chômeurs de longue durée dans l’économie sociale, se retrouve dans la ligne de mire de la réforme des aides à l’emploi et de la lutte contre le «double subventionnement» dans les titres-services. Le gouvernement wallon vise six millions d’euros d’économies, tandis que la Fédération InitiativES alerte sur un risque pour environ 3.500 emplois.
Le gouvernement wallon s’apprête à réformer, au 1er janvier 2026, le dispositif SINE, cette aide à l’emploi spécifiquement destinée aux personnes très éloignées du marché du travail. Dans le prolongement de la Flandre, où la mesure est totalement supprimée depuis le 1er juillet 2025, la Wallonie veut intégrer SINE dans une prime unique à l’embauche. Plus de 4.000 contrats sont concernés. Le ministre wallon de l’Economie et de l’Emploi Pierre-Yves Jeholet (MR) évoque une volonté de «rationalisation et de lutte contre le double subventionnement».
Depuis plus de 20 ans, SINE pour «économie d’insertion sociale» s’adresse aux chômeurs de longue durée qui cumulent plusieurs obstacles à l’emploi. Selon la définition du Service public fédéral Intégration sociale, le statut vise la «réinsertion de chômeurs très difficiles à placer dans l’économie sociale d’insertion», via l’utilisation d’allocations comme subsides salariaux. Concrètement, les entreprises d’économie sociale d’insertion qui engagent ce public peuvent bénéficier d’une réduction de cotisations sociales d’environ 1.000 euros par trimestre pendant dix à 20 trimestres, et d’une prise en charge d’une partie du salaire net par l’Onem ou le CPAS, de l’ordre de 500 euros par mois pour un temps plein.
ConcertES, l’organisation représentative de l’économie sociale en Wallonie et à Bruxelles, évoque plus de 3.200 personnes ayant trouvé et gardé un emploi via SINE en 2025.
Un contre son camp pour la remise à l’emploi?
Ophélie Lababsa, présidente de la Fédération InitiativES et directrice d’Ekoservices, voit cette réforme d’un très mauvais œil: «Cette mesure met en péril tous mes travailleurs. Cela a pour effet concret une perte de 2,5 millions d’euros, mettant de ce fait nos entreprises en déficit dès la première année. Grâce à l’aide à l’emploi SINE, nous accompagnons nos travailleuses et travailleurs en les aidant à se reconvertir. Une nécessité dans un métier extrêmement dur physiquement. Par exemple, une aide-ménagère est devenue assistante sociale dans un CPAS, une autre conseillère en prévention au sein de notre entreprise. Nous aidons à mettre au travail et à maintenir au travail des gens qui, au départ, sont éloignés de l’emploi. Pourquoi nous retirer cette possibilité?»
Cette dernière rappelle que les travailleurs concernés par le dispositif SINE cumulent des fragilités importantes comme des problèmes psychosociaux, de santé, en situation de parentalité isolée, avec de faibles qualifications et souvent en rupture de carrière. «Sans le SINE, ces profils ne peuvent pas être maintenus à l’emploi. On s’attend à ce que plus de 80% des entreprises d’insertion soient directement touchées. Ce qui entraînerait un retour massif vers les CPAS ou le chômage, le tout sans qu’aucune économie structurelle ne soit réalisée.»
Les fédérations du secteur contestent une «lecture strictement budgétaire» de gouvernement wallon. Dans un communiqué, elles rappellent «qu’une évaluation du précédent gouvernement wallon avait conclu à un taux de reconversion de 60% pour les entreprises d’économie sociale d’insertion actives dans les titres-services. Contre 3% pour les entreprises classiques du secteur.» Pour Ophélie Lababsa, supprimer SINE dans ce segment professionnel revient à «fragiliser les structures qui obtiennent les meilleurs résultats en matière de retour vers l’emploi ordinaire».
Jeholet réfute des pertes d’emploi
Pour Pierre-Yves Jeholet, la mesure est nécessaire et a été «mal comprise» par le milieu. «L’esprit de cette décision consiste à supprimer l’octroi de plusieurs subsides pour la mise au travail d’une même travailleuse dans le secteur des titres-services. Il ne s’agit pas pour l’instant de supprimer le programme SINE. La Wallonie doit assumer des choix difficiles pour redresser des finances régionales dégradées.»
Dans sa réponse officielle présentée au parlement de Wallonie, le libéral insiste sur le fait que d’autres secteurs sont mis à contribution et parle de «responsabilité collégiale» pour revenir à «des finances saines». Le ministre wallon déclare «la fin du temps où la Région distribuait de l’argent public pour des embauches qui auraient eu lieu de toute façon» et affirme vouloir recentrer les moyens sur la remise à l’emploi effective des chercheurs d’emploi éloignés.
Le budget wallon de 2026 prévoit 270 millions d’euros supplémentaires d’économies, dont 83,7 millions pour l’emploi et la formation, et liste les sources de ces économies, parmi lesquelles «la fin de certains effets d’aubaine» et «la lutte contre le double subventionnement dans les titres-services», indique Pierre-Yves Jeholet. Son cabinet assure qu’il n’est «pas question de supprimer SINE au 1er janvier», mais bien «d’interdire son cumul avec les titres-services d’économie sociale».
Pertes d’emplois ou pas?
Le ministre et les fédérations d’économie sociale wallonne se renvoient la balle en s’accusant de propager des mensonges. Sur le fond, il n’y a pas vraiment «un camp qui ment», mais deux lectures différentes de la même décision. De son côté, en suivant sa volonté d’économiser six millions d’euros sur le «double subventionnement», Jeholet affirme ne viser qu’uniquement des travailleurs qui bénéficient de plusieurs aides sociales de mise à l’emploi. «Sans s’attaquer au système d’insertion professionnelle», détaille-t-il.
Un argument qui, sur le plan strictement juridique, est correct. SINE n’est pas abrogé en Wallonie. Le dispositif reste accessible pour d’autres employeurs d’économie sociale d’insertion, CPAS, CISP…
Mais l’argument n’est que partiellement juste pour les fédérations d’économie sociale. Qui dénoncent «une opacité de la vérité».
Celles-ci soulignent que leur mode de fonctionnement repose justement sur un système de double subventionnement, de par leur cumul de deux aides publiques pour le même poste d’aide-ménagère (intervention régionale titres-services et l’allocation SINE).
«Si le programme devient inutilisable pour nous, il est donc de facto supprimé dans leur secteur. Ca revient au même. Nous maintenons donc nos positions. Il faut le dire sans détour, à partir du 1er janvier, le secteur des titres-services perdra 3.500 emplois. Ces personnes seront poussées à se retirer du marché du travail. C’est ironique», conclut la présidente de la Fédération InitiativES.