Le recours au chômage temporaire amortit les chocs économiques et sauve de l’emploi. Mais remplit-il toujours sa fonction efficacement? Une étude menée par trois universités analyse la situation belge, tout en formulant des recommandations.
Ce mécanisme apparaît comme bénéfique à toutes les parties: en plaçant une partie de son personnel au chômage temporaire, une entreprise, confrontée à une baisse d’activité, y trouve de la flexibilité. Les travailleurs, eux, évitent la perte d’emploi, gardent le lien avec l’entreprise et maintiennent une partie de leurs revenus, grâce à un complément sous forme d’allocation de l’Onem.
De plus, en sauvegardant le contrat de travail, l’employeur évite le coût du licenciement, garde en interne les compétences des travailleurs qui ont été formés pour leur fonction. Une possibilité qui permet ensuite de redémarrer plus facilement lorsque l’activité retrouve un niveau suffisant, sans devoir chercher à embaucher puis à former de nouvelles personnes.
Une étude conjointe de l’UCLouvain, la KU Leuven et l’Université de Gand, publiée ce 8 décembre dans la revue Regards économiques, vient nuancer ce tableau. Les chercheurs démontrent que le système fonctionne efficacement… uniquement là où il est vraiment nécessaire.
Des effets d’aubaine
«Le chômage temporaire permet bien de stabiliser l’emploi. Notre étude le démontre nettement. C’est notamment le cas pour les ouvriers, qui ont été les premiers à pouvoir bénéficier de ce système en Belgique, avant qu’il ne soit étendu aux employés, en 2012», confirme Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’UCLouvain et co-autrice de l’étude.
Analysant deux périodes, celle de la récession due au choc économique de 2008-2009 ainsi que la période de la pandémie de Covid-19, l’équipe de chercheurs démontre également que le mécanisme a provoqué des effets d’aubaine, sans impact sur la sauvegarde de l’emploi, qui reste pourtant son objectif initial.
«La procédure facilitée de mise au chômage temporaire a entraîné, durant la pandémie, des recours qui n’étaient pas justifiés du point de vue de la sauvegarde de l’emploi. Ce fait est d’ailleurs plus facilement observable durant cette période, puisqu’il y avait clairement des secteurs qui étaient entièrement à l’arrêt, d’autres non. La comparaison entre les deux permet de mettre en évidence des disparités anormales. Cette surutilisation du mécanisme signifie donc un coût pour la collectivité, puisqu’une part des ressources publiques a été allouée à des entreprises qui n’auraient de toute façon pas licencié leurs travailleurs sans ce dispositif», pointe Muriel Dejemeppe.
Frein à la croissance et gaspillage d’argent
Les coûts du chômage temporaire sont en effet partagés entre les salariés, les employeurs et l’Etat, de manière à limiter un recours excessif au dispositif. Mais c’est bien sur les épaules de l’Etat que repose l’essentiel de la charge, via la sécurité sociale, qui verse une allocation correspondant aux heures non prestées (60% du salaire brut plafonné). L’employeur y ajoute généralement un complément pour limiter l’impact sur le revenu des salariés. Ces derniers verront, malgré tout, leurs revenus diminuer.
Si le mécanisme est détourné de sa finalité, il risque de ralentir la réallocation de la main-d’œuvre et, par conséquent, de freiner la croissance économique, tout en entraînant un gaspillage de ressources publiques, dénonce l’étude.
Un graphique comparant le recours au chômage temporaire dans plusieurs autres pays européens montre d’ailleurs l’utilisation bien plus importante du dispositif en Belgique.
«Dans pas mal de pays qui nous entourent, et qui ont également des systèmes équivalents, le recours au chômage temporaire est beaucoup moins important. Cela laisse à penser qu’il y a sans doute, en Belgique, un recours excessif au chômage temporaire et qu’il a parfois été détourné de sa fonction première», note la chercheuse.
Une singularité belge
Parmi les explications avancées, les chercheurs pointent la singularité belge: pour les ouvriers, le système est d’une souplesse inégalée, puisqu’il suffit de démontrer une baisse temporaire d’activité, sans seuil chiffré, à l’inverse de ce qui est demandé pour un employé. Entre deux périodes de chômage temporaire, une seule semaine d’attente est requise, permettant un usage quasi permanent.
Un mécanisme de responsabilisation existe à destination des employeurs, ceux-ci devant payer une cotisation lorsqu’un travailleur cumule plus de 110 jours de chômage temporaire sur une année. L’étude démontre que les entreprises réagissent… en répartissant le chômage temporaire sur davantage de travailleurs, afin de rester sous le seuil, sans réduire l’utilisation globale.
«Vu les taux de recours anormalement élevés en Belgique, d’autres raisons doivent exister, sans que nous ayons pu les identifier avec une totale certitude. Une des hypothèses serait que, dans certains métiers pénibles, le chômage temporaire soit utilisé comme un dispositif d’aménagement en fin de carrière. Les mécanismes officiels de retrait anticipé du marché du travail ont quand même été fortement revus ces dernières années. L’employeur permettrait ainsi à des ouvriers mis en chômage temporaire de souffler une partie de leur semaine de travail», avance Muriel Dejemeppe.
Quelles recommandations?
Face à ces constats, les auteurs formulent plusieurs recommandations, tout en martelant l’importance d’un système qui a fait ses preuves en cas de turbulences économiques.
Tout d’abord en visant à une forme d’harmonisation entre ce qui est prévu pour les ouvriers et les employés. Plutôt en abaissant les demandes et restrictions côté employé, afin de rendre le mécanisme plus accessible, qu’en durcissant les conditions côté ouvrier.
Ensuite, plutôt que de multiplier les contrôles, coûteux et difficiles à mettre en œuvre, ils préconisent de renforcer la responsabilisation financière des employeurs, en abaissant le seuil de 110 jours qui déclenche la cotisation. L’utilisation excessive du mécanisme de chômage temporaire pourrait ainsi être contrôlée plus simplement et efficacement.
Enfin, le délai entre deux périodes successives de chômage temporaire doit être allongé, surtout côté ouvriers, comme c’est déjà le cas pour les employés.
Les conclusions de l’étude alertent également sur l’obligation récente pour les travailleurs de s’inscrire comme demandeurs d’emploi après trois mois consécutifs de chômage temporaire. Celle-ci n’est pas cohérente avec l’objectif du dispositif, qui est de maintenir le lien avec l’entreprise aussi fort que possible.
«Il faut évidemment maintenir ce dispositif, devenu maillon essentiel pour éviter les licenciements secs. Ceci tout en le rendant plus accessible, souple et toujours aussi rapide à mettre en œuvre, car il faut pouvoir réagir vite en cas de chocs. En y associant les garde-fous nécessaires, cela permettrait de cibler uniquement les entreprises qui en ont réellement besoin, pour améliorer l’efficacité du mécanisme», conclut Muriel Dejemeppe.