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«Il y a du travail pour 1 demandeur d’emploi sur 5»: Quel job pour les futurs exclus du chômage? © Getty Images

«Il y a du travail pour 1 demandeur d’emploi sur 5»: quel job pour les futurs exclus du chômage?

A un mois et demi de la première vague d’exclus du chômage au 1er janvier 2026, la remise à l’emploi et la logique du «tous au travail» de l’Arizona semble éloignée de la réalité. Pour 589.700 inscrits comme chercheurs d’emploi, il y a 126.946 postes vacants en Belgique.

Les trois vagues successives de la réforme du chômage vont exclure 184.463 personnes sur les 289.629 chômeurs complets qui perçoivent une indemnité en tant que demandeurs d’emploi. Autant de profils qui devront s’activer sur le marché du travail. Mais si l’on dézoome un peu plus, le nombre d’inscrits comme demandeurs d’emploi, qui ne bénéficient donc pas tous d’indemnités, est de 589.700, selon les chiffres cumulés des trois organismes régionaux de l’emploi.

«Tous au travail!», clament pourtant les partenaires de l’Arizona, en citant automatiquement ces 184.463 exclus, et en oubliant que l’ensemble des demandeurs d’emploi est presque trois fois plus élevé. «Il y a plein de postes vacants dans ce pays qu’on n’arrive pas à remplir. Il y a assez de boulot pour tout le monde», affirme le Premier ministre Bart De Wever (N-VA). Y a-t-il plus d’un demi-million d’offres d’emploi? Aucun économiste n’oserait l’affirmer.

Les chiffres des instituts fédéraux et régionaux dépeignent plutôt une autre réalité. A l’échelle nationale, l’Onem estime à 126.946 les postes vacants. Dont 65,21% sont en Flandre, 22,08% en Wallonie et 12,71% en Région de Bruxelles-Capitale. Soit un rapport de 126.946 emplois disponibles pour 589.700 personnes en recherche.

«Il n’y a pas assez de travail pour tout le monde, assure Jean-François Orianne, sociologue du travail à l’ULiège. Au vu des chiffres, il y en a pour un demandeur d’emploi sur cinq. En Wallonie, par exemple, on remarque un déséquilibre très marqué entre emplois disponibles et demandeurs. Alors qu’en Flandre, on atteint le quasi plein-emploi. Presque tout le monde est déjà au travail et un nombre important de postes ne sont pas pourvus par manque de travailleurs disponibles.»

A Bruxelles, avec un taux de chômage à 11,7%, la dynamique est différente. Les demandeurs d’emploi y sont en compétition avec ceux des autres régions. Une grande majorité de l’activité économique bruxelloise est occupée par des non-résidents. «Cette réforme du chômage va avoir un impact différent sur les trois régions. Elle sera plus défavorable pour Bruxelles et la Wallonie, où le nombre de jobs disponibles est inférieur au total de demandeurs d’emploi», estime le professeur à l’ULiège.

Quels jobs pour les Wallons?

Au niveau de la Wallonie, en cumulant les trois vagues de la réforme du chômage, 85.350 personnes seront exclues. Pour un vivier de 39.696 offres d’emploi référencées par le Forem. Le job type proposé est un emploi en français, temps plein, en CDD, dans l’enseignement et qui nécessite au minimum un baccalauréat universitaire ou équivalent.

Bien loin du «profil type» identifié par l’Onem: «Un homme, francophone, de 50 ans, sans CESS, isolé». Si l’on filtre les offres d’emploi en fonction de ces critères, l’offre diminue drastiquement. 3.335 jobs en français ne requièrent pas de CESS, alors que 50% des demandeurs d’emploi wallons n’ont pas atteint ce niveau de diplôme. 1.982 sont en statut intérimaire, pour 1.113 en CDI. La plupart de ces jobs se retrouvent dans le secteur de la livraison ou de la vente dans le commerce de détail.

La majorité des offres d’emploi ne donc collent pas aux profils des demandeurs. Le taux de chômage est plutôt important au sud du pays, alors que l’écrasante majorité des offres d’emploi concernent le nord du pays.

Pour Jean-François Orianne, les politiques à l’initiative de la réforme du chômage sont pourtant bien conscientes de ce paradoxe. «Mais le discours logique est détourné, comme dans une sorte de novlangue politique. On nous parle de métiers en pénurie plutôt que de pénurie d’emploi, pour expliquer que les Wallons sont paresseux ou réfractaires à travailler. On nous dit qu’il suffit que les Wallons deviennent maçons ou infirmier pour travailler. Là encore, on remet la responsabilité sur le chômeur lui-même, alors qu’une logique de pénurie est forcément créée par le collectif, par le politique. Le chômage n’est plus décrit comme un déséquilibre du marché du travail, mais comme la conséquence de carences personnelles.»

«Le contrat intérim ne résout pas la problématique du chômage. Il revient à faire jouer les remplaçants d’une équipe de football, à faire tourner, en sachant très bien qu’ils reviendront s’asseoir sur le banc.»

Vers une société de l’intérim

Sur les 39.696 offres d’emploi proposées par le Forem, près de 16.000 sont en contrat intérim. Des offres de travail à durée limitée, pour un besoin de main-d’œuvre ponctuel. «C’est ce que j’appelle les miettes de l’emploi, tranche le sociologue de l’ULiège. De plus en plus de personnes vont être poussées vers ces formes de travail. Politiquement, cela permettra d’afficher de beaux chiffres de remise à l’emploi, tout en conservant une certaine réserve de main-d’œuvre. Ces personnes vont faire une mission d’un à trois mois, puis vont de nouveau se retrouver sans job. C’est compliqué d’aligner plusieurs années d’activité en ne misant que sur des contrats d’intérim.» Et pour ce faire, un même travailleur devrait enchaîner successivement plusieurs de ces offres, ce qui réduit encore le nombre de postes réellement disponibles.

Le constat est donc le suivant: avec un taux élevé d’offres d’emploi sous contrat intérim (près de 50% selon le Forem), la remise au travail dans son ensemble est considérée comme favorisant la précarité et l’ insécurité professionnelle, avec peu de d’opportunité de carrière. L’intérim entretient une zone grise entre emploi et non-emploi. Faisant vaciller les travailleurs entre missions éphémères et inactivité. «Le contrat intérim ne résout pas la problématique du chômage. Il revient à faire jouer les remplaçants d’une équipe de football, à faire tourner, en sachant très bien qu’ils reviendront s’asseoir sur le banc», métaphorise Jean-François Orianne.

«Il faut des chômeurs»

Le chômage a un rôle crucial dans la société et pour l’économie, selon le sociologue du travail. «Il faut des chômeurs». L’expert reprend sa métaphore sportive et explique que pour qu’une équipe fonctionne, il faut des remplaçants prêts à monter sur le terrain. Cette dynamique participe à une logique de modération salariale, de rapport de force entre les employeurs et les travailleurs: «Plus les chômeurs sont formés, disponibles et mis sous pression, plus ils constituent une menace crédible pour les travailleurs en place. Ceux-ci hésitent à réclamer des hausses salariales ou de meilleures conditions, sachant qu’une main-d’œuvre de réserve attend à la porte. Mettre la pression sur les chômeurs revient à mettre la pression sur les salariés.»

Pour résumer, plus la réserve est nombreuse, en forme et prête à monter sur le terrain, plus les titulaires acceptent des salaires modérés et se plient aux exigences du coach.

Dans son analyse, le sociologue rappelle que les chômeurs jouent aussi le rôle d’une réserve de main-d’œuvre, qui permet de pourvoir rapidement des postes lorsqu’ils se libèrent et d’accompagner les besoins d’adaptation ou d’innovation des entreprises. «Pas de progrès sans chômeurs», conclut ce dernier.

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