Raymonde Yerna, administratrice déléguée du FOREM: «une dynamique positive s’observe». © BELGA

35% des futurs exclus du chômage ont décroché un contrat? «Un seul chiffre, c’est un peu court pour juger de l’efficacité de la politique de la menace»

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Un tiers de ceux qui perdront le bénéfice des allocations de chômage dans les prochains mois ont travaillé au moins une fois entre janvier et septembre derniers. Pendant combien de temps et avec quel statut ? Les données du FOREM, parcellaires, ne permettent pas de tirer de conclusions.

Les demandeurs d’emploi qui risquent l’exclusion du chômage après le 1er janvier prochain sentiraient-ils le vent du danger? Les chiffres diffusés par l’administratrice générale du Forem, Raymonde Yerna, sur les ondes de Bel RTL, pourraient le laisser entendre. «Quelque 35% des demandeurs d’emploi qui vont être exclus du bénéfice des allocations ont décroché au moins un contrat de travail en 2025, a-t-elle exposé. Et 20% de plus rien qu’entre le mois d’août et le mois de septembre.» Ce qui donne à penser que la menace de cette exclusion pousse davantage de chercheurs d’emploi à accepter les postes qui leur sont proposés.

Ce chiffre n’avait pas encore été communiqué préalablement aux membres du comité de gestion, où siègent des représentants des organisations patronales et syndicales. «Nous n’étions pas au courant de cette sortie, indique l’un d’entre eux. Et la prochaine réunion du comité de gestion n’a lieu que dans quinze jours.»

Surtout, ce chiffre doit être contextualisé. Qu’une menace de perte d’allocations pousse les demandeurs d’emploi à se montrer moins exigeants et à accepter plus vite les propositions d’emploi qui leur sont faites n’est pas une surprise. C’est d’ailleurs la philosophie qui pilote la réforme du marché de l’emploi mise sur les rails par le gouvernement fédéral. Ce chiffre de 35% correspond à peu près à celui qu’avait déjà mis en exergue, en août 2024, l’économiste Philippe Defeyt. Dans sa note d’analyse, au niveau du pays, 36,8% des chômeurs de longue durée – soit au total 41.913 personnes – avaient travaillé au moins une fois depuis qu’ils avaient franchi la barre des 2 ans de chômage. Ce pourcentage est, globalement, un peu plus élevé en Wallonie (39,0%) qu’en Flandre (36,2%) et à Bruxelles (33,6%). Examinés de plus près, les contrats d’emploi qu’ont décrochés ces demandeurs d’emploi de longue sont, dans 63% des cas, de courte durée: 26,6% représentaient entre un et 20 jours de travail, 21,5%, entre 20 et 50 jours et 15,0%, entre 50 et 100 jours.

Or, pour qu’un individu voie son boulier compteur de chômage remis à zéro et puisse bénéficier à nouveau du chômage après avoir été mis temporairement à l’emploi, il lui faut avoir travaillé à temps plein pendant au moins trois mois consécutifs. Ce qui n’est pas le cas, au vu de ces chiffres, pour une partie des chômeurs de longue durée étudiés par Philippe Defeyt: ils ne restent pas inactifs mais font des allers-retours réguliers entre de courtes périodes de travail, dans l’interim ou l’horeca par exemple, et des périodes de chômage. 

«Les chiffres avancés par le Forem concernent des demandeurs d’emploi qui ont obtenu au moins un contrat depuis le 1er janvier 2025, mais on ignore à la fois leur nombre et leur durée», souligne un interlocuteur syndical. Ce que l’on confirme au Forem, où on se réjouit néanmoins de la dynamique observée. D’autant qu’entre août et septembre derniers, cette tendance s’est amplifiée: en août, 27% des personnes concernées avaient décroché un emploi depuis le début de l’année alors qu’en septembre, ce taux était passé à 36%. «Le message que nous voulons faire passer auprès des demandeurs d’emploi, c’est que cela vaut la peine de se bouger, insiste son porte-parole, Thierry Ney. On ne dit pas que ces contrats, même de courte durée, sont la panacée, mais cela vaut la peine de se faire aider.»

Le Forem n’est pas en mesure, dit-il, de fournir la même donnée chiffrée concernant la mise au travail des demandeurs d’emploi pour 2024, c’est-à-dire avant l’annonce des exclusions du chômage. «La comparaison ne serait pas crédible, assure Thierry Ney, arguant qu’il ne s’agirait pas de la même cohorte de demandeurs d’emploi ni du même contexte socio-économique.» Disposer de cette information eut pourtant été éclairant.

«Cette dynamique est peut-être due à l’accompagnement mis en place par le FOREM. Mais quelle était son efficacité auparavant, alors?»

«A ce stade, en effet, rien ne permet d’établir que ce résultat s’explique par la nouvelle politique du gouvernement, ni par la politique d’accompagnement du FOREM, qui a été dynamisée, observe Daniel Cornesse, secrétaire national de la CSC wallonne. Disposer de ce seul chiffre de 35%, c’est un peu court pour évaluer le bien-fondé d’une politique. Car s’il s’agit de contrats d’emploi d’un jour, est-ce réellement efficace? Cette sortie médiatique est maladroite: amener ces chiffres sans les nuancer ni les contextualiser permet à certains d’affirmer aujourd’hui qu’il suffisait de sortir le bâton pour faire bouger des ‘fainéants’. C’est d’ailleurs ce qui circule sur les réseaux sociaux depuis lors…»

Des questions seront donc posées lors du prochain comité de gestion de l’Onem pour disposer d’indicateurs qualitatifs sur ces contrats: s’agit-il de contrats à durée déterminée, indéterminée, de temps partiel ou de temps plein, d’intérim, et quelle est leur durée? «Les entreprises wallonnes profitent d’un système à deux vitesses pour multiplier les contrats précaires, lance Jean-François Tamellini, secrétaire général de la FGTB wallonne. Sur le site internet du Forem, il y a 37.313 offres d’emplois, dont 29% sont des CDI (contrats à durée indéterminée). En Flandre, sur le site du VDAB, on trouve 229.680 propositions d’emploi, dont 73% de contrats stables

Le Forem se défend

La sortie médiatique de l’administratrice déléguée du Forem donne aussi à penser qu’il s’agissait dans son chef de défendre, par le biais de ce chiffre, le travail d’accompagnement effectué par ses troupes et qui est incontestablement conséquent. On sait le ministre wallon de l’Emploi Pierre-Yves Jeholet (MR), qui a la tutelle du Forem, bien déterminé à secouer l’institution. Il s’agit donc sans doute pour le Forem de lui donner des gages d’efficacité. «Bien sûr que retrouver du travail, pour quelqu’un qui n’en a pas, est positif, souligne un responsable syndical. Cela est peut-être dû à l’accompagnement mis en place par le Forem. Mais quelle était son efficacité auparavant, alors?»

Les chiffres globaux du chômage, eux, ne reculent pas en Wallonie: on comptait 238.562 demandeurs d’emploi en septembre 2024 et 266.789 en septembre 2025. Une augmentation qui s’explique, dit-on au Forem, par le nombre plus important de personnes qui s’y sont librement inscrites. Elles ne coûtent donc rien aux finances publiques mais bénéficient des services proposés pour les aider à retrouver du travail. Entre septembre 2024 et septembre 2025, leur nombre est passé de à 66.253 à 82.754. Dans le même temps, le nombre de demandeurs d’emploi percevant des allocations, hors jeunes en stage d’insertion, est passé de 111.261 à 121.869 personnes. La situation socio-économique n’y est pas pour rien…

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